L’essai que publie Marie-Gabrielle Lemaire sur le cardinal de Lubac se distingue par sa pertinence, l’étendue de ses informations et surtout la profondeur de sa perception d’une œuvre magistrale à tous égards. On lui doit déjà la biographie du théologien, écrite à la suite du Père Chantraine trop tôt disparu pour aller au terme de ce grand travail de recherche. En retraçant, dans ses lignes majeures, la vie et l’œuvre de l’auteur de Catholicisme et du Drame de l’humanisme athée, Marie-Gabrielle Lemaire ne pouvait révéler que le fond d’une âme religieuse, attachée depuis toujours à méditer le mystère du surnaturel inscrit dans notre humanité.
Tout au long de la rédaction de ses livres, le Père de Lubac ne s’est jamais livré à un exercice gratuit de dialectique et d’érudition. Ce dont il est pénétré et veut pénétrer son lecteur, c’est la destinée divine de chacun : « Le désir naturel de Dieu est une “exigence divine” mise en l’homme par le Créateur lorsqu’il le fit “à son image”, lui assignant comme idéal et comme terme sa ressemblance » (Surnaturel, 1946).
Qu’une telle conviction ait été à l’origine d’une terrible épreuve pour le théologien soupçonné de modernisme et de créer « une nouvelle théologie » – terme que l’intéressé n’a cessé de récuser – ne peut que nous étonner à mesure que nous nous éloignons de cette période d’après-guerre où il fut écarté de tout enseignement. C’est qu’à mesure où le temps passe et où la réception de l’enseignement de Vatican II apparaît avoir été gravement compromise, sa parfaite orthodoxie et sa lucidité ne peuvent que nous impressionner. À certains égards, il aurait souhaité que le Concile aille plus loin dans l’affirmation de « la nouveauté absolue du Christ ». À rebours d’une certaine ambiance optimiste de l’époque en contraste avec la nôtre, il se démarque vigoureusement de ce progressisme qui entraîna beaucoup de ses collègues jusqu’à ce qu’il n’hésite pas à appeler une véritable apostasie.
Je me permettrais d’ajouter que l’évocation de Marie-Gabrielle Lemaire me touche personnellement. Il se trouve que j’ai eu le privilège de visiter le cardinal régulièrement dans ses dernières années. Je regrette de ne pas avoir tenu de journal à l’époque, qui m’aurait permis de noter au fur et à mesure les propos qu’il me tenait. Lorsqu’en 1986, j’entrepris la rédaction de mon essai L’Église catholique, crise et renouveau, il prit la peine de lire mon manuscrit et d’inscrire ses corrections en marge. Il réécrivit même tout un paragraphe qui concernait sa théologie du surnaturel. Je me souviendrai de lui jusqu’en ses derniers jours chez les Petites Sœurs
des Pauvres, avenue de Breteuil.
Le portrait de Newman
Il avait à son chevet le portrait de Newman. Il m’avait montré le premier livre de son grand prédécesseur qui concernait l’arianisme. Ce souvenir me poursuit d’autant plus que le nouveau pape Léon XIV l’a proclamé docteur de l’Église celui que l’on reconnaît unanimement comme un des plus grands témoins de la foi. Précisément, ce n’est pas pour rien qu’un Jean Guitton avait pu qualifier Henri de Lubac de « Newman français ». La parenté entre les deux religieux est évidente. Elle nous invite à mieux comprendre en quoi la véritable tradition chrétienne est source de nouveauté infinie.

Henri de Lubac. Sa vie, son œuvre, sa postérité, Marie-Gabrielle Lemaire, CLD éditions, octobre 2025, 250 pages, 20 €.





