« L’avenir de la société repose sur la famille » - France Catholique
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Catéchumènes : baptisés… et après ?
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« L’avenir de la société repose sur la famille »

Retraites, démographie : les discussions budgétaires font l’impasse sur la famille. À l’occasion des 120 ans des Associations familiales catholiques, qui tiennent un colloque sur la famille à Paris le 21 novembre, entretien avec le professeur d’économie Jean-Didier Lecaillon, qui y participera, parmi de nombreux experts.
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© David Henry – pexels

Pourquoi le budget débattu à l’Assemblée nationale ne tient pas compte de la natalité, sur les retraites en particulier. Comment l’expliquez-vous ?

Jean-Didier Lecaillon : Une précision tout d’abord : la famille ne se réduit pas à la natalité. La politique familiale est une politique à mener en soi pour favoriser la natalité. Or la famille est ignorée de nos jours. D’ailleurs, il n’y a plus de ministère de la Famille et, quand il en subsiste un, c’est pour l’affubler du titre de ministère des Familles et des Affaires sociales. J’ai été sollicité par de nombreux hommes politiques qui souhaitaient des arguments pour développer une politique familiale il y a quelques années. Ils me répondaient systématiquement : « Ça coûte cher ! » Je leur rétorquais : « Oui ça coûte très cher ! Cependant il ne s’agit pas de dépenser le plus possible mais le mieux possible. La famille est un investissement sur le temps long. » En ce moment, à l’Assemblée nationale, nos députés sont malheureusement dans une vision comptable de très court terme, donc très peu se préoccupent d’une politique familiale. Pourtant, c’est en investissant dans la famille que l’on pourra avoir une véritable politique économique.

Faut-il voir la famille comme une création de richesses ?

Absolument. Pour l’économiste que je suis, la famille est un capital humain facteur de croissance. Les parents, en mettant des enfants au monde, participent à ce que nous appelons une production domestique qui prend en compte tout ce qui est réalisé à la maison à travers la garde et l’éducation des enfants. Selon les pays, cette production domestique représente 20 à 45 % du PIB. De même qu’une entreprise réduit ses amortissements sur la durée, pourquoi ne pas imaginer que les investissements familiaux réalisés pour élever les enfants soient pris en compte dans le calcul de l’impôt et donne lieu à des déductions fiscales ? Là encore, c’est une dimension complètement ignorée de nos politiques, alors que les familles sont grandement pénalisées depuis le quinquennat de François Hollande.

On assiste en France au recul historique du nombre de naissances. Que préconisez-vous pour imaginer une politique à la fois nataliste et familiale ?

La France accueille moins de 700 000 naissances désormais par an, un triste record inégalé depuis la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la baisse de la natalité touche tous les pays européens. La France n’est pas condamnée au déclin démographique car le désir d’enfants reste élevé : 2,3 enfants par femme. Toutes les enquêtes soulignent les mêmes points noirs qui entravent la construction d’un foyer : la difficulté d’accéder à un logement, le coût pour élever un enfant et l’absence de stabilité dans le couple depuis la dévalorisation du mariage. Ce dernier est désormais conçu comme un outil de gestion patrimoniale et non comme le lieu pour fonder une famille.

Pour relancer la natalité, il faut donc commencer par imaginer une véritable politique familiale. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui se fait en Hongrie ? Le gouvernement hongrois octroie aux futurs parents un prêt pour faciliter l’achat d’un logement. Si des naissances arrivent, le prêt est allégé et les sommes à rembourser réduites. En Italie, le chef du gouvernement Georgia Meloni s’est lancée dans une politique nataliste. Elle ne rencontre pas, pour l’heure, un grand succès car elle n’est pas couplée à une politique familiale incitative. En Italie, les hommes tardent à quitter le confortable foyer familial, souvent à plus de 30 ans, pour fonder leur propre famille.

En France, il faudrait commencer par revoir la fiscalité en supprimant le plafonnement du quotient familial et imaginer donc de prendre en compte la production domestique du foyer. Puis il faudrait redonner aux allocations familiales leur caractère universel. Il faudrait adapter la politique du logement à l’accueil de la vie. Enfin, n’oublions pas de remettre à l’honneur la maternité et de combattre les mentalités qui pensent qu’un enfant pollue.

L’avenir de la société passe par la famille et je suis convaincu que les politiques peuvent être sensibles à des arguments percutants. Ainsi, pourquoi ne pas faire de la famille un enjeu planétaire ? Les écologistes ont bien réussi à influencer le monde de l’entreprise, de la politique et des médias en demandant des comportements vertueux pour sauver la planète. Est-il plus important de sauver les baleines ou les êtres humains ? Il faut sauver la planète, mais il faut d’abord sauver les familles.

Comment expliquez-vous que, dans le débat sur la suspension de la réforme des retraites, n’ait jamais été évoqué le paramètre démographique, qui nous oblige à travailler plus ?

La France n’assure plus le renouvellement des générations depuis 1975. Ce n’est un secret pour personne. Le taux de fécondité par femme est de 1,6 quand il faudrait qu’il soit au minimum à 2. Le sujet sur les retraites est abordé sous l’angle juridique, syndical, rarement sous l’angle de la famille et de la natalité, sans doute parce que les économistes n’ont pas de définition pour la famille. Ils parlent de « ménage ». La famille, intrinsèquement, c’est l’Église qui en parle le mieux ! Jean-Paul II évoquait « l’union d’un homme et d’une femme, fondée sur le mariage, qui accueille et contribue à l’épanouissement d’un enfant ». Or cette notion de famille ne se comprend qu’à travers la solidarité intergénérationnelle sur trois niveaux : l’enfant est un consommateur, l’adulte produit et consomme et le retraité ne produit plus mais consomme. Quand l’enfant devient adulte, il doit en quelque sorte rembourser la dette acquise durant ses jeunes années et il en est de même pour l’adulte vis-à-vis de ses vieux parents retraités. Dans la mesure où il n’y a plus qu’un 1,7 actif pour un retraité, il est évident qu’il est urgent d’encourager les naissances. C’est en investissant sur la jeunesse qu’on sauvera en partie notre système de retraite. 

La Famille au cœur de l’économie, Jean-Didier Lecaillon, éd. Salvator, 260 pages, 22 €