Les vidéos chrétiennes charrient leurs lots de commentaires dans lesquels les internautes s’écharpent à coups de banalités. S’agit-il d’une preuve de l’existence de Dieu ? Kant sera immanquablement invoqué pour la révoquer. S’agit-il d’une vidéo sur la Trinité ? Aussitôt, des musulmans se chargeront d’expliquer que 1+1+1 ne peuvent équivaloir à 1. Si l’on parle de la relation à Dieu dans la prière, on nous parlera de l’« ami imaginaire ». En clair, la prière ne serait qu’un monologue. Le chrétien, en priant, ne parlerait en réalité qu’à soi.
La Parole et la prière
Cette formule simpliste et condescendante est censée balayer 2 000 ans de christianisme. Les milliards de chrétiens, les penseurs, philosophes, savants, prix Nobel chrétiens se seraient naïvement laissé abuser par leur imagination trop fertile… Cette idée est absurde, mais il faut répondre.
On pourrait remarquer d’abord que la source principale de notre foi n’est pas la prière, mais la Parole de Dieu. En général, c’est parce que nous croyons en Dieu que nous prions et non l’inverse. Et de nombreux indices extérieurs à la prière confirment sa validité. Cependant, même si la prière était notre seul accès à Dieu, un minimum d’analyse montre qu’elle ne ressemble en rien, même de loin à une autosuggestion.
En général, ceux qui critiquent la prière ne la connaissent pas. Ils n’ont aucune idée des clartés qu’elle apporte parfois, de la conscience très vive et surnaturelle du péché qu’elle inspire, de la saisie intuitive des mystères de la foi qui l’accompagne. La joie, la paix et le pardon qui ne sont pas de cette terre leur sont des réalités insoupçonnées. Ils ne connaissent rien du silencieux langage de l’amour. Ils ignorent également les terribles combats de la prière, la pénibilité qui naît de la régularité, les sécheresses, les obscurités. Ils n’imaginent, ni ne conçoivent la douleur de l’impuissance et la lutte sans cesse renaissante contre les distractions.
Cette richesse foisonnante est réduite par les athées à la seule prière de demande, à la plus utilitaire, à la plus mesquine des demandes. « Comment ceux qui ne la connaissent guère – peu ou pas – osent-ils parler [de la prière] avec tant de légèreté ? Un trappiste, un chartreux, travaillera des années pour devenir un homme de prière, et le premier étourdi venu prétendra juger de l’effort de toute une vie !, note Bernanos dans le Journal d’un curé de campagne. Si la prière était réellement ce qu’ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d’un maniaque avec son ombre, ou moins encore – une vaine et superstitieuse requête en vue d’obtenir les biens de ce monde – serait-il croyable que des milliers d’êtres y trouvassent jusqu’à leur dernier jour, je ne dis pas même tant de douceurs – ils se méfient des consolations sensibles – mais une dure, forte et plénière joie ! »
Le contraire du nombrilisme
La prière aboutit à de tout autres résultats qu’une autosuggestion. Car elle ne nous replie pas sur nous-mêmes. Au contraire, elle nous modèle en profondeur et creuse en nous la charité. À la différence d’une cure de psychanalyse où l’on scrute sans cesse son vécu pour se trouver soi-même, la prière est un acte extatique. Nous pénétrons en nous-mêmes, non pour nous perdre dans les méandres du subconscient – dans cette part complexe en nous qui procède du néant – mais pour trouver Celui qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Ainsi, la prière ne débouche pas sur soi, mais sur un Autre. Par la prière, nous atteignons celui qui est Simple, qui est Un, qui est Tout. Et nous nous voyons dans cette lumière. Raison pour laquelle l’homme de prière se simplifie, s’unifie, devient plus lui-même à mesure qu’il s’ouvre à ce Dieu présent en lui.
« Oh ! sans doute, poursuit Bernanos, les savants parlent de suggestion. C’est qu’ils n’ont sûrement jamais vu de ces vieux moines, si réfléchis, si sages, au jugement inflexible, et pourtant tout rayonnants d’entendement et de compassion, d’une humanité si tendre. Par quel miracle ces demi-fous, prisonniers d’un rêve, ces dormeurs éveillés semblent-ils entrer plus avant chaque jour dans l’intelligence des misères d’autrui ? Étrange rêve, singulier opium qui, loin de replier l’individu sur lui-même, de l’isoler de ses semblables, le fait solidaire de tous, dans l’esprit de l’universelle charité ! […] Hélas ! on en croira sur parole des psychiatres, et l’unanime témoignage des Saints sera tenu pour peu ou rien. Ils auront beau soutenir que cette sorte d’approfondissement intérieur ne ressemble à aucun autre, qu’au lieu de nous découvrir notre propre complexité, il aboutit à une soudaine et totale illumination, qu’il débouche dans l’azur, on se contentera de hausser les épaules… Quel homme de prière a-t-il pourtant jamais avoué que la prière l’ait déçu ? »
Invitation
Peut-être que la vraie réponse au sceptique n’est pas une argumentation, mais une invitation. Il veut des faits, il veut expérimenter ? Il veut savoir s’il y a quelqu’un au-delà de ce que nous percevons ? Eh bien, qu’il tente l’expérience, au lieu de spéculer ! Qu’il cherche honnêtement et méthodiquement. La seule façon de savoir s’il y a quelqu’un derrière la porte est d’y frapper. D’y frapper avec humilité et persévérance. Mais aussi avec audace : que le sceptique ne demande pas une vague émotion, qu’il demande hardiment la grâce d’une vraie rencontre. Qu’il prononce ces paroles tous les soirs : « Je ne sais pas si vous existez ou si je parle à une ombre projetée sur le mur. Mais je cherche le vrai de tout mon être. Si vous existez, je désire vous rencontrer. J’accepte par avance votre volonté. » Qu’a-t-il à perdre, si ce n’est un peu de temps et de cet amour-propre qui nous étreint tous ? S’il est sincère, honnête et patient, il pourrait être plus surpris qu’il ne l’imagine…