Pour qui s’intéresse à l’histoire du catholicisme contemporain, la personnalité de Jacques Maritain ne peut que retenir l’attention. Tel catholique « de droite », qui avait pourtant critiqué certaines positions de l’auteur d’Humanisme intégral, n’hésitait pas à écrire qu’il avait été, au XXe siècle, le penseur catholique le plus influent en France, et même dans le monde.
C’est dire que le général de Gaulle avait quelques raisons de s’intéresser à lui, durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Maritain, résidant alors à New York, avait rallié la France libre. Aussi, conçoit-il l’idée de lui demander de devenir ambassadeur de France près le Saint-Siège, lors d’une rencontre à Rome, le 10 juillet 1944.
Le philosophe est plus qu’hésitant : « Je tâche d’esquiver, parlant de mon travail, disant que je ne suis pas sûr d’avoir des qualités diplomatiques. » Il a plein de projets en tête, avec le désir de multiplier les relations entre les deux continents. N’a-t-il pas l’espoir, à ce moment, de rentrer au Collège de France ? Cependant, lors d’une rencontre à Paris, le 29 décembre 1944, le général se fait encore plus pressant : « Il me demandait ce sacrifice pour faire quelque chose de grand pour la France. Pour faire comprendre que la France est aujourd’hui la chrétienté. Insistance non pas brutale mais profondément et immuablement convaincue. Je n’ai pas vu comment refuser ! » Une plaque vient d’être inaugurée en son honneur, en l’église Saint-Louis des Français, à l’occasion des 80 ans de cette nomination.
Pie XII reçoit le nouvel ambassadeur le 10 mai 1945 et peut, dans un échange privé, faire part de ses soucis face à la situation du monde. C’est aussi l’occasion de retrouvailles avec Mgr Montini, qui est une des principales figures de la Curie, et qui a même été le traducteur italien de son essai Trois réformateurs.
Un souci d’équilibre
On ne peut pas dire que Maritain ait été vraiment à l’aise dans ce rôle d’ambassadeur, qui requiert sa part de mondanité, mais aussi de charges au détriment de son labeur intellectuel. Il trouvera pourtant le moyen d’écrire son Court traité de l’existence et de l’existant, qui compte dans son œuvre.
Cependant, s’il faut retenir une initiative marquante de cette ambassade, l’attention se porte sur la création d’un centre de réflexion et d’échanges qui prendra le nom de centre Saint-Louis et qui existe encore près de l’église Saint-Louis-des-Français. « Il s’agit, selon ses propres termes, de représenter et diffuser la pensée et la culture chrétienne d’origine française auprès de toutes les personnes résidant à Rome et la culture de la France laïque auprès du clergé et des religieux de tous les pays. »
On peut retrouver ainsi une des hantises du philosophe, soucieux de concilier l’esprit de l’ancienne chrétienté avec celui d’une modernité humaniste. Hantise promise à quelques désillusions. Maritain en fera le constat amer, lorsqu’au lendemain du concile Vatican II, il confiera sa colère depuis Toulouse, dans Le Paysan de la Garonne, envers la rage de « chronolatrie » qui s’est emparée de certains se voulant à la pointe du progrès. Pour lui, le nouveau modernisme fait passer l’ancien pour un simple rhume des foins ! Mais, entre « moutons de Panurge » et « ruminants de la Sainte-Alliance », ce qu’il appelait encore le « milieu d’éminence » n’est pas toujours facile à entrevoir.
Toujours est-il que, de ce passage de trois années à l’ambassade près le Saint-Siège, subsiste ce centre Saint-Louis, qui n’a cessé de recevoir une grande partie de l’élite intellectuelle française, en traitant des grandes questions de civilisation qui se posent au travers de toutes les mutations que nous vivons. Le centre continue de refléter ainsi l’aura intellectuelle et spirituelle de ce catholique éminent que fut Jacques Maritain.