En tant que missionnaire en Corée du Sud, quel est votre regard sur la situation des catholiques en Corée du Nord ? Y sont-ils nombreux aujourd’hui ?
Père Philippe Blot : C’est la grande question… Le film Baroudeurs du Christ parle de la situation du Japon, après les persécutions que le pays subit durant des dizaines d’années, jusqu’au XIXe siècle. L’Église y fut martyrisée. On pensait que les chrétiens avaient disparu. Puis, le Père Bernard Petitjean, des Missions étrangères de Paris, arrivé plusieurs dizaines d’années après, se rendit compte qu’il existait encore des chrétiens, qui transmettait la foi de génération en génération.
C’est la même chose en Corée du Nord. Avant la séparation des deux Corées, le nord comptait plus de chrétiens que le sud. On l’appelait même « la Jérusalem asiatique ». Une grande abbaye bénédictine se trouvait d’ailleurs dans le nord, à Tokwon. Mais, lorsque la division fut effective, la persécution commença. Ils massacrèrent tous les religieux, ils interdirent aux chrétiens de se réunir pour prier, ils exclurent, ou même tuèrent tous les prêtres et religieux. Cela devint un pays complètement fermé, où Dieu avait été mis à la porte.
Malgré cela, l’être humain a une telle faculté d’adaptation et de survie qu’il y a certainement des chrétiens. En Corée du Sud, je m’occupe des jeunes mais je rencontre également des réfugiés nord-coréens. Ils sont plus de 30 000 répartis dans tout le pays. Plusieurs d’entre eux ont vu et côtoyé des chrétiens, enfermés dans des camps pour leur foi. Par exemple, certains possédaient des clefs USB, qui contenaient des conférences, la Bible, des homélies, et se sont fait prendre. Une femme m’a un jour raconté qu’un homme avait transporté des bibles pour les distribuer, il s’est fait arrêter. Il y en a aussi qui se font tuer.
C’est certain, il y a encore des chrétiens. Mais c’est l’Église du silence, des catacombes.
Peut-on parler d’une Église clandestine ?
Bien sûr. Elle est sûrement moins nombreuse qu’au Japon, mais elle existe bien, c’est certain [ndlr : Pendant 250 ans, le Japon instaura une politique commerciale de fermeture du pays, avant le retour des missionnaires au XIXe siècle].
Qu’est-ce qui pourrait faire basculer les choses ?
Au-delà des enjeux géopolitiques, à notre échelle, nous ne pouvons que prier. La Conférence épiscopale coréenne demande, tous les jours à 9h, de réciter un « Notre Père », un « Je vous salue Marie » et un « Gloire à Dieu », pour tous les catholiques du monde. C’est également annoncé à la radio catholique.
Et en Corée du Sud ?
La Corée du Sud possède son Église bien structurée. Elle compte une dizaine de diocèses. Au départ, les évêques provenaient tous des MEP, puis ont légué leur place peu à peu. Le dernier en date était Monseigneur René Dupont, décédé en avril 2025. Il existe également une dizaine de séminaires, remplis de séminaristes. Les vocations religieuses sont très nombreuses. C’est une Église toute jeune, et toute dynamique, qui est également missionnaire.
Aujourd’hui, il existe un jumelage avec certains diocèses de France : au Mans, à Narbonne et à Carcassonne. La France souffre d’une pénurie de vocations. Et l’Église coréenne aide les pays en difficulté, comme le nôtre. C’est comme un retour : ils remercient les MEP d’avoir missionné dans leur pays, et maintenant c’est leur tour.
C’est donc une Église pleine de ressources, et qui devient missionnaire à son tour.
Il y a d’ailleurs un important pourcentage de catholiques en Corée du Sud.
Oui, le pays compte environ 12 % de catholiques, également des protestants, des bouddhistes. Mais, de plus en plus, les chrétiens deviennent majoritaires. Les catholiques tiennent une bonne place, ils ont maintenant dépassé le nombre de protestants. A l’Assemblée nationale, 27 % des députés sont catholiques.
Pouvez-vous nous parler de la vocation du missionnaire ?
Le film Baroudeurs du Christ ne relate pas seulement l’histoire singulière d’un missionnaire, mais également celle de toutes les personnes qu’il rencontre, avec qui il chemine, qu’il essaie d’aider. Toutes ces personnes qui deviennent des fils.
C’est donc une histoire commune entre les deux, c’est cela qui est beau.
Le film illumine le mystère de la vocation missionnaire, avec toutes ses interrogations. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisi », dit le Seigneur. (Jn 15, 16). C’est fondamental. Le missionnaire n’est pas choisi pour ses mérites, ses dons ou son courage, mais il est choisi pour répandre le royaume de Dieu, malgré sa faiblesse, sa petitesse. Il est choisi pour donner de l’espérance, une force d’amour et de miséricorde aux gens qu’il côtoie.
C’est un messager. Il transmet l’amour et la miséricorde de Dieu au monde entier. « Je t’aime d’un amour d’éternité » (Jérémie 31, 3). Le Seigneur nous aime tellement, et il faut le faire sentir aux gens que l’on rencontre : singulièrement, ils sont aimés par Dieu. Cela change toute une vie. Certains n’ont jamais reçu d’amour de leurs proches. A notre échelle, nous essayons de leur donner cet amour, mais celui qui leur en donne le plus est le Seigneur. Ils sont aimés au moins par quelqu’un, Dieu.
Finalement, cela amène parfois les gens à la conversion, qui est la plus belle chose que l’on puisse souhaiter à n’importe quel être humain. Quand on se tourne vers Dieu, tout s’illumine, le sens de la vie et du monde. Même si on est pauvre, handicapé, si on se sent aimé par Dieu, si on se tourne vers lui, on aura encore plus de grâces.
C’est donc cela la vie du missionnaire, dans toute cette force, jusqu’au martyre, et pas seulement le martyre du sang.
Qu’est-ce qui vous a conduit à rejoindre les Missions étrangères de Paris ?
Lorsque j’ai compris que le Seigneur m’appelait, ma vocation a mûri durant plusieurs années, jusqu’à devenir très claire : je veux être missionnaire en Asie ! J’ai découvert les Missions étrangères de Paris, ce fut le coup de foudre : ce n’était pas une congrégation religieuse, c’était pour l’Asie, et son histoire était fabuleuse : 23 prêtres et évêques y sont morts martyrs, ce que le film raconte d’ailleurs.
Et vous avez été envoyé en Corée du Sud.
Cela fait 35 ans que je missionne en Corée du Sud, pays où mes supérieurs m’ont envoyé.
Lorsque l’on arrive dans le pays, il faut tout d’abord apprendre à le connaître, apprendre la langue, les coutumes, l’histoire, la géographie, la nature. Puis on apprend surtout à l’aimer. L’un de nos anciens, le Père Jacques Dournes, envoyé au Vietnam en 1946 disait : « Je suis né à Saïgon en 1946 et j’ai 24 ans ». Je peux dire la même chose : la Corée du Sud est ma deuxième vie, comme missionnaire. J’étais Français jusqu’à l’âge de 30 ans. Puis, je suis né de nouveau à Séoul, en 1990. Ce pays est devenu ma deuxième patrie.
Quelles sont vos missions et votre quotidien ?
Je m’occupe des jeunes surtout. Nous avons trois maisons : la maison Saint-Jean, dans le diocèse de Suwon (à quelques kilomètres de Séoul), la maison Saint-Jacques et la maison Saint-Pierre, un peu plus loin. Ce sont de petites structures familiales. Nous avons environ 25 enfants au total, issus de familles décomposées.
Dans notre diocèse, il y a un centre de réfugiés, Hanawon, destinés aux Nord-Coréens qui arrivent au Sud. Je m’y rends une fois par mois. C’est un centre destiné aux femmes et aux enfants. Le temps qu’elles trouvent du travail, elles nous confient leurs enfants, avec l’accord des évêques.
Documentaire de Damien Boyer, avec les Pères Will Conquer, Philippe Blot, Gabriel de Lépinau, Yves Moal et Laurent Bissara (2025, France, 1 h 30). pour Grands adolescents
« Allez leur dire combien ils sont aimés ! » Depuis 1658, plus de 4 000 prêtres des Missions étrangères de Paris sont partis sans retour, dans un pays qu’ils n’ont pas choisi, au service des peuples d’Asie et de l’océan Indien. Aujourd’hui, ils sont 130 à porter une conviction au bout du monde : nul n’est exclu de l’amour du Christ. Leur courage et leur dévouement dévoilent une humanité bouleversante.
♥♥♥ Les caméras de Damien Boyer nous conduisent dans le quotidien rude mais lumineux de cinq vies offertes pour le Christ et le prochain : sur les eaux du Cambodge, aux abords de la frontière nord-coréenne, dans un village reculé de Madagascar, dans une recyclerie taïwanaise, et dans les ruelles de Calcutta. Ni héros, ni martyrs, ces prêtres offrent leur vie pour ceux que Dieu aime et que le monde a oubliés. La simplicité et la sincérité de leurs témoignages rappellent que le don n’est pas vain. Mêlé de récits historiques et de souvenirs des martyrs qui ont peuplé l’histoire des MEP, ce film sur l’engagement et le don de soi réveille l’élan missionnaire.
Pétronille de Lestrade





