Anne et Marie, reines de Bretagne - France Catholique
Edit Template
Chez nous, soyez Reine !
Edit Template

Anne et Marie, reines de Bretagne

Image :
Procession devant Saint-Anne-d’Auray (Morbihan), lors d’un Grand Pardon. © Hervé Mahé

Anne et Marie, reines de Bretagne

Anne et Marie, reines de Bretagne

Le sanctuaire Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan), qui fête les 400 ans des apparitions de la mère de la Vierge à un paysan breton, Yvon Nicolazic, fait vivre la transmission et l’espérance.
Copier le lien

Sainte Anne apparaît soudainement dans le ciel breton, plusieurs kilomètres avant que l’on ne rejoigne le sanctuaire. Il faut dire que la statue de 3,5 tonnes qui orne la flèche de la basilique de Sainte-Anne-d’Auray, dans le Morbihan, est juchée à 75 mètres de hauteur. Comme Pontmain, située dans le diocèse voisin de Laval, l’immense sanctuaire se niche au cœur d’un petit village – à peine 4000 habitants. C’est ici qu’entre 1623 et 1625, la mère de la Vierge Marie apparut à un paysan, Yvon Nicolazic, afin de lui demander de restaurer son culte abandonné depuis près de 1000 ans.

1625-2025 : le sanctuaire s’apprête à achever, dans quelques jours, le grand Jubilé des apparitions de sainte Anne, avec l’arrivée de la « Troménie », pèlerinage circulaire à travers la Bretagne d’une statue de la Mère de la Vierge portée sur une calèche, entamée le 12 mars dernier. Fruit de deux ans de préparation, la Troménie a cherché à « raviver la foi des paroisses et ramener les bretons au Christ » explique le général Rémi Seigle, son organisateur. Parcourant la région grâce à un maillage et réseau local de 300 bénévoles, la calèche a ému petits et grands : « les gamins dans les écoles s’en souviendront, se félicite Rémi Seigle. Quant aux personnes âgées, notamment dans les Ehpad, la Troménie a été une expérience marquante : nous avons vu des larmes couler, car cela leur rappelait leur enfance. »

Le Jubilé s’achèvera par le « Grand Pardon », pèlerinage typiquement breton et éminemment pénitentiel. « La pénitence est au cœur du sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray, confirme Bruno Belliot, secrétaire général des lieux. La confession est ainsi proposée quotidiennement, quatre heures par jour. » Cet esprit de pénitence s’exprime de diverses façons, à commencer par la tradition qui veut que l’on se rende à Sainte-Anne à pied. Le pèlerin qui veut franchir la porte jubilaire, installée jusqu’à la fin juillet, est de plus accueilli par la « Scala santa », un escalier saint sur le modèle de celui gravi par le Christ au moment d’accéder au Prétoire de Pilate et aujourd’hui conservé à Rome après son transfert par sainte Hélène. Si elle est aujourd’hui tombée en relative désuétude, la tradition veut que les pèlerins gravissent les marches à genoux, en récitant le Rosaire et en méditant sur la Passion du Christ.

Transmettre le message de sainte Anne

Dans les jardins de la basilique, l’imposante statue de sainte Anne et la Vierge, sculptée par Alexandre Falguière (1874), attire les fidèles. Pesant près de treize tonnes, elle a été descendue de la flèche, en raison du danger qu’elle avait fini par représenter, dans les années 1970. « Cette représentation traditionnelle de sainte Anne est capitale : on la voit transmettre la foi dans la culture qui est la sienne, relève Bruno Belliot. Aujourd’hui, nous sommes renvoyés à cet impératif de transmission. » Il faut dire que Sainte-Anne-d’Auray a longtemps été un centre dynamique de transmission de la foi auprès de la jeunesse, notamment à travers son petit séminaire. D’abord jésuite, puis diocésain, il finit par se dissoudre dans les années 1970 dans le groupe scolaire de la ville. Depuis 2006, un foyer Jean-Paul-II (voir encadré) cherche à faire vivre cet esprit.

Aujourd’hui, bien que bénéficiant malgré tout d’une foi dynamique, le territoire n’échappe pas au mouvement général de sécularisation. « Nous voulons, par cette démarche jubilaire, présenter le message de sainte Anne car la transmission entre les générations ne s’est pas toujours produite, constate Emmanuel Auvray, responsable du chemin jubilaire. Toutefois, la génération qui n’a pas transmis se souvient de son enfance. Cela signifie que la cassure est récente et qu’il suffit de souffler sur la braise pour faire repartir la foi. Nous espérons que ce Jubilé en sera l’occasion. »

De plus en plus de familles

Ces derniers temps, les fidèles du sanctuaire affirment de fait que les choses changent, relevant que les messes du dimanche accueilleraient toujours davantage de familles avec enfants. « Il faut dire que Sainte-Anne-d’Auray est un endroit formidable, lance Marie-Claire. Quand je viens ici, ça me ravigote comme on dit chez nous. Saint-Anne est un lieu où l’on se recueille, peut-être plus que dans une paroisse… » À ses côtés, son mari Guy acquiesce. « Ce lieu n’est pas un endroit comme les autres » abonde-t-il. Avec son épouse, ils sont engagés depuis plus de vingt ans dans le sanctuaire. Guy évoque ses deux enfants, lourdement handicapés – ils sont atteints à la fois de cécité et de surdité. « Quand mon fils aîné vient à Sainte-Anne-d’Auray, croyez-moi, il sait très bien où il se trouve et il comprend très bien ce qui se joue ici » insiste-t-il, plongeant ses yeux dans les vôtres.

Dans l’imposante basilique, la dévotion semble en effet bien vivante, en témoignent les dizaines de cierges illuminant l’autel dédié à sainte Anne. Installé à deux pas du lieu indiqué par la sainte à Yvon Nicolazic pour bâtir le sanctuaire, il propose à la vénération des fidèles la statue traditionnellement portée en procession chaque été – une reproduction de celle trouvée, à l’époque, par Yvon Nicolazic. Il ne reste, en effet, de l’originale qu’un fragment de visage, providentiellement retrouvé dans les cendres, après que les révolutionnaires l’eurent brûlée à Vannes. « Sainte-Anne-d’Auray est aussi un sanctuaire d’espérance », souligne l’abbé Thierry Félix, chapelain. Baptisé à 40 ans, il ressentit la vocation ici même lors d’une messe de la Pentecôte. « Il faut bien avoir en tête que lorsque sainte Anne apparaît à Nicolazic, la situation dans les campagnes est terrible : les prêtres ont déserté leur paroisse, les évêques leurs diocèses… Le concile de Trente, qui allait réformer tout cela, n’était pas encore arrivé jusque-là. Et pourtant, sainte Anne lui a demandé l’espérance… Le résultat est sous vos yeux. »

L’espérance

Cette espérance, fruit de la transmission dans les familles de la dévotion à sainte Anne, se retrouve de manière très concrète dans le « trésor » du sanctuaire, exposé dans le musée du cloître de la basilique : des objets, donnés depuis des siècles, en intention de prière ou en action de grâce. Si les objets précieux d’Ancien Régime ont disparu, comme souvent partout ailleurs, lors de la Révolution, afin d’être fondus, demeurent des objets touchants, symboles d’une piété populaire bien vivante. Ainsi de ces épingles ou piles, avalées par des enfants et recrachées grâce à l’intercession de sainte Anne ; une bague, sertie d’une pierre précieuse, donnée par une mère au sanctuaire afin que son fils se réconcilie avec sa femme ; ou encore un col romain, donné il y a peu par un prêtre fraîchement ordonné, en remerciement à sainte Anne pour son rôle dans sa vocation. Bien sûr, emblématiques du sanctuaire : les dizaines de souliers d’enfants, chaussons et chaussures de ville, donnés en action de grâce pour une grossesse qui semblait ne jamais arriver.

Mémoire des Bretons tombés pour la France

À l’extérieur de la basilique, le mémorial de la Grande Guerre est un autre lieu incontournable et incarne, là encore, le désir de transmission. Imposant monument de 52 mètres de haut et de 12 mètres de diamètre, érigé par l’architecte René Ménard en 1922 à la demande des cinq évêques bretons, il est un haut lieu de la transmission de la mémoire catholique et bretonne. D’abord, parce qu’il est une chapelle, où sont célébrées parmi les plus grandes messes du sanctuaire, à commencer par celle du Grand Pardon. Cette année, 15 000 fidèles sont attendus pour la messe qui sera célébrée par le cardinal Robert Sarah, envoyé spécial de Léon XIV à cette occasion. Ensuite, parce qu’il est entouré d’innombrables plaques de marbre en souvenir des Bretons tombés au champ d’honneur de la Première Guerre mondiale. Avec une différence notable : ce ne sont pas les communes qui font part de leurs morts, mais les paroisses bretonnes.

Les lieux illustrent l’équilibre subtil du sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray : universel puisque catholique, mais farouchement breton. La Bretagne fut d’ailleurs consacrée à sainte Anne par saint Pie X le 26 juillet 1914 – un des derniers actes de son pontificat, se plaît-on ici à relever. « Le sanctuaire n’est pas réservé aux Bretons, la preuve : il y a même des pèlerins qui viennent de Rennes » explique très sérieusement – et avec une pointe d’agacement – un vieux fidèle de Sainte-Anne-d’Auray. Et si l’on y chante toujours en breton le cantique à sainte Anne, sa traduction française a été révisée : « Ô Bonne Mère,/Toi que nous implorons,/Entends notre prière,/Et bénis tes Bretons » a ainsi été transformé en « Et bénis tes enfants ». Alors, à qui s’adresse sainte Anne ? « Sainte Anne enseigne la Vierge Marie, qui elle-même nous montre le Ciel… Cela montre bien que cette dévotion est à la fois enracinée, mais destinée à tous, puisque menant au Christ » sourit l’abbé Thierry Félix.

Dans le sanctuaire, tous s’accordent sur le rôle essentiel que la dévotion à sainte Anne aura pour la transmission de la foi catholique, rappelant les nombreuses vocations, missionnaires en particulier, ayant éclos sur cette terre. Mais l’argument le plus efficace est surtout d’ordre familial : si sainte Anne est bien « Mamm Gozh ar Vretoned », « grand-mère des Bretons », comment pourrait-elle abandonner sa famille ? 

Le Foyer Jean-Paul-II

Réveiller, si elle existe, la flamme vocationnelle : lancé en 2006 par l’évêque de Vannes, Mgr Yves Centène, le Foyer Jean-Paul-II attire chaque année une vingtaine de collégiens et lycéens qui, en dehors des cours, vivent une vie communautaire placée sous le signe de la foi. « Le climat de ferveur de la foi qui règne ici attire beaucoup » constate l’abbé Jean-Marie Surel, lui-même passé par les lieux il y a seize ans, durant son année de propédeutique. Car c’est l’une des particularités du Foyer Jean-Paul-II : les propédeutes du diocèse de Vannes vivent dans un bâtiment connexe, participant à des activités communes avec les jeunes et dînant plusieurs fois par an avec eux – l’occasion de parler de la vocation.

Messe quotidienne, complies en présence de séminaristes, chapelet tous les jeudis… La pratique de la foi est au cœur de la vie des étudiants. « Nous transmettons aux jeunes le bagage pour affronter la vie en tant qu’hommes, à commencer par la charité » explique Pierre Artur, éducateur du Foyer qui, pour le moment, a donné un peu plus d’une quinzaine de vocations religieuses ou sacerdotales.  
C. V.