Vladimir Boukovsky, le baptême et la chute du mur de Berlin - France Catholique
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Vladimir Boukovsky, le baptême et la chute du mur de Berlin

Traduit par Bernadette Cosyn

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Tout au long de sa vie, le grand dissident soviétique Vladimir Boukovsky, décédé le 27 octobre dernier, de même que des légions d’autres héros moins connus qui ont souffert sous les dictatures meurtrières contemporaines, a prouvé que même des régimes totalitaires ne peuvent pas éradiquer l’esprit humain, le désir moral d’un sens à l’existence.

J’ai eu la grande chance de rencontrer Vladimir Boukovsky en 2000, lors d’une conférence en Autriche, où il parlait de documents qu’il avait trouvé quand Boris Eltsine l’a autorisé à fouiller les archives du Kremlin.

Ces documents étaient d’une importance historique titanesque : ils montraient que le gouvernement de l’Union Européenne avait été soigneusement infiltré par le KGB, sur ordre de Gorbatchev. Pourtant, assez incroyablement, maintenant que la Guerre Froide était soudain achevée, l’Occident semblait avoir perdu tout intérêt.

C’était comme si la soudaine et inexplicable démolition du Mur de Berlin avait créé une dissonance cognitive massive conduisant, de la prise de conscience qu’il n’y avait plus besoin de défense nucléaire, à l’impression qu’il n’y avait plus non plus nécessité de se battre pour préserver la culture.

Fort heureusement, ce qu’a vécu Vladimir durant sa vie l’a aguerri ; il est resté parfaitement impassible alors qu’il illustrait les parfaites « coïncidences » entre la structure de la vieille Moscou communiste et les institutions de Bruxelles.

Après cela, j’ai eu plusieurs occasions de le rencontrer de nouveau aux événements organisés par les Comités pour la Liberté / Comitatus pro-libertatibus dont il était le président international.

Lors d’une de ces occasions, à Assise, il m’a parlé de quelque chose d’intéressant le concernant et que, selon moi, peu de gens connaissent : Vladimir Boukovsky a été baptisé.

Né après la démolition des églises et la destruction physique, psychologique et morale des prêtres, Boukovsky a grandi sous les rigueurs de Joseph Staline quand il s’est fait baptiser, par besoin de se rebeller m’a-t-il dit.

Il avait seize ans quand un jour sa mère, qui travaillait pour Radio Moscou, est revenue à la maison découragée, expliquant qu’on lui avait dit qu’elle devait devenir membre actif du Parti Communiste. C’était supposé être un grand honneur qu’être distingué pour devenir membre – en URSS, vous ne vous ne vous contentiez pas d’adhérer, vous deviez être choisi – et c’était une offre que vous refusiez à vos risques et périls.

Son fils, qui s’était déjà engagé dans la résistance morale avec ses pairs, ce qu’il décrit dans son livre ‘Bâtir un château’, était fou furieux. Il s’est creusé la tête, essayant de penser à la chose la plus dramatique qu’il pourrait dire pour l’arrêter, bégayant : « si tu fais cela, je vais…je vais… » jusqu’à ce que finalement il éructe : « je me ferai baptiser ! »

Se faire baptiser en Russie soviétique était une initiative osée, une démarche très dangereuse. Durant les décennies ayant suivi la Révolution Communiste, les bolcheviks avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour anéantir la religiosité russe : non seulement les prêtres et les religieuses avaient été torturés et massacrés par milliers, mais les églises, les cathédrales et les sanctuaires avaient été dévastés et les corps des défunts prêtres et religieuses exhumés et exposés dans une tentative de prouver qu’après la mort il n’y a pas de résurrection mais seulement des os en décomposition.

Quand sa mère fut néanmoins contrainte de s’exécuter, comme on pouvait s’y attendre, Vladimir est parti en recherche d’un prêtre pour le baptiser. Cela s’est révélé plus facile à dire qu’à faire, au vu de grand risque qu’entraînait l’administration des sacrements. A la fin, il a quand même trouvé un prêtre qui voulait bien le faire, dans un coin reculé du pays.

Sérieux comme il l’était déjà, après le baptême, il a demandé à être instruit de sa nouvelle religion. Le prêtre lui a donné une Bible, qu’il s’est mis à lire avec application, en commençant par la Genèse. Mais sans guide ni explication, le texte lui est apparu déroutant, archaïque et décevant. Et ce fut la fin de l’expérience.

Mais Boukovsky avait l’étoffe d’un croyant, et ses arguments montraient qu’il avait toujours continué d’y penser.

« Si le Christ est mort pour me sauver, pourquoi personne ne me l’a-t-il jamais dit ? » m’a-t-il objecté un jour.

« Eh bien, maintenant, n’est-ce pas ce que je suis en train de faire ? ». Il a alors esquissé un sourire, ce qui était beaucoup, parce que bien qu’ayant un grand sens de l’humour, le sourire ne lui venait pas facilement aux lèvres.

Il est alors revenu sur le sujet : « Les apôtres, les gens qu’il avait choisis, ils l’ont tous abandonné. Ne se rendait-il pas compte de qui il choisissait ? » J’ai répondu : « Oui, au pied de la Croix il n’en restait qu’un, mais par la suite tous sont morts martyrs ! » Il a beaucoup aimé cette réponse. Il était content de ne pas pouvoir démolir le Christ ; il avait toujours réussi, en mettant toutes ses forces dans la bataille, à démolir les hypocrites puissants auxquels il a été confronté. Non pas matériellement ni physiquement, mais moralement.

Il est d’une poignante ironie que Vladimir Boukovsky soit mort à 10 jours du trentième anniversaire (le 9 novembre) de la chute du Mur de Berlin, une date qui s’est effacée de la mémoire de la plupart des occidentaux, mais qu’il avait prévu de tourner en opportunité pour se focaliser sur le travail inachevé consistant à exiger des comptes du communisme. Son dernier livre ‘Jugement à Moscou’, enfin publié en anglais, est seulement un commencement de l’expertise de l’idéologie anti-chrétienne, anti-humaine et meurtrière qu’est le Marxisme, qui continue d’attirer actuellement nombre d’imprudents, même au sein des églises.

Alessandra Nucci, italo-américaine, est auteur et journaliste pigiste. Elle a gagné à Florence le prix Golden Florin pour son livre sur le féminisme radical.

Illustration : Vladimir Boukovsky

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/11/07/vladimir-bukovsky-baptism-and-the-fall-of-the-berlin-wall/