Une rencontre tardive - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Une rencontre tardive

L’auteur classique le plus familier des Français depuis quatre siècles est né le 8 juillet 1621, à Château-Thierry (Aisne). Mais c’est sa mort qui éclaire la vérité d’un homme…

La Fontaine et Dieu

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La Fontaine dans le quartier d’Auteuil à Paris, avec l’ancienne église aujourd’hui détruite en arrière-plan.

La Fontaine dans le quartier d’Auteuil à Paris, avec l’ancienne église aujourd’hui détruite en arrière-plan.

Des visages qui figurent la France, celui de La Fontaine est un des plus justes, en vertu d’un miracle littéraire. En 1668, à 47 ans, cet écrivain qui se cherche d’un genre à l’autre s’empare d’un héritage venu du fond des âges, sans goût ni grâce, relégué au rang de poussif exercice scolaire : celui de l’apologue, récit bref et sec à l’appui d’une morale. Il y trouve son génie : la fable était née. Renversant la loi du genre, il transfigure la modeste fiction. Il lui confère ce qu’il appelle la « gaieté ». C’est le goût, le sourire, c’est la grâce. Finement choisies, les ressources de la langue concourent à cette réussite, sans le moindre pédantisme.

« Notre Homère »

Dans son Essai sur les fables de La Fontaine (1863), Hippolyte Taine écrit : « C’est La Fontaine qui est notre Homère. » Poète épique ? Non pas, mais celui qui a pourvu la France d’une grande part de son identité grâce aux Fables, « Une ample comédie à cent actes divers / Et dont la scène est l’univers ». Nous lui devons notre oreille, notre œil, faune et flore de nos campagnes, notre imaginaire et, sinon notre sagesse, qui serait un peu courte, un recours contre bêtise et vanité, « Deux pivots sur qui roule aujourd’hui notre vie ».

Qui était l’homme ? Un des plus difficiles à connaître. On l’appelait « le Bonhomme ». On faisait de lui le portrait d’un distrait. Il s’en accommodait, par la liberté que cela lui donnait. Mais il demeure insaisissable – et d’abord à lui-même. À la fois le loup et le chien : le chien qui passe un collier chez les « grands », le loup qui préfère la liberté. Il ne le cache pas : il est « papillon du Parnasse ». Dans la mythologie grecque, le Parnasse était la montagne d’Apollon, dieu des arts, de la poésie et de la lumière, et des Muses, inspiratrices des poètes.

Dans son Discours à Madame de La Sablière (1684), il écrit :

Je suis chose légère,
et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur,
et d’objet en objet ;
À beaucoup de plaisirs
je mêle un peu de gloire.

Les « plaisirs » sont au pluriel… La Fontaine est homme de plaisirs. Cela aussi, il l’avoue sans gêne, dans Les Amours de Psyché et de Cupidon (1669) :

J’aime le jeu, l’amour,
les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir
d’un cœur mélancolique.

Telle était sa nature.

18 mois de séminaire

Comment cacher qu’elle s’accommodait assez mal avec les promesses de son baptême ? Lui qui avait pourtant commencé par 18 mois de séminaire à l’Oratoire. Il y lut saint Augustin, et les Pères de l’Église, mais plus volontiers L’Astrée, au risque d’arriver en retard aux laudes. « Ne point errer est au-dessus de mes forces », dira-t-il. Jean quitta l’Oratoire. Et il erra. Errances et errements. Loin de l’Église ? Ordre, rigueur, constance, persévérance, les vertus chrétiennes élémentaires n’étaient pas vraiment son fait. Il prit ses distances, sans y penser, sans acrimonie, restant même dans la mouvance. Deux exemples. En 1671 – il a 50 ans – il apporte son concours à une anthologie de poésie religieuse, à l’initiative de Port-Royal. Il prête son nom, qui était célèbre, au Recueil de poésies chrétiennes et diverses, dédié à Monseigneur le prince de Conti. Il écrit la dédicace au prince (32 vers) ; il glisse dans le recueil une Paraphrase du psaume XVIII en 160 vers (cf. encadré). La paraphrase n’est pas traduction, mais imitation libre d’une page de l’Écriture. La Fontaine y montre des qualités égales aux mêmes exercices chez Corneille et Racine.

Autre épisode, sans date, raconté par Louis Racine, dans la Vie de Racine (Jean, son père) : « Tout ce qui était beau le frappait. Mon père le mena un jour à Ténèbres ; et, s’apercevant que l’office lui paraissait long, il lui donna pour l’occuper un volume de la Bible qui contenait les petits prophètes. Il tombe sur la prière des Juifs dans Baruch ; et ne pouvant se lasser de l’admirer, il disait à mon père : “C’était un beau génie que Baruch : qui était-il ?” Le lendemain, et plusieurs jours suivants, lorsqu’il rencontrait dans la rue quelque personne de sa connaissance, après les compliments ordinaires, il élevait sa voix pour dire : “Avez-vous lu Baruch ? C’était un beau génie.” » Comme c’est là La Fontaine !

Hélas, avec l’âge, l’homme s’avilit et son inconduite désole ses amis. Jusqu’au jour de décembre 1692 (71 ans) où le fabuliste tombe « dangereusement malade ». Le curé de Saint-Roch lui envoie un vicaire de 26 ans, l’abbé Pouget. La mission effraie le jeune docteur, qui gagne pourtant le poète. Il le convertit, obtenant de lui une rétractation publique de ses Contes et autres œuvres licencieuses. La cérémonie a lieu dans sa chambre, en présence d’une délégation de l’Académie, de ses amis, de voisins et de curieux. La Fontaine prononce la rétractation attendue – nous avons le texte – et reçoit le viatique.

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