Une réforme de nuls - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Une réforme de nuls

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Le serpent de mer de la réforme de l’orthographe a, pour la centième fois (au moins) depuis que la langue de France résonne sous les chênes de Vincennes, refait surface avec, en point d’orgue, le rejet programmé de quelques accents sans lesquels pourtant il deviendrait impossible de reconnaître une dizaine de sons parmi les quelques vingt-six qui composent aujourd’hui le clavier de notre langue : ce seul détail prouve à quel point une telle réforme est irréfléchie, pur phantasme d’inconscients. Ce serait pourtant une catastrophe pour tous les locuteurs de cet idiome qui est aussi, et peut-être en premier, une musique d’un caractère très particulier, celui d’une civilisation soucieuse à la fois de précision et de beauté.

Cette musique, je l’ai toujours aimée, aussi bien à la lire qu’à l’entendre et la dire, quoique me rendant souvent compte de mon incapacité à la servir selon ce qu’elle exige, la perfection : au point que lors des six récitals de poésie que j’ai effectués en Allemagne de l’Ouest trois ou quatre années avant les événements réjouissants de 1989, je commençais par prévenir mes auditeurs que je ne me préoccuperais que d’être audible ‘’et’’ musicien des mots : le poème, plus que tout autre discours, exige que soit soutenue la musique qui lui est consubstantielle ; elle est de toujours et s’interprète autant en osant distinguer attentivement entre les notes du clavier qu’en soignant autant la précision de la prononciation que celle de l’articulation, aujourd’hui l’une et l’autre si souvent relâchées.

Parlons des détails, donc des voyelles et des consonnes. Les premières émettent les sons, les secondes orientent les mots. Toutes respectent intérieurement leur partition et suivent les indications du ‘’parleur’’, le chef d’orchestre. Celui-ci a pour souci majeur que ses auditeurs reçoivent le discours sans avoir à tendre l’oreille : on ne parle pas à haute voix pour soi-même, seulement en vue d’être compris. Et pour cela, il convient qu’il s’en tienne au respect de l‘intégralité de la partition. Le principe s’exprime ainsi : « L’énergie de l’écoute est donnée par le parleur, non par l’auditeur »… D’où l’essentiel : le parleur « se donne », se livre, s’oublie ! Acte d’amour offert à celui qui l’écoute, à moins qu’il s’agisse d’un public plus ou moins nombreux… Faillir à cette règle est le vice de ce temps. Neuf cents discoureurs sur dix démontrent chaque jour qu’il préfère s’écouter que de se faire entendre, c’est-à-dire communiquer efficacement leur message. Souvent ils accusent ensuite leurs auditeurs de ne les avoir pas écoutés alors que ces pauvres diables n’y pouvaient mais puisque le travail d’élocution responsable n’avait pas été fait.
Parlons un peu technique. Pour émettre une parole, il convient de connaître le clavier des sons, aussi les possibilités des abdominaux, du diaphragme et des côtes flottantes, dont la mission est d’émettre un souffle suffisant afin de permettre aux cordes vocales de vibrer idéalement, souffle sonore qu’il faut ensuite envoyer jusqu’aux sinus de la face, sorte de chambres d’amplification des sons : si bien qu’une voix bien placée paraît surgir des yeux… Il faut aussi de connaître les mouvements de gymnastique des lèvres, de la bouche et de la langue…

Exemples concernant la formation des consonnes : il faut plus ou moins ouvrir les lèvres ; faire ou non plus ou moins pression de la langue sur les dents, ou la faire se replier en arrière ou parfois il lui faut s’appuyer sur le voile du palais… afin que ressortissent convenablement les consonnes, sans lesquelles il n’existe pas de mots audibles… On nomme ‘’articulation’’ l’ensemble de ces différents mouvements qui font qu’une voyelle va s’inscrire dans tel ou tel vocable ‘’articulé’’ en plusieurs syllabes…

Commençons par quelques voyelles : d’abord et naturellement le ‘’A’’. Sans chapeau chinois, il est impossible de distinguer, lorsque l’on parle, de quel son ‘’A’’ il s’agit, c’est-à-dire en quelle syllabe la voyelle s’inscrit. C’est ainsi, par exemple, qu’il faut tenir compte de l’accent circonflexe, pour comprendre qu’il s’agit des membres du chat, non de la mixture dont on fait son pain. Mais cet accent porte en lui-même l’obligation de donner un son grave à la ‘’pâte’’ du pain et de garder un son plus léger sur le ‘’a’’ sans chapeau chinois de la ‘’pat’’te du chat.

Comment donc donner un son grave au son ‘’pa’’ ? En ouvrant la bouche à l’horizontale… Et comment faire avec le son ‘’pâ’’ ? Par un mouvement vertical de la mâchoire. Mais que faire avec les ‘’O’’ de ‘’cote’’ et de ‘’côte’’ ? Que mon lecteur travaille à ma place et qu’il se regarde dire ces deux mots successivement en prononçant ‘’cote’’ à la provençale et ‘’côte’’ en resserrant assez sa bouche pour que son ‘’ô’’ corresponde au son de ‘’pau(me)’’ ou ‘’peau’’.

Impossible de traiter ici de toutes les voyelles et de toutes les consonnes : mais j’en ai assez dit pour que chacun saisisse que tout parleur doit consentir à un effort suffisant pour respecter sa langue maternelle dans toute sa richesse orale, sans omettre naturellement de la respecter dans sa richesse grammaticale, notamment en ce qui concerne les participes passés. Je suis très souvent irrité de voir avec quel culot des politiciens, des journalistes, même des écrivains osent nous balancer des phrases qu’ils rendent difficilement compréhensibles en négligeant de dire de quels sexes sont ces participes passés. Lors d’une récente séquence de l’émission de Monsieur Pujadas, « Paroles et des Actes », j’ai entendu Monsieur Cohn-Bendit faire systématiquement l’impasse sur cette règle, rendant parfois absurde son propos… Je finissais par craindre que notre héros soixante-huitard, en nos temps de « multiplication des genres » ait fini par ne plus savoir ce que sont un homme et une femme… Mais Monsieur le nouvel académicien, Alain Finkielkraut, savait, quant à lui, fort bien faire entendre la différence…

Dernières remarques : l’écriture de notre langue est en elle-même un langage. Un code. Une œuvre d’art graphique. ‘’Nénuphar’’ n’est pas le même mot, esthétiquement, que ‘’nénufar’’. ‘’Paon’’ dit tout autre chose que ‘’pan’’. Et même ‘’oignon’’ est plus riche de possibilités qu’ ’‘ognon’’. Nous avons, nous autres encore Français, a faire connaître notre langue jusqu’aux secrets de son apparence scripturaire : l’orthographe ne peut pas se limiter à n’être qu’un graphisme utilitaire. Les variations d’agencement des mots dans leur forme traditionnelle équivaut à un témoignage d’ancêtres parfois plusieurs fois centenaires : c’est comme un enregistrement secret que nous pouvons décrypter pour nous-même… Vouloir rendre cette œuvres des siècles facile à apprendre c’est nourrir le dessein de tuer ce patrimoine sur lequel nous n’avons qu’un pouvoir qui n’est qu’un devoir : transmettre fidèlement. Son génie est de s ‘épanouir dans la difficulté. Ouvrir, parfois avec long effort, ses barrières équivaut à nourrir nos neurones, à les doper plus efficacement que n’importe quelle drogue sans pour autant exposer quiconque à la sclérose ou à la dose de mort. Elle cache en elle une capacité d’ouverture à des mystères de bonheur et de joie : pour y atteindre il faut, naturellement, découvrir les clefs les plus cachées… notamment celles de la création de poèmes ou de nouvelles…

C’est ainsi que ses règles de néologie 1 sont plus exigeantes en références étymologiques que l’anglaise, d’où une précision supérieure, qui fait du français une langue pour les sciences qui aurait dû être défendue plus ardemment par les autorités publiques plutôt que de laisser à l’anglais une place alors usurpée : c’est pourquoi les innombrables paresseux de l’esprit qui sévissent dans le monde de la science, des sports, du commerce et même des arts – soit disant formés par notre éducation dite nationale – vont au plus pressé, donc au plus nul, l’anglais international, c’est-à-dire basique, cet anglais en train de laisser dépérir celui de toujours ; plutôt par exemple que de dire « ‘Cours expert’ ou ‘Cours magistral’ ou ‘Cours fondamental’ ou ‘Surclasse’ » se contenter de ‘’Master-class’’, dont se repaissent maints directeurs et profs de conservatoires… Le snobisme décidément !

  1. Toujours avoir à sa portée l’ouvre de Maurice Grévisse : plus qu’une simple grammaire, un trésor.