Une éthique du ressenti - France Catholique

Une éthique du ressenti

Une éthique du ressenti

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De nos jours, de nombreux Américains sont sceptiques au plan moral ; c’est-à-dire qu’ils nient l’existence d’un savoir moral. C’est particulièrement le cas chez ceux qui se considèrent eux-mêmes comme des progressistes au plan politique et culturel. Il y a bien des croyances morales, concèdent ces gens, mais il n’y a pas de savoir moral. Ils tiennent pour acquis qu’il n’y a pas de révélation divine. Comment cela se pourrait-il alors que (selon les suppositions habituelles des progressistes) il n’y a aucune bonne raison de croire à l’existence de Dieu ? Peut-être qu’Il existe, peut-être qu’Il n’existe pas. Et même si Il existe, il est idiot de penser qu’il se révélerait en écrivant un livre, la Bible.

Quant à la prétention catholique selon laquelle l’Eglise Catholique serait la gardienne de la révélation divine, un regard jeté à l’histoire sanguinaire de l’Eglise devrait suffire, pensent les progressistes, à convaincre tout un chacun que Dieu, si Il existe, choisirait quasiment n’importe quelle autre organisation comme véhicule de sa révélation. Et si vous ne voulez pas vous donner la peine de vérifier la longue et scandaleuse histoire de l’Eglise, jetez un regard à l’Eglise Catholique actuelle. En d’autre mots, à l’église des abuseurs d’enfants et des protecteurs de ces abuseurs.

Si Dieu existait, et si Il était assez farfelu pour faire une révélation via une organisation faite de main d’homme, pourquoi choisirait-Il une organisation aussi corrompue que l’Eglise Catholique ? Ne serait-Il pas plus susceptible de choisir par exemple les Nations-Unies, la Cour Internationale de Justice, le comité Nobel, l’université Havard ou le réseau public de télévision ?

S’il n’y a pas de savoir moral via une révélation divine, il n’y en a pas non plus, selon ces sceptiques, via la raison, c’est-à-dire via les capacités cognitives naturelles de l’homme. Comme humains, nous avons l’aptitude de connaître les choses qui ont des caractéristiques concrètes – la couleur, le son, la forme, le mouvement, etc. Et c’est tout. Mais les notions comme juste et injuste, bien ou mal, n’ont pas de caractéristiques concrètes. Nous pouvons savoir que le meurtre est sanglant car nous pouvoir voir le sang, le toucher, l’examiner en laboratoire. Mais nous ne pouvons pas savoir que le meurtre est mauvais car quelle est la couleur du mauvais, combien pèse-t-il, comment le soumettre à une analyse chimique ?

Regardez partout dans le monde. Si nous pouvons savoir ce qui est juste ou injuste, ce qui est bien ou mal, pourquoi y a-t-il si peu de consensus sur ces sujets ? Pourquoi certains disent-ils que l’avortement est mal tandis que d’autres n’y trouvent absolument rien à redire ? Pourquoi certains disent-ils que les animaux ont des droits alors que d’autres disent que c’est le comble de l’absurdité ? Pourquoi certains condamnent-ils le terrorisme islamique tandis que d’autres soutiennent que égorger des chrétiens est un devoir religieux ?

Maintenant, ceux d’entre nous qui croient qu’il existe un savoir moral sont désemparés quand nous apprenons qu’il y a beaucoup de personnes qui sont sceptiques au plan moral. Car le scepticisme moral ne conduit-il pas logiquement à une conduite immorale ? Si nous ne pouvons pas savoir si X est juste ou injuste, ne nous sentirons-nous pas libre de faire X même si X est extrêmement mauvais ?

Ne vous inquiétez pas, déclare le sceptique moral progressiste. Si les convictions morales ne peuvent être basées sur le savoir, elles doivent être basées sur les sentiments, car il n’y a pas de troisième voie. Mais quels sentiments ? Eh bien, des sentiments de compassion. Nous humains sommes par nature des animaux compatissants. Cela nous peine de voir d’autres personnes (ou d’autres animaux) avoir mal. Nous souhaitons soulager leur souffrance, en éliminer les causes ; et si la cause de cette peine ou de cette souffrance se trouve être un autre être humain, nous souhaitons faire obstacle à l’action de cette personne.

Si votre moralité est basée sur la compassion, alors vous serez une bonne personne. Non seulement vous vous abstiendrez d’infliger une souffrance, mais vous soulagerez la souffrance des autres. Vous serez du côté des victimes, du côté des perdants.

Il ne faut alors pas s’étonner que lorsqu’on en vient à la politique, les progressistes soient les champions toutes catégories des perdants – de ceux qui sont supposés être victimes de racisme, de sexisme, d’homophobie, de transphobie, d’islamophobie et ainsi de suite. Comment une personne compatissante pourrait-elle manquer à se faire le champion de ces victimes ?

Mais qu’en est-il de Hitler et de Staline ? Ils étaient des êtres humains. Etaient-ils motivés par la compassion ?

Si la morale doit être basée sur le sentiment, pourquoi ce sentiment devrait-il être la compassion ? Pourquoi cela ne pourrait-il pas être la colère ou la paranoïa ? Pourquoi cela ne pourrait-il pas être la haine des Juifs, ou des noirs, ou des étrangers en situation illégale, ou des pauvres, ou des capitalistes, ou des prêtres, ou des personnes avec qui nous sommes en désaccord sur le plan politique ou philosophique ? Si une foule en colère vous voit dans la peine, êtes-vous sûr qu’elle réagira avec compassion ? N’est-il pas tout aussi probable, voire plus, que cette foule réagisse avec sadisme et ajoute à votre souffrance ? Durant le règne de la terreur sous la Révolution Française, quelle quantité de compassion chez les foules de spectateurs (des gens comme madame Defarge, la tricoteuse d’un roman de Dickens) quand elles regardaient les têtes tomber dans le panier au pied de la guillotine ?

A mesure que les progressistes se débarrassaient du christianisme, ils ont progressivement agi de même. Ils n’ont pas tout détruit d’un coup. Ils ne voulaient pas administrer un choc trop brutal à ceux qu’ils désiraient convertir. La compassion est le dernier vestige du christianisme.

Si vous êtes un disciple de Jean-Jacques Rousseau, qui croyait que la nature humaine est fondamentalement bonne, vous penserez qu’il est sûr de dépendre d’une morale du sentiment. Mais si vous êtes un disciple de Saint Augustin, si vous vous souvenez de la doctrine du Péché Originel, vous penserez que rien ne peut être plus dangereux.


David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/07/an-ethic-of-feeling/