Une droite en recomposition - France Catholique

Une droite en recomposition

Une droite en recomposition

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L’Ă©tonnante victoire d’Emmanuel Macron doit-elle ĂŞtre interprĂ©tĂ©e Ă  l’aune d’un progressisme revivifiĂ©, ou comme le veut le politologue Philippe Raynaud 1, d’un centrisme enfin assumĂ© au sein de la Ve RĂ©publique ? Ce n’est qu’Ă  l’Ă©preuve du temps que pourra se confirmer la volontĂ© de dessiner une voie originale, qui concilie « en mĂŞme temps » des inclinations contrastĂ©es. Ce qui est sĂ»r, c’est que la droite et la gauche, qui ont assumĂ© alternativement le pouvoir depuis 1958, se trouvent l’une et l’autre « à la ramasse » et dans la nĂ©cessitĂ© d’une refondation. Du cĂ´tĂ© socialiste, cette refondation est d’autant plus problĂ©matique qu’aucun leader n’apparaĂ®t encore sur la scène publique, capable de fĂ©dĂ©rer les Ă©nergies et d’apporter une impulsion idĂ©ologique pour marquer un espace de gauche entre le rĂ©formisme macronien et le gauchisme mĂ©lenchoniste. La droite a trouvĂ©, elle, en la personne de Laurent Wauquiez un authentique chef de file, en dĂ©pit de l’opposition directe des principales figures de l’ancienne UMP juppĂ©iste. Mais la volontĂ© farouche de se revendiquer d’une droite dĂ©complexĂ©e n’est pas indemne d’ambiguĂŻtĂ©s intellectuelles et de difficultĂ©s stratĂ©giques.

Le principal reproche adressĂ© au nouveau prĂ©sident des RĂ©publicains consiste dans la proximitĂ© de sa thĂ©matique avec celle du Front national. Son insistance sur l’angoisse identitaire, ses rĂ©serves prononcĂ©es sur le fonctionnement des institutions europĂ©ennes, et plus encore son inflexibilitĂ© sur les flux migratoires le placeraient sur le mĂŞme terrain que Marine Le Pen, dans une sorte de rivalitĂ© directe. L’objection est d’autant plus recevable que la dirigeante du Front national est elle-mĂŞme dans un processus de refondation de son parti, pour parachever sa rupture avec l’extrĂ©misme provocateur de son père et passer d’une posture contestataire Ă  une position d’accession aux responsabilitĂ©s. L’Ă©chec cuisant du face-Ă -face avec Emmanuel Macron entre les deux tours de la prĂ©sidentielle a imposĂ© la nĂ©cessitĂ© d’une mĂ©tamorphose dĂ©cisive, qui place le Front national dans une situation stratĂ©gique oĂą il ne peut que disputer le leadership de la droite aux RĂ©publicains. Sauf Ă  envisager une alliance avec eux, qui apparaĂ®t d’autant plus improbable que Laurent Wauquiez y perdrait toute chance d’affirmer son orthodoxie farouche.

Le fait de ne pas ĂŞtre aux affaires du pays laisse plus de possibilitĂ© de redĂ©finition intellectuelle, le pouvoir obligeant le plus souvent Ă  privilĂ©gier le pragmatisme face aux problèmes concrets Ă  rĂ©soudre dans l’urgence. La droite est-elle disposĂ©e Ă  se remettre en cause, en participant notamment Ă  la rĂ©flexion de tout un secteur en effervescence, oĂą s’affirment singulièrement les jeunes talents ?

La Manif pour tous, de ce point de vue, a constituĂ© un choc moral qui a dĂ©sinhibĂ© une pensĂ©e, jusqu’ici interdite d’expression publique du fait d’une hĂ©gĂ©monie de gauche, singulièrement de ce que Jean-Pierre Le Goff appelle « le gauchisme culturel », tel qu’il s’est façonnĂ© depuis 1968. Cette effervescence se manifeste de diverses manières, dans des cercles de pensĂ©e, dans des publications pĂ©riodiques, dans des ouvrages qui rĂ©vèlent des personnalitĂ©s. C’est Ă  un point tel qu’on a pu dire que le mouvement des idĂ©es en France, dĂ©fini par Albert Thibaudet (comme « sinistrogyre », c’est-Ă -dire inĂ©luctablement tirĂ© vers la gauche) s’Ă©tait inversĂ© pour devenir « dextrogyre ».

Quoi qu’il en soit, une des manifestations de cette tendance dextrogyre, s’est traduite dans la publication d’un Dictionnaire du conservatisme 2, qui a le mĂ©rite d’approfondir une pensĂ©e de droite, au-delĂ  des clichĂ©s et des stigmatisations. Le principal avantage d’une telle entreprise est de montrer, en effet, la complexitĂ© d’une histoire qui ne se ramène pas aux rĂ©flexes primaires que l’on reproche aux adversaires prĂ©tendus du progrès. Y a-t-il un raccord possible entre cette rĂ©flexion dĂ©volue aux spĂ©cialistes proches des cercles universitaires ou familiers de certains cĂ©nacles avec le monde de la politique pratique ? Oui, sans doute, mais il n’est pas totalement avĂ©rĂ©. Dans la vaste recomposition actuelle, il reste une hypothèse qui pourrait prendre corps.

  1. Philippe Raynaud, Une révolution bien tempérée, DDB, 200 pages, 16,90 €.
  2. Dictionnaire du conservatisme, sous la direction de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Cerf, 1 072 pages, 30 €.