Un effet glacial sur la liberté d'expression - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Un effet glacial sur la liberté d’expression

Traduit par Pierre

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Je me suis bien aperçu que je ne pourrais jamais être engagé dans l’Administration fédérale. Et pourquoi donc ? Parce que je suis un enseignant, et je parle trop.

Je ne pourrai jamais être retenu pour un poste fédéral pour le même motif que Larry Summers a été exclu de la présidence de Harvard, tout comme, au cirque, le clown est lancé par le canon : parce que je préfère examiner les questions sous plusieurs angles et de plusieurs points de vue. Enseignant, vous voulez amener vos étudiants à réfléchir, et une méthode pour ce faire consiste à proposer des exemples hypothétiques, « Et si . . . . ? » – « Imaginez ce qui aurait pu se passer si . . . ? »

Une telle forme d’exploration intellectuelle pourrait se retourner cotre moi, me nuire et me détruire si j’étais candidat à un poste public. Ce qu’on dit peut presque toujours être transformé en ânerie si on le sort de son contexte et le présente d’une certaine façon.

John Stewart [présentateur de télévision] est spécialiste du genre dans son émission “The Daily Show”. Il diffuse un extrait de déclaration d’un homme politique, coupé au bon moment pour le faire paraître idiot, lève un sourcil en regardant la caméra d’un air étonné et dit : « Ah ? », sous un tonnerre de rires de son audience de jeunes adultes. Sous-entendu évident : « on sait bien que c’est un coquin ou un crétin. » Sénateurs, députés et autres politiciens ayant des décennies d’expérience peuvent ainsi être piégés, non par un argument ou une référence irréfutable, mais en levant les yeux au ciel.

Je ne dénie pas à Stewart son pouvoir comique. Mais je détestais sa façon de donner des leçons à la jeunesse Américaine. Son émission aurait pu être intitulée : “Comment se donner le droit d’être super-critique envers les gens qui tentent en toute bonne foi de faire quelque chose pour résoudre les problèmes de société ?“

Je parle de tout ceci parce qu’un honnête homme, Catholique, du nom de Gordon Giampietro, cité voici quelques jours par Hadley Arkes, a été cité pour un poste à la Cour Fédérale. Cet homme est généralement étiqueté ”raciste” et ”non qualifié pour un poste de juge fédéral” car [a] il a donné son approbation à la position de l’Église Catholique sur le mariage lors d’une émission radio catholique et [b] il a semblé émettre un doute (par un très bref commentaire ”hors micro” sur un article de Hadley Arkes) sur le meilleur traitement de ce qu’il appelle le ”péché originel” de l’Amérique — l’esclavage — à l’aide de quotas par critères raciaux. Ces deux points de vue sont, bien sûr, hérétiques pour l’intelligentsia de gauche de notre époque.

L’Église se voit interdire de traiter de ”dissidents” ceux qui réfutent et défient l’enseignement ferme et irrévocable de l’Église Catholique sur l’avortement, et ceux qui osent mettre en question la sagesse habituelle de l’élite de gauche sont étiquetés ”moralement incultes” et mis en quarantaine.

Vous avez droit à la parole si vous êtes Catholique ”bon teint” dans le genre Diane Feinstein ou Nancy Pelosi. Mais si vous êtes un Catholique ”infréquentable” — exemple : le ”dogmatique” Amy Barrett proposé pour un poste à une Cour d’État — vous serez ”inacceptable pour les bien-pensants”. Et puisque les ”tolérants” se disent dans le camp des ”braves gens” luttant contre les forces obscurantistes et intolérantes, ils s’arrogent tous les droits dans leurs démarches.

Saviez-vous — bon à retenir — qu’à notre époque, si, un matin en partant au travail, vous rédigez un commentaire sur un article de The Catholic Thing, un petit politico-farfouilleur payé pour ”détection de mal-pensance” peut le pirater, le triturer et s’en servir à vos dépens — par exemple pour faire échouer votre recherche d’emploi ? C’est ce qui est arrivé à Giampietro.

La Cour Suprême s’est fréquemment (et, selon moi, à juste titre) penchée sur la jurisprudence du Premier Amendement [Constitution des États-Unis] pour rejeter les affaires ayant, selon ses propres termes, un ”effet glacial” sur la liberté d’expression. Les ”Nazillons de la parole” explorant nos écrits et nos déclarations étouffent la liberté d’expression aussi sûrement que toutes les lois reconnues inconstitutionnelles par les Cours.

Je demande parfois à mes étudiants d’imaginer comment les choses auraient pu se passer si, au lieu de la sentence de la Cour Suprême de déségrégation des écoles publiques dans l’affaire Brown contre Services de l’Enseignement on avait trouvé un moyen de déségrégation scolaire sans faire appel à ce genre d’intervention judiciaire. [N.d.T. : Il a fallu une démarche judiciaire aboutissant en 1954 pour faire cesser la ségrégation scolaire aux États-Unis : écoles pour blancs / écoles pour enfants de couleur]. Suis-je hostile à ce genre d’affaire ? Certes, non. Mais on peut se demander si la tendance à se soumettre à la domination judiciaire qui a suivi est bien saine dans une république telle que les pères de la Constitution l’avaient envisagée. Je demande alors de réfléchir si une autre méthode aurait été préférable.

Si quelqu’un avait l’idée de publier un message m’accusant d’être contre la sentence “Brown“ (ce dont je me garde bien) je risquerais d’être exclu de tout poste fédéral. Qui sait ? À cause du scandale, et sans tenir compte de la vérité à ce sujet, mon Université pourrait décider qu’elle n’a plus aucun intérêt à financer l’enseignement d’un théologien “discutable“ tel que moi.

Plus de soixante-cinq pour cent de nos étudiants sont membres de catégories dites “minorités“, et pourraient alors refuser de suivre les cours d’un professeur notoirement “raciste“ et “bigot“ dont on vient de révéler les “iées sordides“ Si on suit ce qui s’est passé récemment avec les médias, nul n’est à l’abri des catastrophes qu’on ne saurait éviter, quelles que soient les tentatives pour les surmonter et aussi sournoises soient-elles.

Gordon Giampietro semble être un honnête homme capable d’interpréter la loi, et non de la manipuler, ce qui, pour ses opposants, semble être un défaut insurmontable. Je souhaite qu’il sera retenu pour occuper un siège à la Cour fédérale. Mais qu’il le soit ou non, nous devons arrêter de politiser chaque mot prononcé comme s’il était révélateur du caractère de celui qui les prononce.

Cette forme de journalisme ”yaka” appauvrit l’expression de la pensée, tant à gauche que chez les conservateurs, et empêche le dialogue, tout particulièrement avec ceux dont on n’approuve pas les idées.

14 mars 2018.

https://www.thecatholicthing.org/2018/03/14/a-chilling-effect-on-freedom-of-speech/

Tableau : Liberté d’expression – Norman Rockwell, 1943 (Musée Norman Rockwell, Stockbridge, Montana)