Syrie : Fallait-il aller sur place ? - France Catholique
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Syrie : Fallait-il aller sur place ?

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Quatre parlementaires français se sont rendus en Syrie et tous les politiques de droite comme de gauche leur sont tombés dessus. Que leur reproche-t-on ? D’avoir osé rencontrer Bachar el-Assad, le « boucher » responsable de la mort de dizaines de milliers de ses compatriotes, pour reprendre les termes entendus.

Mais quelle était la volonté de ces parlementaires ? Tout simplement de comprendre mieux la réalité du terrain et d’essayer de savoir comment les autorités de Syrie envi­sagent, de leur point de vue, le conflit. Un conflit qui, il faut bien le dire, a changé de nature avec l’entrée en guerre de l’État islamique, dont les soldats mercenaires viennent de tous les pays sauf de la Syrie, et qui ne se cache pas, comme le faisaient les révolutionnaires, derrière le voile pudique de la démo­cratie. Eux au moins, leur objectif est clair : installer un État islamique de force en éliminant toux ceux qui ne se plient pas à leur volonté.

Qu’ont répondu les dignitaires de tous bords rencontrés lors de ces quatre jours, qu’ils soient politiques ou religieux ? Qu’aucune victoire contre l’État Islamique ne serait possible sans envoyer des troupes au sol. Or qui combat pour l’instant sur le terrain les islamistes ? La milice kurde bien sûr, qui a libéré Kobané. Ce qu’il reste de l’Armée syrienne libre sans doute. Mais l’Armée Arabe Syrienne (AAS) et ses alliés du Hezbollah portent manifestement l’essentiel de la pression. Or, pas question pour les Occidentaux, et notamment la France, de leur apporter le moindre soutien…

Peu ont relevé que, sur place, les députés français avaient rencontré inopinément une délégation américaine de haut rang, ce qui montre bien qu’en sous-main, les Américains ont repris des contacts. Mais nous Français, nous sommes si attachés à nos principes qu’il n’est pas question d’y déroger : ce ne sont ni les 200 000 morts syriens, ni le martyre des chrétiens (que le chef de l’État évite de nommer en tant que tels pour cause de laïcité 1), ni nos milliers de jeunes gens qui rejoignent les bourreaux islamiques, qui nous feront changer d’avis. Ni les supplications des Syriens qui préfèrent avoir la paix plutôt que la démocratie ou qui nous expliquent qu’une solution politique ne se trouvera qu’en rassemblant à une même table Assad, l’Iran, la Russie, l’Arabie saoudite et les Occidentaux. Plutôt que de discuter sur le fond, on préfère jeter l’opprobre sur cette initiative parlementaire en parlant « de rapporteurs d’affaires », c’est-à-dire de sous-entendre des intérêts mercantiles.

à 28 ans, Joseph Kessel, passionné par l’Orient, faisait en Syrie son premier reportage 2. C’était en 1926, et la Syrie était sous mandat français. Kessel dit déjà la complexité de cette entité politique où coexistent vingt-sept religions, et décrit ce pays magnifique et ses habitants qui l’ont séduit par leur courage et leur fierté. Mais il déplore la valse des hauts commissaires, à peine installés, sitôt rappelés par le gouvernement français qui s’intéresse si peu au pays qu’il méconnaît même la valeur des jeunes officiers qui l’ont conquis.

Près d’un siècle plus tard, rien n’a vraiment changé : les politiques français, perchés sur leur acropole, édictent des avis et des conseils déconnectés de la réalité, et méconnaissent gravement un peuple qui a été pourtant un des amis les plus proches de la France. Comment ne pas conclure en citant une lettre d’un médecin chrétien d’Alep, fondateur des maristes bleus : « Les Syriens souffrent de voir le nom de leur pays associé au terrorisme international, de savoir que 30 000 personnes de 80 nationalités sont venues faire le Jihad en Syrie comme si le Jihad faisait partie de la tradition de la Syrie, comme si la Syrie était un pays d’islamistes extrémistes, alors qu’elle était l’exemple de la tolérance et du vivre-ensemble. Les Syriens, musulmans ou chrétiens, se considèrent d’abord comme Syriens avant de revendiquer leur appartenance religieuse. Ils sont pour le moins déçus par l’attitude des gouvernements occidentaux et de la communauté internationale, par ces pompiers-pyromanes qui n’essayent pas d’éteindre l’incendie — qu’ils ont encouragé et financé chez nous — autrement que par les déclarations télévisées, sans avoir le courage d’envisager une solution politique qui ne serait pas conforme à leurs intérêts égoïstes » ?

  1. Cf. la tribune de Mgr Batut, in FC n°3434, p. 25
  2. Joseph Kessel, En Syrie, coll. Folio, Gallimard.