Suicide - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Suicide

Traduit par Pierre

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Rien ne montre mieux l’influence du christianisme sur la conscience de l’homme que ces réflexions sur le suicide — réflexions d’un chrétien moyen — sans doute aussi vos réflexions :

Je m’en suis gardé dès mon enfance. Comment oser supprimer ma propre existence ? Je n’en avais nul droit. Les miens m’ont tant donné : le temps passé, les sacrifices, les dépenses pour m’habiller, me nourrir, me protéger, m’éduquer. Je suis un investissement considérable apporté par tant d’autres.
Supprimer ma vie, après tous ces efforts serait aussi inepte que m’engager comme chair à canon dans quelque guerre insensée : en tout cas, le suicide ne saurait être selon moi un acte exemplaire uniquement dans mon imagination, alors qu’il n’est quasi rien en vérité.

« Comment n’avons-nous pu entendre son appel à l’aide ? » pourrait-on dire le lendemain — mais un ou deux jours plus tard, on n’en parlerait plus. Nul n’en tirerait une leçon, c’est évident : « çà leur apprendra ! » — Certes pas.
Et cependant, ce que je rappelle par ce paragraphe précédent — un appel à la « raison », semble-t-il, et non à la « révélation » — vient aisément à l’esprit dans le sillage de la civilisation chrétienne. « L’avènement de l’institution de la Chrétienté fut sans doute le pas le plus important franchi dans l’histoire de la philosophie du suicide, car la doctrine chrétienne a immensément soutenu que le suicide est une faute morale, malgré le silence des Écritures à ce sujet. » comme l’énonce (gauchement) l’Encyclopédie de Philosophie de Stanford. Pour les chrétiens c’est un signe d’horreur, mais les incroyants doutent de la rationalité de notre point de vue.

Alors, dirons-nous que notre raisonnement est typiquement chrétien, ou que le christianisme a simplement précisé ce qui appartient en propre à la raison humaine ? Qui sait ?

Accordons deux siècles de maturation pour consolider cette conviction. Ajoutons le principe, si nettement exprimé par St. Thomas, que le code criminel est parfaitement fondé à proscrire des actions intrinsèquement et sérieusement mauvaises (alors que les actes intrinsèquement bons sont encouragés, et les actions neutres sont tplérées), et on atteint la position des Commentaires de Blackstone pour qui le meurtre de soi-même est un crime d’une grande félonie :

En Angleterre la loi considère sagement et religieusement qu’aucun homme n’est habilité à supprimer la vie, si ce n’est selon la volonté de Dieu, son auteur : ainsi, le suicide est une double faute ; faute spirituelle, commise en s’arrogeant les droits du Tout-Puissant pour se précipiter prématurément en Sa présence, sans y avoir été appelé ; et faute temporelle à l’égard du roi, qui a intérêt à préserver la vie de tous ses sujets ; ainsi donc, la loi l’a classé parmi les pires crimes, le qualifiant d’espèce de félonie commise contre soi-même.Felo de se [félonie contre soi], tel est l’acte mettant délibérément fin à sa propre existence.

L’harmonie tient de la vérité. Le raisonnement de Blackstone est à sa recherche, non seulement en elle-même, mais chez des auteurs tel St. Thomas dans la Summa — non par souci d’imiter quiconque mais en coïncidence avec les jugements rationnels.

St. Thomas ajoute cet argument intéressant. Répondant à l’objection que le suicide n’est pas le meurtre de soi-même car nul ne peut s’infliger une injustice, St. Thomas déclare : « Le meurtre est un péché, non seulement parce que contraire à la justice, mais encore contraire à la charité que doit éprouver un homme envers lui-même : vu ainsi, le suicide est un péché commis envers soi-même. »

Retenons l’idée première que la faute du meurtre tient peut-être d’abord au mal commis sur soi-même — après tout, c’est un geste par lequel on se fait assassin ! La faute du suicide réside non seulement dans ce qu’on retire (à Dieu et à la société) mais aussi dans le geste lui-même.

Le suicide, et la tentative de suicide, étaient encore récemment des crimes en Australie (1958), en Grande Bretagne (1961), et au Canada (1972). Aux États-Unis, la plupart des États légiférèrent de même dans les années 1960. En février 2018 un homme fut condamné pour crime dans l’État du Maryland pour tentative de suicide — des mesures légales furent nécessaires pour faciliter la confiscation d’armes d’un individu instable.

Les sanctions du suicide peuvent sembler sévères ; que faire si ce n’est s’en prendre aux biens du mort, ou (comme selon l’ancienne loi Anglaise) inhumer le corps à un carrefour et non en terre bénie ? La législation relative au suicide en a certes effacé l’aspect criminel, sans doute en réaction contre sa sévérité apparente. Mais il y avait deux autres raisons.

D’une part, le succès d’un raisonnement déjà exploré par Blackstone : « Le suicide est en soi révélateur d’une forme de folie ; tout comme si un homme agissant contrairemlent à la raison en était totalement privé ».

Selon Blackstone, le même argument s’appliquerait à tout acte criminel non compos [issu d’un esprit malsain], tout comme au meurtre commis contre soi-même. La loi, en sa sagesse, considère que la mélancolie ou l’hypocondrie ne prive nullement l’homme de la faculté de distinguer le bien du mal.

Il semble équitable de considérer l’état d’esprit de celui qui se suicide comme rarement comparable au trouble mental attribué à celui qui commet un crime. Même le Catéchisme précise que seulement « de graves troubles psychologiques, l’angoisse ou une immense crainte de souffrance, de torture, peuvent atténuer la responsabilité de celui qui commet le suicide. » (n.2282).
L’autre motif, plus inquiétant, était le lien établi entre suicide et avortement selon le même « libéralisme politique » qui exalte l’autonomie individuelle — une idéologie si influente que même John Rawls et Robert Nozick se réunirent dans le « Philosopher Brief » (1997)pour la soutenir. Soyons clairs, et laissons cela aux philosophes : si le droit de donner un sens à l’univers, très clairement exprimé dans Casey (1992), selon eux, n’inclut pas le droit au suicide, il ne comprend pas non plus le droit à l’avortement. Le suicide est un proche parent de l’avortement.

Alors demeure la question : comment le suicide peut-il être considéré en même temps comme un symptôme de dérangement mental et un sujet d’étude attentive pour nos éminents philosophes de gauche ?

https://www.thecatholicthing.org/2018/06/12/on-suicide/

12 juin 2018.

Le suicidé – Édouard Manet, vers 1880 – Fondation E.G. Bührle, Zurich.