Simplification des procès en nullité de mariage - France Catholique
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Simplification des procès en nullité de mariage

Le pape François simplifie, accélère, et rend accessibles et gratuits les procès en nullité de mariage. De quoi s’agit-il ? On essaye de répondre ici en allant à l’essentiel et en simplifiant des notions canoniques : que les spécialistes patientent face aux redites ou à l'absence de termes techniques.
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■ Qu’est-ce que le Pape a publié ?

Natalia Bottineau : Le pape François a publié, en les confiant à la Vierge Marie, le 8 septembre dernier, en latin et en italien, deux « lettres » en forme de « motu proprio » simplifiant les dispositions du droit canon des Églises orientales catholiques (Mitis et misericors Iesus, « Jésus doux et miséricordieux ») et de l’Église catholique latine (Mitis Iudex Dominus Iesus, « Jésus Seigneur doux juge ») pour les procès examinant la validité ou non ( ce qu’on appelle « nullité ») des mariages catholiques.

■ Quelqu’un a-t-il demandé au Pape cette réforme ?

Par cette simplification, le pape François met à jour le droit établi il y a 300 ans par Benoît XIV (pape de 1740 à 1758), réformé déjà par saint Pie X, et il répond à la fois à la demande de Benoît XVI (notamment à la Rote romaine, discours du 29 janvier 2006), à la demande des évêques du monde (par exemple, dans la proposition 40 du synode sur l’eucharistie de 2005) et des tribunaux ecclésiastiques diocésains ou romains.
Mais surtout, ce sont les époux en difficulté qui appellent l’Église à l’aide. Les causes de nullité concernent quelques milliers de baptisés chaque année (sur plus d’un milliard de catholiques). Lorsque des époux font état aux autorités ecclésiastiques de leurs doutes sur la validité de leur mariage, il s’agit de leur « offrir un moyen rapide mais fiable pour les résoudre et contribuer à pacifier la conscience de beaucoup de catholiques », explique Mgr Ladaria.

■ Qui a participé à cette réforme ?

C’est une réforme collégiale sous l’autorité du Successeur de Pierre. Ces questions ont été examinées par une commission mise en place par le Pape en août 2014 sous la présidence de Mgr Pio Vito Pinto, doyen du tribunal de la Rote romaine. Ce dernier a présenté la réforme à la presse, aux côtés du car­di­nal Francesco Coccopalmerio, prési­dent du Conseil pontifical pour les textes législatifs. Ils étaient entourés de Mgr Dimitrios Salachas (pour le Code de droit canon des Églises orientales catholiques), de Mgr Luis Francisco Ladaria Ferrer, S.I. (secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi), de Mgr Alejandro W. Bunge (du tribunal d’appel, la Rote romaine), et de Mgr P. Nikolaus Schöch, O.F.M. (du tribunal romain de la Signature apostolique), tous les quatre membres de la Commission. D’autres experts ont été consultés.

■ On dit qu’il ne faut pas employer l’expression «  annulation d’un mariage  »…

En effet, l’Église n’annule jamais un mariage catholique célébré validement entre un homme et une femme catholiques.

Mais il appartient à la tradition de l’Église d’examiner, quand l’un des conjoints, ou les deux, le demande(nt), si effectivement il y a eu « mariage », au sens de la « réalité du sacrement », c’est-à-dire naissance d’un « lien matrimonial » ou, au contraire, si il n’y a « pas » eu « mariage », donc, pas de naissance du lien matrimonial. Autrement dit, il y a des cas où, en dépit de la célébration liturgique, du rite catholique du mariage, il n’y a pas eu « sacrement », il n’y a pas eu de « mariage » au sens strict, sacramentel. Si l’enquête et le procès établissent qu’il n’y a « pas eu mariage » : on dit que le mariage est « déclaré nul ».

Donc c’est bien une erreur, source de confusion dans les esprits, que d’utiliser le terme « d’annulation » ou le verbe « annuler » pour les mariages. On n’annule pas un mariage valide : le lien matrimonial contracté est « indissoluble » (Catéchisme de l’Église catholique n. 2382). Le Catéchisme précise que même lorsque la séparation des époux est « légitime », le lien, si le mariage est valide, demeure (2383).

■ Quand peut-il y avoir « nullité » ?

En positif, il faudrait dire : « Quand un mariage est-il valide ? » C’est ce qu’a expliqué Mgr Ladaria. Tout d’abord, un mariage est valide quand il n’y a pas d’empêchement à sa célébration. Le droit canon précise la liste des empêchements, comme l’âge, la consanguinité, la parenté légale, un mariage précédent valide, l’ordination sacerdotale, un vœu public perpétuel, l’impuissance, l’homicide d’un conjoint, etc. (canons 1083-1094).
Pour qu’un mariage sacramentel catholique soit valide il faut aussi l’observance de la forme canonique du mariage.

Troisième élément, et c’est la condition la plus importante : le libre consentement des futurs époux, sans lequel le mariage est impossible.
En amour, la liberté est la règle. C’est ce que fait comprendre aussi le mystère de l’Annonciation: Dieu demande à la Vierge Marie son consentement. Amour et responsabilité de la liberté engagée.

Le cas le plus simple de manque de liberté, c’est un « oui » dit sous contrainte : pression de la famille, des circonstances, de menaces ou chantage, tromperie… Si la liberté, qui suppose connaissance et volonté, manque, le mariage n’est pas valide, il n’a pas de réalité. En cas de procès en nullité, l’enquête et les témoignages vont porter sur la liberté au moment de l’expression du consentement.

■ Est-ce que les cas où les futurs époux ne savent pas vraiment à quoi il s’engagent ne sont pas très nombreux, voire majoritaires ?

On a vu l’importance de la liberté de la volonté. Il s’agit aussi ici de la « connaissance » de ce qu’est le mariage sacramentel catholique.
Il s’agit de connaître clairement ce sur quoi doit se fonder l’échange des consentements : ce sont les époux qui se donnent le sacrement du mariage, ils sont « ministres » du sacrement. Si un point est exclu, le mariage ne sera pas valide.

Le consentement porte tout d’abord sur l’unicité du mariage (une nouvelle union ne sera pas possible durant la vie des deux époux).

Le consentement échangé porte aussi sur l’indissolubilité du sacrement, selon l’enseignement du Christ, tel qu’il est reflété aussi par l’épître de saint Paul aux Éphésiens : le mariage sacramentel valide ne peut être dissous parce qu’il est l’image et l’expression de l’amour du Christ pour son Église.

Le consentement des futurs époux porte en outre sur l’ouverture à la transmission de la vie. Le refus de s’ouvrir à la vie constitue un autre cas de nullité.

La confusion actuelle dans la société n’aide pas, en effet, les fiancés à être lucides sur la réalité de ces engagement lorsqu’ils demandent à l’Église le sacrement du mariage. Les Pères du synode de 2014 ont pour cela réclamé une réforme de la préparation au sacrement du mariage. Auparavant, Benoît XVI avait posé la question de la foi des futurs époux.

On cite souvent des cas de grave « immaturité ». Il peut aussi y avoir des troubles psychiques empêchant la lucidité.

« Toutes les personnes qui se marient à l’Église connaissent-elles suffisamment ces enseignements et leur consentement s’y réfère-t-il donc vraiment ? Si tel n’était pas le cas, leur mariage serait nul, c’est-à-dire qu’il n’existerait pas », tranche Mgr Ladaria. Cela concerne en effet beaucoup de monde actuellement.

■ Pourquoi la cause devient-elle gratuite ?

Sans prétendre à une réponse exhaustive, on pourrait dire tout d’abord que l’amour du Christ est gratuit, et qu’aider les couples en difficulté à éclaircir leur situation est un acte de miséricorde, gratuit.

C’est aussi un acte de justice : que tous les couples mariés dans l’Église catholique, et que l’un comme l’autre époux, aient les mêmes possibilités de résoudre leurs difficultés.

Et cela empêchera certains scandales : tel diocèse n’a-t-il pas demandé 10000 $ pour les causes matrimoniales ?

Mais beaucoup de diocèses avaient déjà travaillé dans le sens d’un coût allégé et de la justice en fixant des « plafonds ». La participation aux frais de procès variait d’une officialité à l’autre : en France, parfois 1 200 € pour les deux instances réunies, ou 600 € en première instance et 250 € en appel, ou bien gratuité, ou semi-gratuité, paiements échelonnés, etc. Au Canada un diocèse annonçait : 1 500 $, mais en prévoyant des « arrangements ».

Le pape François a exhorté les prêtres à abolir les « douanes pastorales », il le fait. Il demande aux Conférences épiscopales d’y veiller : les frais seront pris en charge par la communauté ecclésiale, en solidarité avec ses membres les plus en difficulté. Cela fortifie la communion ecclésiale et la charité.

■ Pourquoi supprimer l’appel obligatoire ?

Au cas où le premier jugement de tribunal concluait à la nullité, c’est-à-dire à l’inexistence du lien matrimonial, les normes de Benoît XIV imposaient en effet un « appel » obligatoire et la sentence ne devenait définitive qu’avec un second jugement allant dans le même sens, rendu par un juge différent. D’où l’allongement des délais et des souffrances des couples en difficulté et de leurs familles. Et c’était une procédure lourde aussi pour les tribunaux parce que redondante.

C’est faire confiance aux juges que de supprimer cette obligation du double jugement. Reste la possibilité pour le conjoint qui le voudrait de faire appel, auprès du tribunal diocésain ou de la Rote romaine. Mais il faut que les arguments soient évidents : il ne s’agit pas de chercher à allonger les délais par simple hostilité pour l’autre partie, sinon l’appel ne sera pas examiné.
Le Pape indique que c’est aux évêques de veiller à ce que les juges ne soient pas « laxistes », mais que la vérité accompagne toujours la miséricorde. On ne brade pas le lien matrimonial s’il existe.

■ L’évêque est-il juge ?

La réforme souhaite, en renforçant notamment le rôle de l’évêque, favoriser « le rapprochement entre le juge et les fidèles » qui restent parfois dans des situations ambiguës, plutôt que de les éclaircir devant le juge, par peur des coûts, des délais, des complications, en somme par manque de confiance dans l’institution qui est perçue comme lointaine, et non pas comme une aide, capable d’accompagner.

D’ailleurs elle est parfois lointaine au sens géographique : dans tel grand pays d’Amérique latine, des couples ne peuvent régulariser leur situation faute d’un tribunal ecclésiastique à une distance géographique raisonnable.
Par diocèse, il y aura désormais un juge unique sous la responsabilité de l’évêque. Quand ce n’est pas possible, dans les petits diocèses, l’évêque sera juge.

■ Qu’est-ce que ce procès « éclair » qui est institué ?

L’évêque est aussi juge, de droit, quand un procès est « écourté » (30+15 jours), notamment lorsque « l’accusation de nullité de mariage » est soutenue par des arguments « particulièrement évidents » et que les deux parties sont d’accord, et qu’il y a « certitude » de la nullité. On a cité plus haut des « empêchements », qui peuvent être invisibles ou cachés — « occultes » — au moment du mariage et se révéler de façon évidente ensuite. C’est aussi le cas des mariages non « consommés ».

■ Quelles sont les autres nouveautés ?

Avec l’abolition du double jugement, possibilité du procès « écourté », il y a des changements dans la composition des tribunaux, avec la centralité du rôle de l’évêque diocésain, et la possibilité de l’aide de laïcs formés. Mais ce sont des questions techniques qui sont relatives à la physionomie de chaque diocèse, sur les cinq continents. Une des clefs de la mise en œuvre de la réforme sera la formation.

En somme, il serait erroné de penser que la réforme brade le mariage sacramentel catholique : elle cherche au contraire à établir plus rapidement et sûrement si le mariage est valide ou pas, s’il y a eu mariage ou pas. C’est honorer le lien matrimonial authentique que de chercher à ne pas faire traîner les doutes dans la conscience des baptisés et de mieux le distinguer de l’apparence de l’engagement matrimonial.

On espère surtout qu’elle pourra stimuler une meilleure connaissance de ce qu’est le mariage sacramentel catholique par les futurs époux et de ce à quoi ils s’engagent : la prochaine étape est certainement, en amont, le grand chantier de la préparation au mariage.

Si, comme le disait un canoniste, un prêtre ne peut refuser un sacrement, il faut peut-être aussi s’assurer que ceux qui le demandent savent ce qu’ils demandent, qu’ils aient pleine connaissance de la profondeur de leur engagement en Église et de l’engagement de Dieu qui accompagne l’amour humain, pour le sauver. ■