Saint Anselme, l'homme des prémisses - France Catholique
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Saint Anselme, l’homme des prémisses

Traduit par Bernadette Cosyn

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C’est la fête de Saint Anselme de Canterbury, saint et docteur de l’Église, né vers 1033 et décédé le 21 avril 1109.

Il est fort célèbre à deux titres : sa « preuve » ontologique de l’existence de Dieu et les prémisses en arrière-plan de l’essentiel de sa pensée, qui étaient également sa devise : Fides quaerens intellectum (« La foi cherchant la compréhension »).

Sa fameuse preuve, si vous la considérez comme telle, faisait partie du second chapitre de son livre le plus connu, le Proslogium. La voici en résumé : « par conséquent, si ce qui est plus grand que tout (c’est-à-dire Dieu) n’existe que dans l’entendement, l’idée-même qu’il ne puisse y avoir plus grand ne tient pas car on peut imaginer plus grand. Mais évidemment c’est contradictoire. Par conséquent il n’y a aucun doute qu’il existe un être plus grand que tout, et qu’il existe à la fois dans l’entendement et dans la réalité. »

Et puisse cet Être tel qu’on ne puisse concevoir plus grand me pardonner d’abréger ainsi un résumé, mais voici ce qu’Anselme veut dire : tout un chacun reconnaît (qu’il croie en Dieu ou non) que Dieu est (ou serait) plus grand que tout. Cela étant, l’existence de Dieu est prouvée parce que Dieu ne pourrait pas être plus grand (et même le plus grand) dans l’esprit s’Il ne l’était également dans la réalité. (Je ne fais grâce de rien à Anselme, mais je suis déjà à court de mots avec encore tant à dire sur l’homme.)

Quoi qu’il en soit, Thomas d’Aquin aurait rejeté l’argumentation, essentiellement parce qu’elle est tautologique : la Foi (la croyance en Dieu comme prémisse) précède la compréhension de la preuve. Thomas d’Aquin, comme le sait quiconque a lu la Somme théologique, travaille dans l’autre sens.

Nous pourrions dire que Anselme offrait aux croyants une autre confirmation que la foi est tout à la fois sensée et inéluctable. Mais il y a peu de chance que vous rencontriez grand monde qui déclare : « certes, c’est l’argument ontologique d’Anselme qui m’a d’abord amené au Christ. » Pour beaucoup, le schéma d’Anselme est un peu trop malin – un simple jeu de mots, bien qu’élégant dans sa forme.

Thomas d’Aquin, qui a vécu près de 200 ans après Anselme a été reconnu Docteur de l’Église 134 ans avant lui. Et étant donné le rejet de l’argument ontologique par le Docteur Angélique, il est presque surprenant que le Docteur Magnifique ait obtenu cette reconnaissance du pape Cément XI en 1720.

Mais la partie philosophique de la pensée d’Anselme n’est que l’une des raisons l’ayant porté au doctorat et sur les autels, bien qu’on ne sache pas exactement quand il a été canonisé. C’est l’un de ses successeurs à Canterbury, Thomas Becket, qui a embouché le premier les trompettes de la renommée et la mémoire d’Anselme a été célébrée dans la cathédrale de Canterbury du vivant de Becket, mais c’est probablement Rodrigo Borgia (le pape Alexandre VI) qui a vraiment solennisé son élévation au statut de saint, aux alentours de 1494.

Becket a sûrement trouvé une âme sœur en Anselme, puisque tous deux étaient des « prêtres-trublions » pour les rois qu’ils servaient.

Anselme a souvent été à couteaux tirés avec le roi Guillaume II, et a même été exilé par lui. Guillaume II – le successeur immédiat de Guillaume le Conquérant -connu sous le nom de Guillaume Rufus, soit en raison de la couleur de ses cheveux, soit parce que son visage était souvent empourpré par des accès de rage. Le principal point de friction entre l’archevêque philosophe et son roi était la séparation de l’Église et de l’État, quoique dans le contexte du Moyen-Age naissant c’était plutôt : qui dirigera l’autre ? Il est probablement vrai que les deux hommes croyaient à l’union de l’Église et de l’État, mais chacun voyant l’autre comme la part mineure de l’alliance.

Cette affaire (issue de l’interrogation de qui devrait nommer les évêques) a été mise sur le tapis lors d’une réunion rassemblant le clergé et la noblesse et, curieusement, le clergé présent prit le parti du roi et les nobles celui d’Anselme. (ne laissez personne vous persuader que la Réforme Anglaise est venue comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu – elle avait des antécédents multi-séculaires). Comme l’a écrit l’historien du 19e siècle Philip Schaff dans Histoire de l’Église Chrétienne, quand Anselme est devenu archevêque : « il a pressenti une lutte sans merci. Il se comparait à un faible et vieux mouton et comparait le roi à un jeune taureau furieux. Ainsi attelé, il devait tirer la charrue de l’Église Catholique d’Angleterre avec la perspective d’être mis en pièces par la férocité du taureau. »

Anselme était dans le meilleur sens du terme (un terme que le roi Henry VIII allait pervertir) un défenseur de la foi. C’était le sujet d’une encyclique que le saint pape Pie X a écrite pour la fête du saint en 1909, Communium Rerum. Le Saint Père n’y mentionne ni la preuve ontologique ni la devise Fides quaerens intellectum. C’était la défense, assumée par Anselme, du rôle de l’Église dans la vie publique qui importait à Pie X.

Il a fait la liste des papes (Grégoire VII, Urbain II, Pascal II) qui ont correspondu avec Anselme et le tenaient en haute estime. « Et pourtant, écrit Pie X, Anselme, à ses propres yeux, n’était qu’un méprisable et obscur bon à rien sans envergure, un pécheur. » Mais Anselme n’est pas digne d’éloges uniquement pour son humilité mais également parce qu’il a vaillamment défendu les droits ecclésiastiques contre le pouvoir séculier.

L’éloge d’Anselme comme modèle d’homme d’Église (et serviteur loyal du pape) a été écrit peu après un fort tremblement de terre à Messine en Sicile (7,1 sur l’échelle de Richter), suivi d’un tsunami, qui a détruit la plus grande partie de la ville et a tué 70 000 personnes. Pie X a rempli le palais apostolique de réfugiés, alors que le gouvernement italien ne proposait guère d’aide. Comment, se demandait Pie X, un chrétien sensé pourrait-il ne pas voir que l’Église est plus exemplaire que l’État ?

Pie X voyait Anselme comme un frère d’armes dans la bataille en cours contre l’erreur – au 20e siècle, c’était contre le modernisme – que lui et ses prédécesseurs (et tout particulièrement Pie IX et Léon XIII) semblaient ne devoir jamais gagner malgré leurs avertissements répétés aux fidèles.

Sancte Anselme, ora pro nobis.

Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, membre éminent de l’institut Foi & Raison et membre du comité directeur de l’Aide à l’Église en Détresse aux USA. C’est un ancien rédacteur littéraire de la National Review.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/04/20/st-anselm-man-of-premises/