Sa grâce suffit-elle vraiment – ou pas? - France Catholique
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Sa grâce suffit-elle vraiment – ou pas?

Traduit par Isabelle

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Ce que je trouve le plus troublant à propos de la controverse sur la possibilité d’autoriser les divorcés remariés civilement à recevoir la Communion (tout en vivant en état d’adultère), c’est la façon dont le débat semble obscurcir tout l’enjeu du libre arbitre et de la grâce. Ce n’est pas seulement une dispute sur les normes morales ou la discipline sacramentelle ; au cœur même du problème se trouve toute la question de la grâce de Dieu dans l’âme du pécheur.

Ceux qui disent qu’une personne qui vit en état d’adultère peut trouver cela « impossible » d’obéir au sixième commandement – par extension logique, c’est le cas de n’importe quel commandement dans une situation difficile – dévalorisent en effet la puissance opérante des grâces qui se déversent du Christ, ou bien la liberté opérante de la personne qui se bagarre avec la tentation ou la vie dans le péché.

Si la grâce opérante du Christ n’est pas suffisante pour permettre au pécheur de rejeter le péché, de se repentir, et de faire ce qui est nécessaire pour changer la manière coupable dont il vit, alors quelle est la puissance réelle de cette grâce ? Quand Paul a supplié le Christ par trois fois de le délivrer de l’épine qu’il avait dans la chair, et qu’il attribuait à Satan, le Christ lui a répondu « Ma grâce te suffit : car ma puissance se révèle dans la faiblesse. » (2Cor XII 9)

Maintenant, nous ne savons pas exactement ce qu’était cette « épine » de Satan – peut-être une grave tentation ou un problème de santé sérieux. Ce qui est important, à part le problème, c’est l’assurance solide que Sa grâce n’est pas seulement suffisante pour la surmonter, mais qu’elle se révèle face à n’importe quelle faiblesse humaine.

De plus, Paul a déjà abordé la question de la puissance de la grâce quand il rassure les Corinthiens : « Aucune tentation ne vous a submergés, sauf ce qui est commun à l’humanité. Et Dieu est fidèle ; Il ne vous laissera pas être tentés au-delà de ce que vous pouvez supporter. Mais quand vous serez tentés, il vous fournira un moyen d’y échapper pour que vous puissiez l’endurer. »

Le « moyen d’y échapper » est la vertu de sa Grâce, et c’est la raison pour laquelle un chrétien ne se vante jamais de son propre pouvoir, mais de ses faiblesses, parce qu’il a confiance que Dieu viendra à son aide et l’aidera à surmonter n’importe quelle tentation, n’importe quelle lutte contre le mal, s’il s’abandonne à sa grâce.

Quand un chrétien dit que c’est « impossible »  pour un autre chrétien d’obéir à un commandement, comme l’a fait récemment un cardinal romain, qu’est-ce qu’une telle assertion sinon un véritable déni du pouvoir de la grâce et du Christ Lui-même ? Si Sa grâce est finalement conditionnée dans son efficacité par la volonté de l’homme, par ses passions et les circonstances, alors elle est plus faible qu’eux.

Ainsi, tout au moins en pratique, elle devient un élément secondaire de la vie morale – un peu comme ce que l’hérésie pélagienne enseignait au sujet de la grâce : qu’elle n’est effectivement pas essentielle, quoique utile dans certaines circonstances.

Le pélagianisme n’était pas simplement une hérésie anthropologique et morale qui niait la transmission du péché originel, et affirmait que le libre arbitre était capable d’atteindre seul la perfection morale. Nier la nécessité de la grâce pour la justification et la perfection morale, a conduit théo-logiquement à une hérésie christologique et soteriologique encore plus profonde, qui minait toute la mission rédemptrice du Christ et de ce fait minait les fondements théologiques de l’Incarnation. Pourquoi avons-nous besoin du Christ, si l’homme est parfaitement capable de se sauver lui-même en exerçant correctement son libre arbitre ?

Toutefois, ce qui se passe aujourd’hui n’est pas exactement une forme de néo-pélagianisme, mais plutôt une nouvelle forme de quasi-déterminisme. Alors que Pélage portait aux nues le libre arbitre, le déni moderne du pouvoir de la grâce est basé sur la réduction du libre arbitre à la situation d’esclave de ses passions. Le libre arbitre est tellement faible, que dans des situations difficiles, il n’est plus capable de coopérer avec la grâce de Dieu. Et de ce fait, obéir à la volonté de Dieu devient « impossible » dans certains cas. Cette position fut condamnée au Concile de Trente pour d’importantes raisons théologiques.

Si la grâce de Dieu est si faible qu’elle ne peut pas guérir les faiblesses de la volonté et lui permettre de surmonter les tentations ou les complications morales – spécialement celles en relation à la chair – « ma grâce te suffit » en est réduit à une platitude ou une banalité, une jolie phrase, mais finalement, qui ne veut rien dire pour la vie réelle. Le Christ aurait peut-être dû dire : « Parfois, ma grâce te suffit, et seulement parfois elle se révèle dans la faiblesse, mais pas toujours s’il s’agit de cas difficiles. »

De nos jours, la pénétration de la philosophie chrétienne par diverses formes de déterminisme, particulièrement par un déterminisme psychologique fanatique, a radicalement rabaissé le libre arbitre de la dignité humaine et le pouvoir de la véritable grâce opérante, tout en rendant absolue la grâce de la justification. Cela ressemble plus à une résurgence d’un déterminisme calviniste extrême, mais sans l’élément de la prédestination négative.

Sous cet aspect, le libre arbitre de l’homme est totalement corrompu, mais, grâce à la rédemption du Christ, la plupart des hommes, sinon tous, sont positivement prédestinés à aller au ciel. Alors, pourquoi se tourmenter autant pour la vie morale, puisque beaucoup, sinon la plupart des hommes semblent trouver « impossible » de surmonter certains péchés ?

Les promoteurs de cette étrange combinaison de déterminisme moral et d’universalisme du salut ne semblent jamais voir combien ces nombreux dénis de la responsabilité morale rabaissent non seulement la grâce opérante du Christ, mais également la vraie dignité de l’homme. Combien l’homme qui reconnaît sa responsabilité face au péché est plus digne que celui qui se déclare sans faute parce qu’il a trouvé tout simplement « impossible » de suivre le Commandement de Dieu, au mépris de la grâce du Christ ?

https://www.thecatholicthing.org/2017/04/22/is-his-grace-truly-sufficient-or-not/

Tableau : St. Paul d’Etienne Parrocel, 1720 [collection privée]