Ratzinger et le dialogue interreligieux - France Catholique

Ratzinger et le dialogue interreligieux

Ratzinger et le dialogue interreligieux

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Beaucoup d’entre nous ont souhaité oublier la vidéo où le pape François demande d’urgence que dialoguent les religions présentes – Juive, Chrétienne, Musulmane, et Bouddhiste. Cette vidéo laisse une impression de nivellement de toutes les différences fondamentales entre ces religions, et suggère de faire taire l’appel primordial à évangéliser et à proclamer la Bonne Nouvelle. Pourtant, je pense que nous pouvons faire honneur aux motivations du pape à dialoguer, à savoir encourager le « maintien d’une bonne camaraderie parmi les nations «  (1 Pet 2 : 12) et, si possible, « pour autant que cela dépende de nous, pour vivre en paix avec tous les hommes. » (Rom 12 : 18)

Joseph Ratzinger prend une position très différente sur cette question : «  En termes concrets, quelle est la position des chrétiens sur le dialogue interreligieux ? » Dans un essai qui est une vraie perle, « Le dialogue entre les religions et la relation entre le judaïsme et le christianisme » (Plusieurs religions, une seule alliance) version abrégée qui est plus aboutie dans  Vérité et tolérance, Ratzinger nie que le dialogue puisse suppléer à l’évangélisation.
Affirmer que l’activité missionnaire devrait cesser entraîne à renier la vérité. Ratzinger dit que cela nous laisse dans l’idée que le dialogue est une question de « faire de nous de meilleurs chrétiens, juifs, musulmans, hindous ou Bouddhistes. » Il prononce un Non emphatique à cette affirmation. « Car ce ne serait rien d’autre qu’un manque total de conviction ; sous prétexte de nous affermir mutuellement dans ce que nous avons de meilleur, en fait nous ne nous prendrions pas au sérieux, ni nous, ni les autres ; finalement, nous renoncerions à la vérité ».

Alors, comment Ratzinger rend-il compte de ce qui non seulement nous unit, plus ou moins, mais aussi rend possible une rencontre dans un dialogue à la fois profond et critique, étant données la séparation, et les affirmations contradictoires entre les religions. « Sur quelle base peut-on même seulement commencer à rechercher l’unité ? »

Il détermine trois approches à la question de l’unité dans la diversité : mystique, théiste, et pragmatique.

L’approche pragmatique qui affirme la primauté de l’orthopraxie (la bonne pratique) sur l’orthodoxie, est issue d’un scepticisme engendré par des disputes sans fin au sujet de la justification rationnelle et de la vérité de la religion. En renonçant à la vérité et à la conviction, l’unité dans la diversité religieuse est recherchée dans l’orthopraxie au service de la paix, de la justice et de la protection de la création. Ratzinger confirme ces buts, mais s’oppose à la suppression du débat rationnel à propos de la vérité de la religion. Il s’oppose aussi au fait d’avancer un « moralisme aux motifs religieux » à propos des buts qui servent le mieux ces fins. Pourquoi ?

Il dit que « les religions n’ont pas de connaissance a priori » des moyens d’atteindre ces fins. Il y a une « pluralité de chemins » ici, plutôt qu’un seul vrai chemin. On a besoin d’argumenter pour sélectionner quel est le meilleur chemin. Aussi, Ratzinger déclare-t-il que l’approche pragmatique vers l’unité dans la diversité religieuse pervertit la religion pour en faire « une dictature idéologique avec une passion totalitaire ». On pense ici au moralisme à motif religieux de certains avocats du réchauffement climatique. Ainsi : « La religion ne peut pas être utilisée de force au service d’objectifs politiques pratiques ; Cette dernière deviendrait une idole ; l’homme faisant de Dieu l’esclave de ses plans, dégraderait Dieu et se dégraderait lui-même. » On ne peut pas trouver l’unité dans l’orthopraxie.

L’approche mystique espère trouver l’unité dans la diversité religieuse au niveau de l’expérience mystique. On attribue une valeur absolue à une expérience qu’on ne peut nommer, qui est également ineffable et au-delà de tous concepts. L’unité est promue ici « en retirant toutes les propositions affirmatives (c’est-à-dire celles qui se veulent composées de vérités). » Une théologie fortement négative ou apophatique conduit cette approche de façon qu’ « il ne soit fait aucun appel (déterminé) à la connaissance du divin. » De ce point de vue, les affirmations des diverses religions sont avant dernières, et de ce fait, « peu importe que le divin soit conçu en termes personnels ou impersonnels. » Ratzinger ajoute : « Le Dieu qui parle (et entend) et la profondeur silencieuse de l’être, ne sont que deux manières de concevoir l’ineffable qui se trouve au-delà de tout concept.

Le problème central que cela pose est que cela ne tient pas devant la réalité, et, de ce fait, la question de l’unité ne peut pas se résoudre ici. La variété des religions provoque des affirmations profondément contradictoires et irréconciliables. Elles ne peuvent pas dire la même chose ; aussi est-il inévitable de se poser la question de la vérité.

Ceci nous amène à l’approche chrétienne théiste (Je laisse de côté le judaïsme). Dieu est là, et Il n’est pas silencieux. La révélation que Dieu fait de Lui-même dans l’histoire du salut se réalise en paroles et en actes. Par exemple : « Le Christ est mort, est une action ; le Christ est mort pour nos péchés est la parole divine donnée, de l’interprétation qui rend cette action révélatrice », comme le dit G.E. Ladd. D’où « la foi en Dieu ne peut pas se passer d’une vérité (révélée) dont la substance (déterminée) peut s’exprimer clairement». Oui, la foi chrétienne a un aspect mystique, apophatique et même eschatologique tel que, par exemple, le dogme de la Trinité et la personne du Christ sont clairement vrais, mais aussi « nous invitent à un cheminement infini vers un Dieu qui est toujours infiniment plus grand.
Ainsi : « Dieu devient concret, tangible dans l’histoire (dans l’incarnation). Il approche des hommes sous une forme corporelle. Mais ce Dieu Lui-même devenu saisissable, est totalement mystérieux ». Aussi la vérité révélée à propos du mystère de l’incarnation, quoique déterminé, « se cache et se révèle en même temps » Le Dieu-Logos.

Alors, comment la proclamation de l’Evangile implique-t-elle un dialogue ? Selon la vision de Ratzinger, « le modèle théiste international nous mène plus loin que le mystique et le pragmatique ». D’un côté, la vérité révélée est accessible dans la foi. Pourtant, Dieu ne s’est pas passé de témoins à travers la révélation générale, on en trouve des éléments dans les religions variées (Rom I 20 ; II 14-16 ; Actes XIV 17) bien que déformés, mal interprétés, et rejetés. D’un autre côté, la révélation générale, non seulement révèle un terrain commun, une unité que nous partageons déjà à des degrés divers, parmi les religions, mais aussi ces fragments peuvent approfondir notre compréhension de la foi chrétienne «  à travers le dialogue, nous permettant de reconnaître son mystère et son infinité. »

Mais le dialogue en tant que tel, ne sert à rien, dit Ratzinger, s’il n’a pour but de convaincre, et de trouver la vérité.

Ratzinger on the Dialogue of Religions

Photo : Assise, 2011.