Pour une mise à jour de la théorie de la guerre juste - France Catholique
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Pour une mise à jour de la théorie de la guerre juste

(traduction : Yves Avril)

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Note : Cet article a été écrit et téléchargé avant l’attaque américaine contre la Syrie la nuit dernière. La question que soulève cette attaque pour des développements ultérieurs de la théorie de la guerre juste, reste d’actualité – aujourd’hui peut-être plus qu’avant.

Robert Royal

A travers les siècles la « théorie de la guerre juste » a été exposée et développée par une série de grands penseurs, Cicéron, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Francisco de Vitoria, Francisco Suarez, Hugo Grotius et d’autres.

Dans le passé, ce qu’ils avaient en commun, à part l’intention de combattre l’incessante plaie de la guerre, c’était une vision classique de ce qu’elle était : une nation avec une force militaire formidable menace une autre nation ou plusieurs autres. Celle-ci devaient discuter et décider si leur potentiel militaire était adéquat ou si des moyens non-militaires suffiraient à écarter la menace ou si, en dernier ressort, une action militaire allait les protéger ou rendre les choses pires.

Les principaux théoriciens de la « guerre juste » mettaient l’accent sur les points suivants : l’urgence de la menace ; la négociation était-elle encore possible ; quelle autorité était habilitée à déclarer et à commencer la guerre, étant donnée la forme du gouvernement ; les conséquences de la guerre pouvaient-elles être pires que la capitulation ? Ajoutons les considérations éthiques concernant le matériel de guerre létal, le traitement des prisonniers, les torts subis par les non-combattants etc.

Une vision des armées massées sur un champ de bataille, parfois avec des alliés, défiant et défaisant d’autres armées, était commune à tous ces théoriciens, même pendant les Première et la Seconde guerres mondiales, avec l’addition d’une puissante infanterie, d’explosifs, de la force aérienne, de sous-marins et d’autres productions de l’industrie moderne.

Mais le scénario changea brutalement pendant et après la Seconde guerre mondiale, avec l’apparition d’arsenaux nucléaires, des guérillas, d’agents chimiques et biologiques terriblement meurtriers, bref, d’une capacité de destruction en quantité et en intensité qu’on n’avait jamais imaginée auparavant. Si César ou Gengis Khan avaient eu la bombe atomique, ils auraient peut-être hésité à l’utiliser pour conquérir les territoires qu’ils avaient l’intention d’occuper.

Cette semaine, après avoir discuté de l’abandon « très prochain » de la Syrie, le président Trump a menacé de lancer des missiles sur ce pays à cause d’une attaque meurtrière au gaz chimique sur des civils dans la ville de Douma tenue par les rebelles. Le ministre russe des Affaires étrangères affirme qu’ « une agence d’espionnage étrangère » a mis en scène cette attaque et, selon un membre de la commission d’enquête des Nations Unies, tout indique que les rebelles qui essaient d’évincer le président syrien Bachar el-Assad en étaient responsables.

Il est effectivement étrange qu’Assad, qui était en train de gagner la guerre contre les rebelles, se soit risquer à provoquer des représailles internationales. Mais les Etats-Unis ainsi que leurs alliés, Grande-Bretagne et France, sont pratiquement convaincus qu’Assad a ordonné l’attaque et qu’il y faut une réponse à la fois pour punir la Syrie et pour la dissuader d’attaques de même nature dans l’avenir.

Mais c’est justement ici que les formes de « jugements prudentiels » (qui n’ont jamais été très faciles même à des époques plus simples) sont devenues tout à fait compliquées. La première question à poser pour la théorie de la guerre juste serait celle-ci : existe-t-il une menace évidente pour notre pays ?

Il n’y a évidemment aucune menace directe venant de la Syrie contre les Etats-Unis. Mais de fait une attaque de la Syrie alliée à la Russie pourrait déclencher une nouvelle guerre froide, ou pire.

Le Président Trump a lancé avec succès une attaque de missiles sur la Syrie en avril 2017, et apparemment il est confiant que cela pourrait être répété sans mettre en rage l’Ours russe. Mais ces actions de stratégie «  sur la corde raide » non seulement mettent en question les pouvoirs que donne la Constitution quant à la déclaration de guerre, mais « évacuent le scénario » de sa justification. Et déposer Assad, au lieu l’améliorer la situation, pourrait faciliter le chemin à une prise de pouvoir de Daech ou des rebelles islamistes, ce qui ne serait certainement pas une amélioration par rapport à Assad.

Et de telles complexités ne sont pas limitées au Moyen-Orient. La théorie traditionnelle de la guerre juste semble impuissante quand on a affaire à plusieurs réalités contemporaines et elle a désespérément besoin d’être développée si elle doit continuer à fournir un guide aux nations et à leurs chefs. Par exemple voici des situations qui nécessitent une analyse attentive

Destruction mutuelle assurée (Mutual Assured Destruction/ MAD) : deux puissances nucléaires dans une guerre peuvent aisément s’anéantir l’une l’autre – ou même provoquer une situation de « fin du monde » si d’autres puissances nucléaires entrent dans le conflit – : une crise contemporaine terrible pourrait-elle justifier une puissance nucléaire de lancer une frappe préventive sur un rival ?

Des milliers de « cellules » terroristes surgissant partout dans le monde. Une armée, une marine, une aviation conventionnelles pourraient-elles être efficace contre elles ?

Utilisation généralisée de « boucliers humains » – lance-missiles installés dans les hôpitaux, cachettes d’explosifs emmagasinées dans les écoles, terroristes s’installant dans des villes entourés par d’innocents non-combattants et refusant de quitter la ville. Qu’est-ce qui pourrait justifier de détruire un hôpital occupé par des terroristes et leur artillerie ? Chefs d’Etats dotés de puissance nucléaires fous et/ou suicidaires qui se moquent de leur anéantissement mutuel. MAD suppose que les chefs d’Etat du monde sont des acteurs rationnels et ne sont ni misanthropes ni suicidaires.

Djihadistes sous l’influence de croyances religieuses, résolus à convertir le monde, de force, si nécessaire.

Accidents possibles, du genre : «  on a appuyé sur le mauvais bouton », et la guerre commence bon gré mal gré. Le récent accident à Hawaï nous rappelle qu’il s’en est produit de semblables dans le passé et qui pourraient sceller le sort du monde.

Dans un monde idéal, voici ce que nous pourrions chercher à étabir :

Désarmement nucléaire universel et interdiction absolue de la prolifération – bien ce soit difficile d’imaginer après ce qui est arrivé à Mouammar Kadhafi qui fut obligeamment désarmé en 2003.

Système internationaux d’espionnage infaillibles et capables de déjouer des plans d’attaque transmis électroniquement.

Refus de construire désormais toute mosquée à moins qu’une réciprocité dans la construction d’églises soit décidée au Moyen-Orient. Le défaut général de réciprocité a facilité l’importation d’opérateurs religieux violents sous le couvert d’une « liberté religieuse » unidirectionnelle.

Mais voici plusieurs stratégies plus pratiques et moins idéalistes : 
Bombardement chirurgical de réacteurs nucléaires dans les « états voyous », comme Israël le fit en Irak en 1981 et en Syrie en 2007 – ce qui exigerait des ressources militaires incroyablement précis.

Explosions causant un choc « électromagnétique » qui rendrait inutilisables les ressources électriques dans différents pays.

Identification et destruction, de tout arsenal chimique et biologique, aussi bien que démantèlement de tout arsenal capable de produire du nucléaire haut de gamme.

« Plan Marshall » proposant d’aider à transformer des capacités nucléaires dangereuses en entreprises de puissance nucléaire pacifique – réalisant ainsi la prophétie biblique sur les « épées transformées en socs de charrues » (Is ? 2 : 4)

En prenant pour modèle l’assassinat ciblé d’Oussama ben Laden et d’autres terroristes, assassinat des chefs les plus enragés qui à la fois asservissent leurs peuples et menacent de destruction les USA.

Selon, la fameuse « horloge de la fin du monde » publiée par des savants atomistes, l’humanité se trouve aujourd’hui « deux minutes avant minuit ». Ainsi ceux d’entre nous qui rêvent de la paix dans le monde sentent une certaine urgence. Si ce n’est pas une urgence complètement exagérée, ce peut être le moment de penser « hors des sentiers battus ».

Des développements diplomatiques récents annoncent pour le mois de mai une rencontre sans précédent entre le Président Trump et et le Nord-Coréen Kim-Jong-un. Le président a insisté sur le fait que la dénucléarisation est une condition préalable à cette rencontre, et Kim semble l’accepter, disant que « La question de la dénucléarisation de la péninsule coréenne peut être résolue » si les USA et la Corée du Sud répondent « avec bonne volonté ».
Après tant d’efforts diplomatiques infructueux pour éloigner l’une des menaces les plus sérieuses à la paix dans le monde, pouvons-nous mettre de façon réaliste quelque espoir dans cette rencontre ?

Kim n’est pas dans la position vulnérable où était Kadhafi quand il a désarmé. Il a la Chine derrière lui et la Corée du Sud ouverte à la réunification. Transformant « les épées en socs de charrues » dans cette région n’est pas complètement inimaginable – bien qu’à coup sûr ce soit « hors des sentiers battus ».

Mais en réalité, la stratégie la moins réaliste pour la paix mondiale pourrait être la plus efficace. Je pense à la bataille de Lépante en 1571 au cours de laquelle une petite flotte chrétienne a défait l’armada turque, aussi bien qu’à la croisade du Rosaire qui se fit à l’échelon national en Autriche en 1955, conduisant au retrait des armées soviétiques. En d’autres mots, une croisade du rosaire à l’échelon mondial. Mais, je sais, c’est aussi une idée « hors des sentiers battus ».


14 avril 2018

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/04/14/updating-just-war-theory/

 

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Howard Kainz, professeur émérite à Marquette University, est l’auteur de vingt-cinq livres sur la philosophie allemande, l’éthique, la philosophie politique et la religion, et d’une centaine d’articles dans les journaux universitaires, des revues, imprimées ou on- line.