Pérou : La terre, bien vital qui ne peut être commercialisé - France Catholique
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Pérou : La terre, bien vital qui ne peut être commercialisé

Dans un entretien, accordé à l’Aide à l’Église en Détresse la semaine dernière, Mgr José Luis Astigarraga Lizarralde, C.P. (Passioniste), Vicaire apostolique de Yurimaguas, au Pérou, s’inquiète de la situation qui prévaut dans son territoire. Il était accompagné de son assistante, Sœur Maria Luisa, de la communauté des Missionnaires de Jésus, qui travaille sur le terrain avec les peuples autochtones. Par Mario Bard, AED-Canada
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Mgr Astigarraga nous a raconté à quel point le rôle de l’Église était important dans la région. En tant qu’évêque, il réalise un travail incessant afin de promouvoir le dialogue entre un gouvernement, qui cherche à exploiter économiquement les terres du pays (dont en particulier cette région), et les autochtones, lesquels considèrent la terre comme un bien vital qui ne peut être commercialisé. Pour ces derniers, nous dit-il, « la terre est un sanctuaire, un temple, une cathédrale dans laquelle Dieu manifeste sa présence ». La terre est comme une mère pour eux, une mère dont ils sont les fruits et une mère qui, un jour, les rappellera.

En fait, « 85% des fidèles du Vicariat apostolique de Yurimaguas sont des autochtones », indique Sœur Maria Luisa qui travaille étroitement avec Mgr Astigarraga. L’Église partage avec eux leurs combats, leurs luttes, leurs objectifs. Les chefs de ces communautés sont en général les guides de la foi, les ‘’catéchistes’’. En plus de recevoir un soutien spirituel, les enfants autochtones sont invités à rejoindre l’école ; des soins de santé leur sont également prodigués et des notions de gouvernance sont données par les religieuses. Sœur Maria Luisa remarque à ce propos que « la meilleure chose que l’on puisse leur apporter pour le futur est de leur donner une estime de soi et une dignité, afin qu’ils puissent défendre leurs droits par eux-mêmes. Par contre, le gouvernement ne leur en laisse pas le temps. Or, les autochtones ne sont pas encore armés pour ce combat », estime-t-elle.

Prier pour la paix et le dialogue

Les lois, les décrets les dépouillant de leurs terres les mettent progressivement dans une situation qui devient effrayante, considère Sœur Maria Luisa : « Nous, en tant que membres de l’Église, nous accompagnons ces villages, convaincus que Dieu donnera raison aux plus petits et aux plus pauvres, qu’Il est de leur côté. Nous sommes avec eux. Le reste est entre les mains de Dieu ».

Parce qu’ils ont été méprisés par les gens des villes, les autochtones ouvrent grand leur cœur par le simple fait que des personnes s’intéressent à eux et à leurs problèmes. C’est pourquoi la visite des missionnaires est toujours un bonheur dans les villages. « Ils donnent tout ce qu’ils ont et s’abreuvent du peu qu’on leur donne ». Les religieuses, les prêtres et les catéchistes, lorsqu’ils vont à la rencontre des populations, n’ont d’autre choix que de le faire par bateau, sur l’Amazone, puisqu’il n’y a pas ou peu de routes praticables dans ce territoire de 70 000 km2, grand comme l’Irlande.

Dans la situation difficile que traversent ces peuples, ce que demande aujourd’hui Sœur Maria Luisa, aux catholiques et aux chrétiens du monde entier, est qu’ils prient pour eux. Une prière pour que le dialogue entre le gouvernement et les autochtones s’établisse enfin. Et l’évêque de renchérir : « Pour la paix, la prière est fondamentale. Si les chrétiens ne prient pas, il va devenir très difficile pour nous d’obtenir la réconciliation. Car le processus de dialogue est aujourd’hui suspendu et, sans dialogue, on n’obtient jamais de paix. Il faut que l’un et l’autre parviennent à pénétrer le cœur de celui qui est en face ».

La situation évolue

Mardi le 16 juin, le premier ministre péruvien, Yehude Simon, a annoncé qu’il devrait démissionner dans les prochaines semaines, « dès que le calme sera revenu », a rapporté l’agence Reuters. Le leader aurait fait cette déclaration sur les ondes de la radio RPP. Les deux décrets présidentiels, qui avaient pour objectif d’encourager l’investissement étranger en Amazonie, devraient être annulés aujourd’hui, jeudi 18 juin, alors que le premier ministre Simon s’est engagé à présenter au Congrès péruvien un texte en ce sens.

Les décrets en question, qui ont été promulgués en 2007 et 2008, ont été rejetés par la minorité indienne d’Amazonie, qui est regroupée en 65 ethnies comptant près d’un demi-million de personnes. L’Agence France-Presse, dans un article de Philippe Bernes-Lasserre, indique : « Les indigènes jugent ces textes trop souples avec les grands projets d’exploitation minière, forestière et hydrique de l’Amazonie péruvienne (60% du pays), et ils manquent au devoir de concertation des peuples indigènes, concertation prévue par un texte de 1989 de l’Organisation internationale du travail (OIT). » La principale revendication des autochtones est simple : l’abrogation pure et simple des décrets présidentiels.

Radio Vatican rapportait par ailleurs, dans son bulletin international de soirée du 16 juin, que les autochtones pourraient tenir une journée nationale d’action le mercredi 24 juin prochain. Malgré une apparence d’ouverture et de bonne volonté de la part du premier ministre, il semble que la confiance soit encore loin d’être au rendez-vous. Chat échaudé craint l’eau froide, dit le vieil adage.