Noël de mon enfance - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Noël de mon enfance

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Noël arrive à grandes enjambées, bien plus rapidement qu’en mes années d’enfance : alors, le temps me semblait parfois s’alourdir au point de ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre. Mon impatience ne venait pas des cadeaux attendus, ce n’était que cadeaux de misère, une orange, une petite friandise : nous n’en étions pas encore arrivés au Temple de tous les Désordres, ces démons que Dante a décrit sans la moindre hésitation car il les avait rencontrés en train de d’accomplir leurs horribles danses ; aussi de toutes les idolâtries, de tous les abrutissements, de tous les désirs d’avoir et encore avoir sans penser même que nous restons, tonnerre de Brest, des êtres humains postés à la frontière du temps et de l’Éternité et non de pauvres bêtes incapables d’ouvrir nos pauvres neurones à la vision de l’Amour qui nous y espère…

Non, cette ardente attente venait de ce que je savais de ce jour-là, connaissance issue d’un amour enfantin qui en appelait à Celui qui allait venir, ce Dieu encore bébé de rien, Roi pourtant, mais si mal logé que j’en aurais pleuré si je n’avais compris, de Noël en Noël, qu’Il accomplissait un immense travail demandé par son Père en sa Demeure de l’Au-Delà comme en ses enfance et adolescence Il put voir, en la chère maison de Nazareth, son père adoptif, son terrestre protecteur, travailler les troncs d’arbres dont il tirait tables et coffres, portes et fenêtres. Aujourd’hui, je continue, cœur en son Cœur, de clairement saisir qu’Il avait en son éternité désiré, avec une détermination inouïe, de venir jusqu’à nous, en nos ténèbres de douleurs et de souffrances et de perditions afin de nous faire revenir en l’heureuse et sublime Maison du Père où se trouvent tant de demeures déjà prêtes à nous accueillir.
Joseph Lafon mettait son vieux costume des dimanches, Anna, son épouse, la seule robe intacte qui lui restait, pourtant achetée il y avait déjà des dizaines d’années. Même Petite Reine s’enveloppait, par dessus sa chemise de malade, dans une dentelle de fête, ajustait une mantille sur ses cheveux noirs. Mireille, en ses quinze ans, se faisait pimpante non pour plaire à je ne sais qui, mais pour honorer Celui qui allait venir. Se préparaient de même les familles venues rendre gloire à leurs vieux père et mère et à leur bien-aimée Petite Reine : je pense plus particulièrement à la famille de Larard, surtout aux jeunes JeanJean et Bernadette.

Nous partions vers onze heures du soir, espérant la neige pas toujours au rendez-vous. Chacun marchait, tenant haut sa lanterne à la main. Nous nous hâtions afin de trouver des places libres et surtout rester tous ensemble pour assister aux Trois Messes que l’on célébrait ici depuis des siècles : la première, qui commençait à minuit, fastueuse, chantée allègrement par le chanoine Pambrun, toujours aimé : elle s’achevait en procession jusqu’à la crèche afin de déposer devant l’âne et le gros bœuf, entre Joseph et la Vierge Marie, le santon de l’Enfant Jésus… ; la deuxième, plus rapide mais encore suivie plus ou moins sérieusement ; la troisième qui passait presque inaperçue tant le sommeil alourdissait tantôt l’œil droit, tantôt le gauche ; parfois les deux ensembles, mais aussitôt intervenait Mireille qui, d’une vigoureuses tape sur l’épaule, me réveillait pour quelques minutes.

Puis nous remontions, plus lentement, jusqu’à la maison de Coulommes, heureux au plus profond de notre âme d’avoir célébré l’anniversaire le plus important de tous les temps. Certes, les hommes alors s’offraient un vin chaud, les petits dont j’étais un semblant de chocolat ; les oranges, porteuses pour la seule fois de l’année d’un message venu d’au-delà des mers, faisaient valoir leur couleur vivante et leur peau resplendissante. Aucun désir de bouffe jusqu’à s’en faire péter la panse comme je découvre sur nos télécrans des pratiques récentes supposées célébrer Noël ; pas plus de ces impatiences dont témoignent les enfants d’aujourd’hui de ces cadeaux innombrables et obligatoires dont la distribution remplace la messe qui n’est plus à minuit… Je savais bien sûr que certains des enfants qui habitaient des châteaux et que je connaissais en recevaient bien plus que moi puisqu’il était impossible d’en acheter, ce qui ne me donnait aucun regret, aucun tourment car le bonheur était déjà parmi nous1 : rien à voir donc avec ces montagnes de paquets ornés d’images affolantes, ces avalanches de jouets dont tous les enfants de ce temps présents se retrouvent les maîtres jusqu’à la lassitude et l’indigestion, jusqu’à même l’indifférence née de l’excès.

  1. Un bout de bois un peu bizarre trouvé au bord d’un chemin ou arraché à quelque roncier menaçant me devenait bien plus qu’un joujou caché dans une pauvre boîte multicolore. Aussi, je disposais de l’immensité du ciel et des paysages dont je ne me lassais jamais.