Lustiger - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Lustiger

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Il y a cinq ans, vous avez défendu sur vos pages le livre de Lustiger « La
promesse » contre l’attaque du Rabbin Eisenberg. Aujourd’hui, je me trouve
dans l’obligation de défendre la mémoire du Cardinal contre les attaques
du même Monsieur. Il s’agit de son article publié le 9 septembre dans le
journal Figaro. Et voici ma réponse :

Lustiger, Juif qui fut un grand prince de l’Église

Lettre ouverte à M. Josy Eisenberg, à l’occasion de la parution de son article dans Le Figaro, édition des 8 et 9 septembre 2007.

Monsieur Eisenberg, c’est avec la plus grande joie que j’ai trouvé dans
votre article cette belle définition : «Jean-Marie Lustiger fut un grand prince de l’Église». On ne saurait mieux dire pour cet homme récemment
décédé.

Cependant, ce n’est pas pour cela qu’il m’a fallut attendre presque un
mois pour compléter votre intervention par le témoignage du sentiment
que j’ai éprouvé après la disparition du Cardinal.

Chose étonnante : la mort du Cardinal Lustiger a été célébrée en
France dans l’ambiance générale d’une fête, avec beaucoup de charme et
de curiosité, sans aucune trace ou presque de deuil ni même de tristesse
-fait presque unique dans l’histoire moderne française quand il s’agit de
la mort d’un homme d’une telle envergure publique. Et si nous parlons de
fête, ce fut évidemment la fête de la foi catholique, mais aussi –
permettez moi d’expliciter cette formule, probablement sacrilège, voire
blasphématoire d’après certains critères rabbiniques, – de la foi
judéo-chrétienne.

On peut se demander – pourquoi cette transformation, si rare et si
précieuse, de deuil en joie, et plus précisément en joie toute
chrétienne : Mort, où est ta victoire ? La réponse, je pense, est
triple.

D’abord, il ne subsiste aucun doute que Jean-Marie Cardinal Lustiger
l’ait voulu ainsi, – malgré les souffrances de sa maladie mortelle, les
inévitables souffrances physiques mais aussi certainement les souffrances
psychologiques, morales et spirituelles. On devine facilement, en se
souvenant des apparitions publiques du Cardinal pendant les derniers
jours, semaines, mois de sa vie, qu’il a conçu le projet de sa mort comme
le dernier acte pastoral de sa vie mortelle de prêtre et de directeur
spirituel des âmes : je dis sa vie mortelle et sûrement pas sa vie tout
court car elle n’a pas de fin, et rien ne nous empêche d’espérer que
l’âme du Cardinal, comme les âmes de tous les saints trépassés,
veillera sur nous, les vivants, depuis ses ultimes demeures auprès de
notre Père qui est au Cieux, – et Lustiger fut le premier de témoigner
de cet espoir : vous connaissez bien ses charmantes paroles adressées à ses collègues de l’Académie (je les cite ci-dessous).

Et si nous parlons du programme de ce dernier acte de sa vie, il est
aussi évident qu’il fut conçu par Lustiger comme l’acte de la
réconciliation universelle: la réconciliation entre non-croyants et
croyants de trois religions monothéistes, mais aussi entre les croyants
de ces trois religions et même à l’intérieur de ces religions, tout
particulièrement – car il s’est cru Juif malgré le lourd et contrariant
«tamponnage» rabbinique occasionnel – entre les Juifs et les
chrétiens. Il s’est donc servi de sa dernière visite à l’Académie
française, le Jeudi 31 mai 2007, pour la première tâche, la tâche la
plus universelle et la plus difficile de la réconciliation. Ensuite, le
Cardinal a programmé ses funérailles comme “l’exercice pratique sur le
terrain” de sa deuxième tâche, celle de la réconciliation
oecuménique, tout particulièrement, entre l’Église et la Synagogue.

Le public français a bien compris – et bien apprécié, à en juger par
l’énorme assistance et par les nombreuses et riches réactions publiques,
laïques, chrétiennes, juives, musulmanes, – à la fois les généreuses
intentions de Lustiger et sa façon de dire au revoir – à la fois noble,
cordiale et se cachant derrière une légère ironie, comme par exemple
pendant sa dernière visite à l’Académie : « Au ciel les premiers sont les derniers, donc je pense que je serai là-bas le premier à m’occuper,
à prier, à avoir tous les soins possibles et tous mes voeux vis-à-vis
de l’Académie.

Or, à part les intentions et desseins du Cardinal, il y a eu aussi deux
autres raisons de cette ambiance peu douloureuse. La première fut son
destin d’orphelin, de triple orphelin : avec la perte de sa mère morte à
Auschwitz avec toute sa grande famille polonaise, il a aussi perdu
l’histoire vivante de sa famille, les liens vitaux qui nous réunissent
par notre famille la plus proche à notre famille plus large, à notre
peuple, le peuple juif dans le cas de Lustiger. Pour ressentir tout cela,
il nous suffit d’imaginer un Breton de son âge, un orphelin perdu,
disons, en Argentine. Troisièmement, pendant son enfance et sa jeunesse,
Aaron Lustiger fut privé de toutes ses racines culturelles et
spirituelles juives, – et pourtant, les personnes qui l’ont connu pendant
les années de sa prêtrise n’ont jamais douté de ses origines juives.

La troisième et la dernière raison pour laquelle l’ambiance bon enfant
de ce touchant et collectif au revoir au Ciel l’a aussi facilement
l’emporté sur la tristesse fut moins glorieuse : pour beaucoup des
catholiques, le Cardinal est devenu une pierre d’achoppement par son
statut de témoin authentique de Jésus – Juif comme Lui et comme Sa
Mère, et comme Lui et Elle, aimant son peuple jusqu’à la mort, et comme
le dit l’Apôtre Paul, jusqu’à la de la croix, à l’épicentre même du
scandale d’une générosité qui refuse de se plier aux formules
confortables de ses compatriotes et confrères, fussent-ils français
catholiques ou français juifs.

Cette ombre, cette petite tache noire sur la lumineuse et ultime
destinée de Lustiger fut maladroitement illustrée, Monsieur Eisenberg,
par votre troublant mais parfaitement rabbinique rappel à l’ordre au
milieu de cette fête des éternels adieux. D’ailleurs, les Évangiles
nous ont conservé l’épisode d’une autre contestation rabbinique, dans
les circonstances semblables d’un autre adieu éternel – la contestation
concernant un certain Roi de Juifs.

Cela nous apprend en particulier, Monsieur Eisenberg, qu’on ne cherche
pas à régler ses comptes devant le cercueil de son adversaire.

Le Juif Aaron Jean-Marie Cardinal Lustiger, grand Prince de l’Église
catholique, fut un homme profondément humble, un homme de paix, le seul
prince de l’Église jamais invité avec ses prêtres et catéchistes à
passer quelques semaines dans une importante communauté hassidique aux
État Unis, pour vivre au milieu d’Israël qui sait prier, qui sait
espérer, qui sait pardonner et, la chose la plus importante de tout et
tellement naturelle, qui sait répondre à l’amour fraternel sans des
formalités préalables, – bref, Lustiger et ses confrères catholiques
furent invités pour vivre avec Israël en frères cadets, d’après la
belle formule du Pape Jean-Paul II, pour se rencontrer face à face, dans
la maison même d’Israël, pour la connaître et l’aimer à leur tour.

Le Cardinal a réussi son pari judéo-chrétien, Monsieur Eisenberg.
Prions pour que nous réussissions le nôtre.

Édouard Belaga
Chercheur du CNRS
Père de famille nombreuse
Ancien dissident soviétique
Ami du Père Alexandre Men’, martyre de sa vocation judéo-chrétienne,
visité et tant admiré par le Cardinal Lustiger.

Strasbourg
Le 14 octobre 2007