Liberté et égalité d'expression - France Catholique
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Saint Benoît, un patron pour l'Europe
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Liberté et égalité d’expression

Depuis les attentats islamistes du 7 janvier contre Charlie Hebdo et contre les juifs à l’Hyper Cacher, la liberté d’expression est invoquée comme un bien « sacré » de la République française. Tout le monde serait pour la liberté d’expression. Qu’en est-il vraiment ? Au lieu de « Liberté, Égalité, Fraternité », La France ne vit-elle pas selon une liberté d’expression réservée à certains, une inégalité d’expression et une rupture dans la fraternité ?
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Selon le classement annuel de Reporter sans frontière, la France, pays des droits de l’homme, ne se situe pas en tête pour la liberté de la presse. Depuis 2009, elle se positionne autour de la quarantième place. En 2010, elle est comparée, dans ce rapport, avec l’Italie d’un Berlusconi qui truste tous les médias transalpins. Et depuis, rien n’a vraiment changé, du fait des lois françaises qui li­mitent cette liberté d’expression, mais aussi en raison d’une « aristocratie » médiatique qui impose une inégalité d’expression. En ce domaine, la France n’est pas n° 1, mais un mauvais élève de l’Europe, selon Reporter sans frontière. La France c’est plutôt « France 1 faux » et « France 1 taire ».

Commençons par les lois. En 1881 la loi sur la presse « autorisait l’expression publique de toute opinion, y compris des hostilités verbales entre divers courants idéologiques, considérées comme élément essentiel d’une vraie démocratie. (…) Les idées les plus farfelues s’exprimaient librement, sans que la France ne soit devenue ni nazie, ni communiste, ni antisémite ni plus homophobe ou xénophobe qu’auparavant » (Philippe Nemo, Les deux Républiques françaises, PUF, 2010).

Avec la loi Pleven de 1972 sur le racisme, les sentiments et les paroles deviennent des délits. Ce ne sont plus seulement vos actes qui sont délictueux, mais vos propos. Et comme sont protégées, non seulement les personnes, mais les communautés, en fonction de l’origine, l’ethnie, la race, la nation ou la religion, une police de la pensée se met en place. Vont suivre la loi Gayssot de 1990 contre le révisionnisme à propos de la Shoah, puis celle de 2001 pour la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité, et 2006 contre la négation du génocide arménien.
La loi de 2004 sur l’homophobie crée, avec la Halde, un tribunal de l’opinion. Et tout récemment, nous avons une extension du délit d’entrave à l’avortement. Il devient interdit d’informer les femmes voulant avorter sur ce qu’est une grossesse ou un embryon. Toutes ces lois contre la liberté d’expression posent un problème. Elles tendent à criminaliser ceux qui s’exprimeraient contre l’avortement, ceux qui critiqueraient le mariage pour tous pour homophobie, ceux qui s’interrogeraient sur l’islam pour racisme islamophobe. Peu à peu, des sujets sont interdits à la discussion publique. L’État veut contrôler votre pensée. Big Brother is watching you.

Mais si la liberté d’expression est limitée en France, nous le devons aussi aux journalistes qui forment une caste. Lors de la présidentielle de 2012, des simulations du vote des étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille ont donné les résultats suivants : Hollande : 31 %, Mélenchon et Joly chacun 25 %, Sarkozy : 3,5 %, Le Pen : 0 %. Les Français sentent bien le parti pris des journalistes. Selon Opinionway pour le Cevipof (13 janvier 2014) la confiance des Français dans les institutions est très variable. En tête se trouvent les hôpitaux (79 %) et l’armée (74 %), en queue les partis politiques (11 %) et les médias (23 %).

Dans les médias, l’inégalité de traitement selon les sujets est fréquente. D’un côté, la manifestation du 11 janvier 2015 est un espoir pour la France. De l’autre, les Manifs pour tous de 2013 sont dénigrées, suspectées, relativisées. Contre les amalgames et les jugements binaires, une distinction serait pourtant à faire dans toutes les tendances politiques. Bruno Gollnish n’est pas Marine Le Pen ou Florian Phillippot. Le Parti chrétien démocrate ou Laurent Wauquiez divergent de Nathalie Kosciusko-Morizet. Et à gauche, Sylviane Agacinski, José Bové ou Michel Onfray critiquent la Gestation Pour Autrui (GPA) ou la théorie du genre.

D’un côté on pratique l’amalgame, de l’autre toute réflexion critique sur l’islam ne serait qu’amalgame. De fait, il ne faut pas faire d’amalgame entre une majorité musulmane pacifique et les islamistes violents. Cependant, est-il possible d’interroger l’islam comme religion ? Comment se fait-il que tout groupe de musulmans contienne une minorité active qui justifie la violence, selon le sondage de Pew Research Center de 2007 ? Si « L’Église regarde avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissant, créateur du ciel et de la terre » (Vatican II, Nostra Aetate), elle ne pense pas que le Coran soit un livre révélé, ni que Mahomet soit un prophète. Si les musulmans sont des créatures à l’image de Dieu, des frères en humanité d’un même Père du Ciel, que le chrétien doit aimer, il reste que, pour le chrétien, l’islam n’est pas une révélation. Selon Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde (2014, XO) 150 à 200 millions de chrétiens sont discriminés ou persécutés sur la planète, principalement en territoire musulman. A-t-on le droit de le dire ? On parle de Daesh et non d’État islamique, de terroristes et non d’islamistes, d’Égyptiens et non de chrétiens coptes assassinés. Avec « Dash » certains veulent laver plus blanc sur l’origine de cette violence. Mais ils ne peuvent enlever la tache de l’origine musulmane du mot assassin.

L’injonction « pas d’amalgame » serait un refus de réfléchir, alors même que l’on pratique bien d’autres amalgames qui renforcent la méfiance des Français vis-à-vis des journalistes. 77 % des Français n’ont pas confiance dans les médias (Ipsos). Mais ceux-ci ne semblent pas en avoir conscience. Jean Robin a publié en 2014 Le livre noir de l’AFP, Orientation partisane, censure, désinformation, erreurs, mensonge, etc. (Tatamis). Laurent Obertone vient de sortir La France Big Brother, le mensonge, c’est la vérité (Ring). Et nous voyons Robert Ménard, exclu d’ITélé, Frédéric Taddeï, marginalisé sur France 3, Éric Zemmour, viré de France 2 puis d’ITélé. Personnellement je ne partage pas forcément certaines idées de ces journalistes. Mais l’inégalité d’expression des opinions est trop flagrante. La démocratie devrait permettre le débat argumenté et contradictoire.

On parle beaucoup du livre de Chris­tophe Guilly, La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires, (Flammarion, 2014). Dans les médias, la France des « petits Blancs » n’a pas droit à la parole. à Canal+ Yann Barthès est le spécialiste du mépris envers ces « beaufs » qui votent FN. Mépriser ceux qui, ayant peu de reconnaissance, se réfugient dans l’identitaire, provoque en fait le contraire de ce que l’on veut obtenir. Au lieu d’aider à sortir d’une position identitaire (nationaliste, fondamentaliste…), ces bonnes intentions moralisantes, voire le mépris, provoquent le ressentiment qui renforce le besoin d’identité.

Dire que tout change, que l’identité change, que l’histoire est faite de mélange, de syncrétisme est un discours d’élite qui a sa reconnaissance, et qui peut s’aventurer dans le mélange sans avoir l’impression d’être dissous. On peut être modéré et du centre, religieusement et politiquement, lorsque l’on a déjà une identité. Les élites peuvent être cosmopolites. Mais le peuple qui n’a aucune reconnaissance a, lui aussi, besoin de reconnaissance. Le rejet moral du « fascisme » par des élites reconnues provoque le ressentiment de ceux qui subissent ce discours qui vient d’en haut et les renforce dans leur « fascisme ».

Comment peut-on appeler au respect et au vivre-ensemble lorsque l’insulte de l’autre est érigée en droit suprême ? La politesse est la première vertu politique. Peut-on construire une fraternité si le dénigrement systématique de l’autre est permis ? La gauche libertaire est enfermée dans ses contradictions d’une liberté sans limite, accordée à certains et pas à d’autres. Entre l’insulte permise et revendiquée, la dérision systématique de l’autre, et une contrainte imposant le silence si votre opinion n’est pas politiquement correcte, le vivre-ensemble est contredit à sa racine.

Cette inégalité d’expression est particulièrement vraie pour la pensée catholique. Certains diront, certes, que des radios, une TV, des journaux catholiques existent. Mais la réflexion catholique est le plus souvent exclue des grands médias. Il reste aux chrétiens, face à cette puissance des médias sur les masses, de lire son « petit journal » (pas celui de Yann Barthès, mais la revue que vous lisez en ce moment) ou de taper sur le blogue du Salon beige pour avoir une contre-information factuelle.

Notre époque aurait besoin de retrouver les « valeurs de la République ». Commençons par la liberté d’expression pour tous, l’égalité d’expression des différentes opinions, le respect fraternel de l’autre qui évite le mépris du petit.
Terminons par quelques paroles du pape François : « Il y a les péchés des médias ! Pour moi, les péchés des médias, les plus gros, sont ceux qui vont sur la route du mensonge, et il y en a trois : la désinformation, la calomnie et la diffamation. Ces deux dernières sont graves ! mais pas aussi dangereuses que la première. Pourquoi ? Je m’explique. La calomnie est un péché mortel, mais on peut l’éclaircir et arriver à savoir que telle chose est une calomnie. La diffamation est un péché mortel, mais on peut arriver à dire : cela est une injustice, parce que cette personne a fait telle chose à telle époque, puis elle s’est repentie, elle a changé de vie. Mais la désinformation, c’est dire les choses à moitié, celles qui m’arrangent le plus, et ne pas dire l’autre moitié. Et ainsi, celui qui regarde la télé ou celui qui écoute la radio ne peut pas se faire un jugement parfait, parce qu’il n’a pas les éléments et on ne les lui donne pas. Fuyez, je vous en prie, ces trois péchés. Désinformation, calomnie et diffamation » (Aux membres de l’association italienne « Corallo » le samedi 22 mars 2014).