Libérés par le Christ (suite) - France Catholique

Libérés par le Christ (suite)

Méditation du dimanche 26 juin 2016

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Souvent il est dit que notre liberté n’est en somme qu’un libre-arbitre : phrase dangereuse qui m’oblige à me tourner vers saint Augustin. Le philosophe indique qu’il existe un lien indissoluble entre le « libre arbitre » et sa discipline intellectuelle : car il convient de se saisir du mot « arbitre », dont on use en plusieurs cas : quand il s’agit de trancher un litige tel un juge (ainsi l’on découvre l’existence d’un « tribunal arbitral »…) ; quand on choisit quelqu’un afin qu’il « tranche » un débat, apaise une querelle, éclaire un conflit ; quand diverses personnes ou groupes sont en mesure d’imposer leur « volonté », instrument de la liberté, par exemple lors d’une consultation soit autour d’une table de réunion soit au cours d’une élection.

On comprend qu’on ne peut pas séparer le libre arbitre de la volonté : surgit alors le concept de « responsabilité », attribuée soit à l’Homme soit à Dieu en une question capitale : qui, par exemple, est l’auteur du Mal ? La Créature de Dieu ou le Créateur lui-même ? Saint Augustin a répondu à cette question en un dialogue ouvert entre lui et Evodius : celui-ci interroge : « Dieu n’est-il pas l’auteur du Mal ? », laissant entendre que puisqu’il a créé les âmes, dont il est assuré qu’elles sont pécheresses, il pourrait être logique de penser qu’Il est cet auteur. « Non », répond par bonheur saint Augustin : « Dieu, avec le libre arbitre, a doté sa créature de la ‘’capacité’’ de mal se conduire, donc d’exercer sa propre responsabilité ». En somme, l’être humain est responsable du mal qu’il fait comme du bien parce que « capable » des deux.

N’oublions pas que doivent exister des degrés avec des dosages plus ou moins complexes entre ce qui est avouable et inavouable…

Alors, cela va de soi, l’homme se pose la question du « Pourquoi ». Qu’est-ce qui fait que nous sommes en mesure de bien agir comme de faire le mal ? Intelligent, disposant d’un atout considérable, sa volonté, nous devrions pouvoir nous juger et décider ainsi en faveur du bien plutôt que pour le mal, ce serait parfaitement concevable. Ici, il fait faire appel à ce « libre arbitre » qui permet de choisir, et donc, suivant les cas, d’être attiré d’un côté ou de l’autre suivant toutes sortes de possibilités entre lesquelles arbitrer. (Survient ici la notion de « tentation », qui laisse entendre que peut intervenir un quidam dangereux…)

Cependant, le plus simple n’aurait-il pas été d’avoir été privé de ce « libre arbitre » qui se joue parfois de notre volonté ?

Saint Augustin découvre que l’être humain ne peut considérer que favorablement le fait d’être doté d’une « volonté » agissante : elle est un bien, pas toujours convenablement orientée, parfois tout acquise au Mal, mais tout de même un bien ! Il comprend qu’il en va de même au sujet du libre arbitre : la dignité de l’être dépend du bon usage fait de cette capacité, son indignité de ses mauvaises actions. « La volonté libre, écrit-il, sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître qu’elle est un bien, aussi un don de Dieu, et qu’il convient de condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de croire que celui qui l’a donné n’aurait pas dû le faire ».

Reste encore à nous persuader que saint Paul a raison de dire que notre liberté provient du Christ : elle trouve logiquement sa justification dans le fait qu’Il nous a sauvés ; sans le salut, nous assurer clairement que notre liberté serait morte, ne serait qu’une apparence, un rêve impossible… En effet, le salut selon le Christ est une authentique « libération » : en lui, l’être qui s’interpelle au sujet de ses fautes, erreurs, mauvaisetés, il est en mesure de se tourner librement vers Dieu pour l’aveu parce que s’ensuit, tel un miracle, le pardon1. Cependant, pour ce qui concerne ce qui est, in fine, la justification de cette capacité du libre arbitre, ne jamais oublier ce qu’enseigne le Christ que cela seul qui restera en l’éternité sera l’amour : et que donc alors le choix du Mal sera devenu impossible, non par obligation extérieure mais par choix décisif à jamais. Et cet amour qui est au cœur de l’être ouvre sans cesse une porte contradictoire car il lui suffit d’être ce qu’il est pour ne plus s’ouvrir sur celui qu’il est mais sur celui seulement qu’il a choisi, ici Dieu, ensuite sur ceux qu’il accompagne.

Mais cette liberté, associée à la volonté, se trouve soudain confronté à un adversaire redoutable : la facilité du mal, donc l’habitude du péché, et par là un invisible trouble qui s’installe et se transforme en « esclavage » : une sorte d’impossibilité de prendre les décisions essentielles à la vie libre de l’être ; passage obligé vers la nuit, le désordre, le désespoir.

Plus le temps passe plus il devient difficile de se défaire de l’innommable, plus il devient impossible de prendre la décision d’ouvrir la porte sur la lumière du Fils de la Lumière, de vivre selon les règles du bien, donc de l’amour… cela si la conscience ne s’éveille point, si l’appel au secours de Dieu s’éteint dans la gorge, si sa grâce ne peut être que refoulée ! Mais si, au contraire, l’âme en train de s’enfoncer dans l’abîme lève soudain ses yeux et ses mains vers le Dieu Sauveur : alors les liens de l’esclavage se déchirent, se prononce le « profond regret » de la conscience qui demande le pardon divin : l’être se sent libéré, non par lui-même ce qu’il ne peut, mais par la présence de Celui qui n’a jamais cesser de l’aimer…

Etc..

  1. Il me semble qu’ainsi se tourner librement vers Dieu suppose que l’on peut, toujours librement cela va de soi, se détourner de Lui. Il est donc clair que ce détournement peut être totalement assumé par le « pauvre pécheur » mais aussi accompagné ou même soutenu plus ou moins totalement par une intervention extérieure acceptée : par exemple, celle d’un ange maudit.