Les trois idées de Newman sur l'université - France Catholique
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Les trois idées de Newman sur l’université

Traduit par Bernadette Cosyn

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L’idée de base dans le grand ouvrage de John Henry Newman ‘L’idée d’une université’ est l’un de ces arguments brillants qui vous coupent le souffle par leur simplicité et leur puissance. Une université, dit-il, comme son nom l’indique, est le lieu d’un apprentissage universel. Par conséquent, une institution qui manque à enseigner sur Dieu, la réalité centrale, l’origine et la fin de tout le reste, quels que soient par ailleurs ses mérites, ne peut tout simplement pas être appelée université. Ce serait une université de comédie, comme une qui par principe exclurait la chimie ou la physique. Avec une logique dévastatrice, Newman décrit alors les désordres qui affligent obligatoirement une communauté académique qui a dépouillé son cœur même.

C’est une idée audacieuse que de penser que nos plus prestigieuses universités ne sont, pour la plupart, aucunement d’authentiques universités.

Le problème est qu’il y a une deuxième idée, différente, dans l’ouvrage de Newman. Il décrit également l’université comme une place où la beauté caractéristique de l’intelligence est transmise, juste pour elle-même :

Il y a une beauté physique et une beauté morale : il y a la beauté de la personne, il y a la beauté de notre être moral, qui est la vertu naturelle : et de manière identique il y a une beauté, une perfection de l’intelligence… l’artiste place devant lui la beauté de la représentation et de la forme ; le poète, la beauté de l’esprit ; le prédicateur la beauté de la grâce : alors, je le répète, l’intelligence également a sa beauté, et elle a ceux qui la visent. Pour ouvrir l’esprit, pour le corriger, pour le peaufiner, le rendre capable de savoir et de digérer, maîtriser, diriger et faire usage de ce savoir, pour lui donner pouvoir sur ses propres facultés, application , flexibilité, méthode, exactitude critique, clairvoyance, ressource, savoir-faire, éloquence, il est un objet aussi intelligible… que le raffinement de la vertu, bien que, en même temps, cela en soit absolument distinct.

Cela aussi est une idée audacieuse. Bien sûr, nous sommes familiarisés avec l’idée qu’une université devrait mettre l’accent sur les « lettres et sciences sociales et humaines » et non pas se limiter à offrir des disciplines spécialisées ou pré-professionnelles. Mais la critique de Newman est bien plus large. « Si vous pensez une université en termes de notes, de programmes, de matières principales » déclare-t-il, « et non, pour parler ainsi, des personnes intellectuelles que vous formez, vous êtes tout-à-fait à côté de la plaque ». Dans l’opinion de Newman, il n’est pas certain qu’il existe une seule université visant le bon but.

Durant longtemps, je me suis demandé quel lien il pouvait y avoir entre ses deux idées plutôt différentes. J’ai découvert la réponse récemment, dans un passage de l’agréable nouvelle traitant de la vie à l’université d’Oxford, ‘Perte et gain’.

Le protagoniste de cet ouvrage, Charles Reding, commence ses études en supposant que « c’est un devoir de plaire à tout le monde ». Son principe moteur est le relativisme, le même relativisme que les étudiants américains portent en eux. Mais alors il a une conversion intellectuelle. Premièrement, il prend conscience que « des opinions contradictoires ne peuvent pas être toutes deux vraies : quand une affirmation est vraie, sa négation est fausse. Toutes les doctrines ne peuvent pas être également sensées : il y a le vrai et le faux ». Deuxièmement, il en vient à voir que « c’est notre devoir de soutenir les opinions vraies », et par conséquent il est mutilant de croire quelque chose de faux :

il n’était pas respectable dans toute grande question de soutenir des opinions erronées. Peu importait que ces opinions erronées soient soutenues sincèrement, – …Il pouvait racheter et couvrir cette tache par un millier d’excellences, une tache resterait une tache ; tout comme nous trouverions défiguré un bel homme qui aurait perdu un œil ou une main… si un chrétien déclaré faisait du Tout-Puissant un être tout de bienveillance comme Il l’était, à l’inverse… un Dieu qui punit pour l’amour de la justice, une telle personne prendrait pour objet de sa religion une idole ou un fantasme et… dans ce cas [Charles] ne pourrait pas respecter un tel homme.

Newman écrit : « ainsi le principe de dogmatisme est graduellement devenu un élément essentiel des opinions religieuses de Charles ».

Voici donc le lien entre les deux idées. La beauté de l’intelligence, qu’une université devrait viser à transmettre, n’est pas atteignable par quelqu’un qui soutient des opinions erronées dans des domaines profondément importants, dans les « grandes questions » ainsi que les appelle Newman. Mais savoir si Dieu existe, savoir quels sont ses caractéristiques, s’il s’est révélé lui-même et de quelle manière sont certainement de « grandes questions ». Donc si une université vise à atteindre la beauté de l’intelligence, elle doit au minimum procurer aux étudiants l’opportunité de chercher la vérité à propos de Dieu.

Ce qui relie les deux idées – la « troisième idée » – est justement le « principe de dogmatisme », à savoir que nous avons le devoir de chercher la vérité et de rejeter énergiquement ce qui est faux dans les « grandes questions ».

Beaucoup de catholiques sont conscients que Newman, dans son fameux discours de Biglietto, réfléchissait sur le cours de sa vie et observait que « durant trente, quarante, cinquante ans, j’ai résisté de toutes mes forces à l’esprit du libéralisme en religion ». Par « libéralisme » , il entendait le relativisme et l’idée que toutes les religions se valent. L’opposé du libéralisme est alors ce « principe de dogmatisme » que Charles Reding en est venu à embrasser. Aucun doute, le jeune Newman, à Oxford, a également embrassé ce principe.

Nous admirons Newman et, je l’espère, nous désirons lui ressembler. Nous admirons la beauté de son intelligence. Pourtant, il y a des chances que, en lisant le discours de Biglietto, nous soyons uniquement reconnaissant à Newman pour s’être opposé au libéralisme. Cependant, si nous prenons au sérieux les trois idées de Newman sur l’université, nous devrions également embrasser sincèrement le principe de dogmatisme et ne nous satisfaire que d’une éducation tout autant opposée au « libéralisme » – une qui pousse les étudiants à devenir impitoyables dans la poursuite de la vérité sur les « grandes questions », et obstinés à s’y accrocher quand ils l’ont trouvée.

Michael Pakaluk, spécialiste d’Aristote et ordinaire de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin, est professeur à l’école de commerce et d’industrie Bush de l’Université Catholique d’Amérique. Il vit à Hyattsville (Maryland) avec son épouse Catherine, également professeur dans le même établissement, et leurs huit enfants.

Illustration : le buste de Newman par Richard Westmacott le jeune, 1841 [Musée d’Art de Birmingham, Angleterre]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/10/29/newmans-three-ideas-of-a-university/