Les périphéries sur le fil du rasoir - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Les périphéries sur le fil du rasoir

Traduit par Bernadette Cosyn

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La messe du pape François à Manille le mois passé a rassemblé une foule considérable, probablement plus importante que toute la population de l’Irlande. Etant donné que le taux de naissance en Irlande, comme dans la plupart des nations dites « développées », est inférieur au taux de remplacement (la population d’Irlande n’a augmenté que de 4 000 personnes en 2014), alors que dans les Philippines, il reste supérieur, il est aisé de voir pourquoi le pape consacre du temps et de l’attention à de tels endroits qu’il nomme « les périphéries ». Faisant obstacle à pas mal de bouleversements de nos sociétés avancées, ce sont elles – et pas nous – qui sont l’avenir de l’Eglise et du monde.

Ce sera le cas, tout du moins, s’ils suivent ses conseils (la bévue sur les lapins mise à part) sur l’accueil des enfants et les familles nombreuses et n’adoptent pas la pilule délétère des Nations-Unies, de l’Europe ou de l’actuelle administration US. Les Philippines ont approuvé la contraception en 2012, malgré la résistance acharnée de l’Eglise, et pourraient suivre la trajectoire descendante habituelle : avortement, divorce, destruction de la famille et monceau de cendres de l’histoire. Toutes choses très progressistes, modernes… et suicidaires.

François appelle cela à bon droit « la colonisation idéologique ».
Dans l’avion de retour des Philippines, il a parlé, comme il l’avait déjà fait auparavant, du roman de Hugh Benson paru en 1903, Le Seigneur du Monde : « si vous le lisez, vous comprendrez ce que je veux dire par colonisation idéologique. » Le livre de Benson est subtil et riche – et mérite d’être lu et relu. Mais ce que veut dire François est clair : dans le monde qu’il anticipe, ce n’est pas l’homme contre les machines, comme dans les films actuels. Ce n’est pas même une population marginalisée se dressant contre un empire ultra-moderne.

Dans l’histoire de Benson, le monde est divisé en deux grands blocs. L’un d’eux est conduit pas une étrange figure messianique qui combine le modernisme technologique avec une religion de l’Humanit – une potion puissante. L’autre bloc est construit autour du pape Jean XXIV (bonne pioche, Benson) qui a limin les distractions technologiques afin que la vritable situation de l’homme et la souverainet de Dieu soient visibles.

Un prêtre réfléchit en observant Rome :
Les deux cités d’Augustin sont là pour qu’il choisisse. L’une est issue d’un monde qui s’autogère, s’auto-organise et est autosuffisant, dont des hommes comme Marx et Herve se font les interprètes, socialistes, matérialistes, et en définitive hédonistes, récapitulés finalement dans Julian Felsenburgh. L’autre se déploie selon ce qu’elle voit devant elle, qui parle d’un Créateur et d’une Création, d’un projet divin, de rédemption, d’un monde transcendant et éternel duquel tout prend sa source et auquel tout aboutit. Jean et Julian sont l’un le Vicaire de Dieu et l’autre son contrefacteur.

Parmi les nombreuses choses concernant le pape François qui ont mis du temps à être comprises, il y a sa vision globale sur le rôle double que les périphéries jouent à notre époque relativement à un arrière-plan plus vaste.
D’une part, il y a des endroits où il faut s’engager activement :
L’Eglise est appelée à sortir d’elle-même et à aller vers les périphéries, pas seulement les périphéries géographiques mais aussi les périphéries existentielles, celles des mystères du péché , de la souffance, de l’injustice, de l’ignorance, du manque de religion, celles de l’enseignement et celles de toutes les sortes de misères.

Il a dit cela d’une manière impressionnante durant les assemblées générales de 2013, les consultations privées entre cardinaux préalables à l’élection papale.

Ce côté de lui nous est familier. Moins connue est sans doute sa conviction que la globalisation – malgré des aspects positifs – n’a pas seulement une forte répercusssion sur les moyens de subsistance des gens (il parle comme quelqu’un qui n’a généralement vu la globalisation qu’à travers la corruption locale). La culture dominante a séparé les gens du catholicisme populaire qui a longtemps transmis la foi de génération en génération. Les familles aussi sont victimes. Donc de telles périphéries, où qu’elles se trouvent, sont sur le fil.

De façon étrange à nos yeux, François, dans le même temps, croit que les périphéries, en retour, seront les lieux d’où viendra la réforme du “centre” – non seulement de la société, mais de l’Eglise elle-même.Comme le cardinal Maradiaga, chef controversé du conseil des cardinaux, l’a déclaré dans un discours récent dévoilant les grandes lignes du programme de François :
Habituellement, la rénovation commence avec les activités pastorales. Car c’est là que les inconséquences d’un certain “modèle” de l’Eglise et de la réalité sont d’abord ressenties. Les missionnaires, les évangélisateurs aux “marges” de l’Eglise, sont les premiers à remarquer les insuffisances des moyens traditionnels d’action ; la critique de la pastorale commence avec l’expérience de la mission dans les “périphéries”.

Cela nous ramène au document Aparecida de la conférence épiscopale d’Amérique Latine de 2007. Jorge Bergoglio en était l’auteur principal. Certains croient que cela suggère que l’Amérique Latine détient une clé spéciale pour ce renouveau.

Une revendication hardie depuis que l’Eglise locale n’y est manifestement plus en expansion. Bien sûr, il y a toujours un grand nombre de catholiques sincères du Rio Grande à la Terre de Feu – et des mouvements de renouveau de valeur. Mais dans plusieurs régions, les gens se trouveront bientôt régulièrement divisés entre catholiques et évangéliques.

J’ai moi-même vu des temples d’Adventistes, de Témoins de Jéhovah et même de Mormons dans la forêt tropicale brésilienne où l’Eglise catholique est absente. Beaucoup de ceux qui abandonnent l’Eglise veulent une vie spirituelle plus personnalisée, et Jorge Bergoblio a depuis longtemps cherché à la leur procurer. Mais selon mon expérience, les gens disent aussi souvent qu’ils veulent une communauté spirituelle, pas une nouvelle institution engagée dans des politiques décevantes et corrompues.

La propre patrie du pape, l’Argentine, voit son taux de naissance décroître et augmenter le nombre d’ex-catholiques. Si vous lisez le document Aparecida et plusieurs autres déclarations du pape, vous remarquerez une insistance à présenter une annonce plus vigoureuse de Jésus comme notre seule ressource. C’est vrai, bien sûr, d’une certaine façon, mais il est douteux que l’Eglise catholique puisse lutter contre les évangéliques uniquement sur cette base-là.

Le catholicisme populaire est une stratégie, dans certaines situations. Mais qu’en est-il de la riche culture catholique, héritière du monde classique, du Moyen-Age, de la Renaissance et de bien plus encore ? Est-ce que maintenant tout cela n’est plus que sans pertinence, sans intérêt, inintelligible ?
L’Eglise est assiégée de toutes parts dans le monde développé, persécutée au Moyen-Orient, tatonnant à la recherche d’une nouvelle voie en Amérique Latine, croissante en Afrique et en Asie – au milieu de menaces et de problèmes. Maintenant nous sommes tous dans les périphéries – tous sur le fil du rasoir.

Photo : le pape arrive au Rizal Park à Manille pour la messe ; il est attendu par plus de six millions de Philippins.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/02/peripheries-edge/