Les leçons de la crise de l’Eglise des années 70-90 - France Catholique
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Les leçons de la crise de l’Eglise des années 70-90

Les leçons de la crise de l’Eglise des années 70-90

par Alex et Maud Lauriot - Prévost .
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L’Église en France à vécu une grave crise durant les années 70-90, sans en avoir vraiment analysé les causes en profondeur. Certains veulent pourtant clore un débat qui s’ouvre à peine. Même si la question est sensible, il apparaît au contraire utile de tenter d’en tirer les leçons afin de ne pas réitérer les erreurs commises. Un travail collectif de relecture et de discernement ne peut que porter des fruits utiles pour construire l’avenir. Dans une tribune récente (La Croix, 8 novembre), un de nos évêques tente de couper court à des analyses de plus en plus nombreuses qui cherchent à décrypter les raisons de la crise profonde qu’a traversée l’Église de France durant les années 70-90. Étonnante et surprenante tentative d’allumer des contrefeux pour dédouaner de toute responsabilité la génération aux commandes pastorales de ces années très critiques. Cela illustre combien la question est sensible dans notre pays, alors qu’à Rome ou dans d’autres pays, ce travail a déjà été largement entamé. N’est-il donc pas nécessaire de se poser deux questions très simples pour camper ce débat que nous souhaitons avec bien d’autres voir se développer : « Pourquoi en est-on arrivé là ? », et surtout : « Quelles leçons en tirer pour la conduite pastorale de l’Église aujourd’hui et demain ? » Que l’Église de France ne ferme pas le ban avant qu’il ne soit ouvert ! Même si les historiens ou les théologiens de demain ne manqueront pas de répondre très librement à ces questions, il nous semble dès à présent très sain et opportun pour l’Église de France de réaliser un premier discernement sans langue de buis sur cette période difficile dont nous payons aujourd’hui le prix pastoral et communautaire. Durant toutes ces années, la désertion ecclésiale a été massive ; parents d’enfants et de petits-enfants devenus incroyants, ou membres d’une génération baptismale dont la grande majorité ne connaît pas le Christ, il est logique de réclamer aujourd’hui un vrai « droit d’inventaire ». Il est aussi compréhensible que d’autres attribuent les errements douloureux de cette période aux seules difficultés du moment, craignent d’ouvrir un débat finalement stérile et diviseur alors que l’Église de France semble aujourd’hui relever la tête, ou pressentent avec plus ou moins d’inquiétude ce qui pourrait effectivement sortir d’imprévisible d’une analyse approfondie. Arguments pertinents qu’il faut écouter : il ne s’agit donc nullement de trouver des boucs émissaires, mais de tirer avant tout pour l’avenir toutes les leçons théologiques, pastorales et spirituelles de cette crise sans précédent. Pour affronter lucidement et efficacement les défis de l’Église du XXIe siècle, il nous semble ni sérieux, ni responsable au plan pastoral et spirituel d’imputer aussi facilement toutes les difficultés rencontrées au seul sécularisme extérieur ou à l’esprit du monde moderne. De grâce donc ! Que l’Église de France ne ferme pas le ban avant qu’il ne soit ouvert ! C’est trop important pour les générations présentes et futures afin de leur permettre de mieux construire l’avenir ecclésial à la suite du Christ. Un discrédit constant et étonnant à l’encontre du « Nouveau Printemps » Plus grave encore que le refus de ce débat, nous semble être dans cette même tribune [1] la négation par cet évêque de tout besoin de « réforme de la réforme » [2] pourtant si cher à Benoît XVI et le dédain affiché face aux expériences ou recherches de renouveau pour remédier à cette crise : il discrédite ainsi ironiquement le « nouveau » en parlant de simple « magie », et tente au final de se draper dans la défense de Vatican II, en agitant le soi-disant danger de voir « supprimer des décisions du concile » ! Tout observateur ecclésial sérieux ou tout catholique vivant en Église sait parfaitement que cette hypothèse est totalement impensable lorsqu’on connaît l’attachement sans réserve de Jean-Paul II et Benoît XVI à Vatican II, comme celui des cardinaux Vingt-Trois et Barbarin en France par exemple ! À la lecture de tels propos, on est ─ en tant que catholique ─ véritablement estomaqué ! Comment faire un tel procès d’intention face à un soi-disant danger de régression conciliaire ? Comment discréditer à ce point le « nouveau » lorsqu’on sait combien la Nouvelle Évangélisation a été amplement développée par Jean-Paul II durant tout son pontificat ? Elle a même été retenue comme axe pastoral central et universel pour toute l’Église dans l’encyclique Au début du troisième millénaire, puis reprise comme tel par Benoît XVI ; et pour étayer ces priorités, nos papes se sont constamment inspirés de Vatican II, des expériences et des fruits très divers qui en découlèrent, où ils ont discerné l’œuvre de l’Esprit dans ses mises en oeuvre les plus fructueuses. Citons par exemple les expériences multiples des nouveaux mouvements et des communautés nouvelles, mais aussi de nombreux renouveaux missionnaires en paroisse, qui ont fleuri et se sont développées dans le monde entier, et dans certains diocèses en France ces quarante dernières années. Malheureusement pour certains, ce renouveau n’était ─ et n’est toujours ─ qu’un miroir aux alouettes et une simple « magie » apparemment bien trompeuse à leurs yeux [3]. Il est important de rappeler qu’effectivement un certain nombre de pasteurs, de religieux ou d’intellectuels aux commandes de l’Église de France à cette époque ont ignoré et même refusé de voir comme un signe de l’Esprit cette nouvelle dynamique rafraîchissante. Il s’agit pourtant d’un fruit direct et évident du concile, tant les laïcs y sont investis, tant les vocations et initiatives pastorales très diverses y fleurissent sans cesse depuis leur émergence. Rome n’a cessé de relever la grande grâce de ce « nouveau printemps » prophétisé par Jean XXIII lui-même à l’ouverture du Concile : c’est « une chance pour l’Église » (Paul VI), un « printemps de l’Esprit » (Jean Paul II), un « signe lumineux du Christ et de l’Église » (Benoît XVI). En vain pourtant ! Pour beaucoup, ce renouveau ─ qui dépasse très largement la seule mouvance charismatique ─ ne correspondait ni à leurs schémas idéologiques, ni à leurs plannings pastoraux : c’était forcément “tradi”, “rétro”, romain (donc suspect !) et finalement contre l’“esprit” de Vatican II, argument constamment agité comme un épouvantail et un repoussoir, argument pourtant totalement trompeur et abusif. Ce renouveau ecclésial diversifié (et de nature bien différente des replis traditionalistes très groupusculaires) a donc été purement et simplement occulté par de nombreux responsables pendant des années, et, aujourd’hui même ─ ce qui est plus grave ─ il s’en trouve encore beaucoup qui continuent à le nier ou à le réfuter. Certains évêques vont par exemple jusqu’à s’opposer encore aujourd’hui à l’implantation dans leurs diocèses de ces renouveaux paroissiaux, de ces communautés ou de ces mouvements, alors que leur Église locale est complètement sinistrée au plan pastoral [4]. Nombre d’“intellectuels” catholiques (!) continuent à ronronner comme si ce renouveau n’existait pas et à discourir sur des problématiques éculées. Combien critiquent aussi ouvertement ce renouveau ecclésial ou ironisent en permanence à son sujet ! Tristes pratiques de conservatisme caractéristique chez ceux-là même qui s’autoproclamaient alors comme l’avant-garde permanente de l’Église (et aujourd’hui, plutôt comme ses gardiens du temple…). Tenter de comprendre les raisons de ce « naufrage pastoral » D’une certaine manière, nous comprenons ceux qui redoutent les résultats d’une analyse au grand jour des causes et des responsabilités ecclésiales de cette crise, et qui dénoncent donc par avance le « mauvais procès » ou qui se plaignent de ceux qui « noircissent à plaisir la génération précédente ». Il est effectivement important de ne pas caricaturer, de saisir la complexité d’une période alors très mouvante et d’une société fortement idéologisée, mais c’est là une manière un peu courte de balayer d’un revers de manche la nécessité de discerner en vérité les raisons internes de cette crise. Il est donc nécessaire d’écouter et de débattre sérieusement, avec des théologiens comme le père Mario Saint-Pierre analysant les causes et les remèdes de ce « naufrage pastoral » [4] ou avec des évêques qui reconnaissent la part de responsabilité directe de l’épiscopat français, comme l’a écrit courageusement Mgr Maurice Gaidon, ancien évêque de Cahors [5]. Bien entendu, la générosité pastorale, l’amour du peuple de Dieu et le souci sincère de servir l’Église ne sont pas à remettre en cause chez les pasteurs de l’époque [6]: ils ont été fidèles à leur ministère ordonné à l’heure où beaucoup quittaient le navire, ils ont tenu peu ou prou la barre au moment où la tempête faisait rage, ils ont sans doute tenté de faire au mieux et de parer au plus pressé ; ils ont donc été cette génération du « passage vers l’autre rive ». Nous devons donc leur rendre grâce pour cela et les remercier sincèrement d’avoir “tenu”. Mais est-ce suffisant ? Nous ne le croyons pas : de plus en plus de voix reconnaissent aujourd’hui qu’une bonne part de l’encadrement pastoral et surtout de l’élite intellectuelle de l’Église de l’époque a sans doute manqué de lucidité, de courage et même de fidélité à la ligne tracée par les pères conciliaires : en effet, cette ligne a été constamment actualisée avec beaucoup d’énergie et de clairvoyance par Paul VI et Jean-Paul II dans le sens de l’interprétation et de la mise en œuvre de Vatican II, de l’orthodoxie de la foi catholique et de la priorité pastorale à développer une évangélisation crédible, explicite et fructueuse pour rejoindre et faire croître le Peuple de Dieu. Or, en lieu et place de croissance, en bien des espaces ecclésiaux, on a connu le reflux constant et parfois jusqu’à la déroute, sans pourtant qu’aucune ligne pastorale ne soit remise en cause pendant des années malgré les exhortations de Pierre ! Le rôle déterminant de l’intelligentsia « catholique » Ce constat n’est en rien une caricature, loin de là : rappelons-nous par exemple l’accueil glacial que reçut en France l’exhortation magistrale de Paul VI en 1975 sur l’évangélisation, écrite à l’occasion des dix ans de la clôture de Vatican II, ou bien les sentiments très distants ou critiques vis-à-vis des différentes exhortations pastorales de Jean-Paul II durant l’essentiel de son pontificat. La grande majorité des pasteurs, des universitaires et intellectuels catholiques étaient alors encore très influencée par des problématiques trop hexagonales, par ce gallicanisme bien connu, par des pratiques pastorales trop monolithiques liées à une action catholique le plus souvent déconnectée de ses intuitions premières, par des préceptes théologiques ou idéologiques constamment inoculés par toute une intelligentsia « catholique » systématiquement contestataire du Magistère. L’épiscopat français ─ hormis des hommes courageux mais très isolés comme le cardinal Lustiger ─ était de fait quelque peu pétrifié par les réactions souvent vives du “monde” profane et laïciste, sous pression constante des philosophies athées et des utopies trompeuses de l’époque post-68, et négligeait l’impératif d’un réveil puissant, et de la foi, et de la raison. Durant de longues années, il y eut donc dans l’épiscopat beaucoup de difficultés à délivrer et à assumer à temps et contre-temps une parole publique résolument libre et donc vraie, puissante et donc prophétique, et à tracer en cela les voies d’un renouveau évangélique et ecclésial indispensable. Retrouver fraîcheur et enthousiasme d’une Église renouvelée « Qui sommes-nous pour juger nos frères ou nos pères » pourrait-on rétorquer ? Très juste ! Il ne s’agit donc en rien ni de personnaliser le débat, ni de juger bien sûr des personnes, mais de tenter d’analyser les faits, la pensée et la pratique pastorale d’une époque très délicate. Acceptons qu’un discernement approfondi soit opéré : un blanc-seing ne peut être apposé comme si rien ne s’était passé, d’autant plus qu’un certain nombre continue de refuser systématiquement cette dynamique nouvelle que « l’Esprit dit aux Églises » (saint Paul). Nous sommes trop peu nombreux aujourd’hui pour ne pas nous attrister de voir de nombreux catholiques encore très imprégnés de concepts pastoraux dépassés et stériles, alors que l’amertume ou la déprime minent secrètement tant de prêtres ou de chrétiens militants de cette mouvance. De tels sentiments intimes sont pourtant si compréhensibles après tant d’années de combat et d’énergie dépensée pour si peu de fruits perceptibles et après ce qu’il convient bien de dénommer une véritable déroute pastorale. Nous souhaitons donc de tout cœur qu’un maximum de pasteurs et de laïcs puisse analyser les raisons de cette crise et tirer les leçons de ces impasses qui furent si coûteuses. Nous souhaitons qu’ils goûtent à nouveau dans leur propre ministère et leur engagement, l’enthousiasme et la fraîcheur de leur jeunesse en s’inscrivant enfin dans cette dynamique si diverse de la Nouvelle Evangélisation et de ce nouveau Printemps de l’Esprit. Rappelons-nous les ouvriers de la onzième heure ou l’échange de Jésus avec le vieux Nicodème : il n’y a pas d’âge pour goûter cette renaissance, ce renouveau si salutaire « et de l’eau, et de l’Esprit ». Nous en sommes témoins aujourd’hui de si nombreuses manières. Nous tous, ré-écoutons donc le Christ : « Venez et Voyez ! » * Maintenant, qu’il y ait débat sur toutes ces questions, que notre réflexion présentée ici soit elle-même partielle ou critiquable, que des analyses différentes voire divergentes existent, on le comprend, c’est utile, c’est même constructif, mais faisons vivre et exister ce débat, non pas simplement sous le manteau ! Développons donc les analyses, écoutons les témoignages, soyons exigeants dans le discernement. Les médias chrétiens, la presse et l’Internet notamment, ont là toute leur place pour orchestrer un débat serein mais approfondi. Que l’Esprit-Saint nous conduise ! [1] Toutes les citations en italique et entre guillemets sont extraites de cette tribune. [2] Exemple, les commentaires des détracteurs du projet missionnaire de Lyon-Centre lors de son lancement mi-décembre 2008 sont très révélateurs de cette forte défiance a priori. [3] On imagine les situations dramatiques laissées alors aux successeurs… [4] L’Église en Croissance, Éditions Néhémie/L’Emmanuel. [5] Entre crise et renouveau de l’Église, Éditions de l’Emmanuel. [6] Ce qui en revanche n’était sans doute pas le cas chez certains intellectuels ou journalistes « catholiques ».

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