Les « Jours Heureux » - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Les « Jours Heureux »

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« Le Christ apparaissant à Pierre sur la Voie Appienne » (Domine, quo vadis?) par Annibale Carracci, 1601-02

« Le Christ apparaissant à Pierre sur la Voie Appienne » (Domine, quo vadis?) par Annibale Carracci, 1601-02

[National Gallery, Londres]

Quand je dis que nos Jours Heureux sont terminés, je ne me montre pas excessivement pessimiste ou morbide. C’est seulement un fait. Depuis les temps anciens, dans la mécanique céleste, les Jours Heureux correspondent à la semaine qui précède et à la semaine qui suit le solstice d’hiver – le jour le plus court de l’année. C’était généralement, et c’est encore, dans notre berceau méditerranéen, une période de temps doux, une parenthèse entre les tempêtes. C’était la vie au milieu d’une mort froide et humide.

Il y avait une période correspondante durant la quinzaine autour du solstice d’été. Actuellement, de notre point de vue, nous trouverions cela morbide. Car c’était la mort au milieu de la vie.

Pour un chrétien, en vérité, il n’est nul besoin de s’inquiéter. Que notre vie dure au milieu de la mort, et vice versa, était quelque chose que nous avons accepté durant de nombreux siècles – quand la mort était reconnue non seulement comme un fait de la vie mais comme son fait principal. Il pouvait difficilement nous être caché, ne parlons même pas d’y échapper.

Actuellement, les marins chrétiens ont « déplacé », inconsciemment (ou consciemment) le solstice d’hiver à Noël, et donc la fin des Jours Heureux à ce que nous considérons maintenant comme le Nouvel An. De nos jours, nous disons que de telles choses révèlent notre for intérieur païen, bien que dans ma logique christianiser les choses n’est pas païen.

Fort heureusement, c’était également la logique de nos pionniers chrétiens. Tous ce qui était bon, vrai, beau, pouvait être facilement christianisé, et grâce à l’instinct de conversion, rien ne se perd. Nous pratiquons, ou du moins nous pratiquions, un culte non iconoclaste, non « puritain ». Notre religion n’était pas annoncée par une « culture de la suppression ».

J’aimerais m’attarder sur ceci un moment parce que je pense que c’est très, très important. L’élan catholique n’est pas celui d’un censeur. Il vise à assimiler et à sauver. Quand les choses sont purifiées, elles ne sont pas gommées. Au contraire, elles sont transformées en leur meilleur.

Nous ne craignons pas non plus le contact avec des faits pénibles (la mort biologique, une maladie grave, uns souffrance qui amoindrit…) Cela fait partie de la vie, et donc de la vie éternelle, dans la conception chrétienne de la réalité et du Salut.

Dans ce monde, certaines choses sont sans conteste désagréables ; j’en sais quelque chose. C’est notre « condition humaine » pour la durée de notre séjour sur terre, si pas plus. La connaissance catholique du Purgatoire est – selon moi, comme d’habitude – une garantie de notre engagement dans le plus grand réalisme.

De même, nos plaisirs sont des « accidents » au sens philosophique. C’est pourquoi une vie vouée à la poursuite du plaisir est une vie superficielle et vide de sens et, comparée à une vie de souffrance, tout autant à éviter. C’est pourquoi notre société de consommation est une chose tellement méprisable, comme le sont toutes celles dans lesquelles nous poursuivons une activité non pertinente en ignorant des impératifs urgents.

Il y a, d’une certaine façon, une sensualité qui en vaut la peine, par laquelle nous prenons nos plaisirs comme un catholique devrait les prendre : comme des cadeaux et non comme des droits.

Un très bon exemple moderne : « les joies du sexe ». Dans à peu près neuf cas sur dix (en réalité, la proportion est bien plus grande), on nous dit que le sexe est bon en soi, que, pour être aussi vulgaire que possible, nous avons « le droit de baiser ». J’aurai tendance à penser que même les catholiques de cafétéria les plus écervelés soupçonnent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là dedans, même lorsqu’ils « suivent le troupeau ». Mais je suis peut-être trop optimiste.

Pourtant, les « joies du sexe » ont leur place, mais dans une intimité cachée au monde, à l’opposé de la publicité faite par des mannequins en bikini. Que nous soyons, dans nos meilleurs jours, réellement capables de saisir cela est à mettre au crédit du Seigneur qui nous a créés et a créé toute chose dans un but précis.

De même, l’association (« démodée ») de la sexualité avec la grossesse et donc avec la perpétuation de la race humaine reflète un ordre créé par Dieu, dans lequel Il nous a faits hommes et femmes. La logique au sein de cet ordre naturel est irréfutable et nos efforts techniques pour la réfuter ont invariablement mal fini.

En quelque sorte, il n’y a pas de réparations faciles, uniquement des miraculeuses. Nous ne pouvons pas nous attendre à passer un examen pour entrer au Ciel de la façon dont nous pourrions briller au bac pour entrer à l’université. En vérité, ainsi que les prêtres et les parents nous l’ont enseigné depuis des temps immémoriaux, nous ne pouvons pas espérer y arriver par nous-mêmes, comme une récompense envers nos mérites. Nous n’en aurons jamais assez.

Dans ce contexte de lutte pour devenir pleinement humain, dans un sens plus élevé que la simple définition d’une espèce animale – si effectivement nous luttons – les Jours Heureux viennent et s’en vont. Cela a été le cas cette saison, et le Jour de Noël est passé.

J’ai besoin de me souvenir que d’autres ont passé des fêtes bien pires, et également des années bien pires que ce qui était apparemment la moyenne en 2020. Seul et vraiment malheureux en apparence, durant la quinzaine ou peu s’en faut, je me suis aussi rappelé de meilleurs jours, non pour le contraste, mais pour ce qu’ils étaient.

La famille peut bien n’être plus en grande partie, et ce qui en reste tenu à l’écart. Les églises peuvent bien être fermées et la messe indisponible, comme dans les pires dictatures. La naissance du Christ était un fait indéracinable et continue de l’être.

Cela est arrivé au cours des Jours Heureux comme on les calculait autrefois. Qu’il reviendra juger les vivants et les morts, c’est un événement dans le Temps qui reste incalculable, mais que Dieu soit venu du Ciel pour être parmi nous n’est pas quelque chose qui peut disparaître.

Qu’Il soit venu avec un Amour qui transcende tout attachement humain et qui pourtant s’adresse spécifiquement à nous est un miracle suffisant pour tous les âges.

Nous pouvons être solitaires, nous sentir abandonnés et accablés. Il y a des moments où nous avons l’impression que tout est perdu et certains ont renoncé à jamais.

Et pourtant la Mère de Dieu continue de veiller sur nous, étoile brillante des âges qui s’éloignent, priant pour nous les marins dérivant sur les océans.