Le voyage en Egypte du pape de la paix - France Catholique

Le voyage en Egypte du pape de la paix

Le voyage en Egypte du pape de la paix

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Malgré les attentats perpétrés le 9 avril contre deux églises coptes, le pape François s’est rendu au Caire les 28 et 29 avril. Blessée par la violence djihadiste, souffrant d’une situation politique et économique difficile, l’Egypte avait besoin de réconfort. Le Pape l’a enveloppée de sa tendresse, il a pansé ses plaies et versé, sur les cœurs inquiets, un peu de ce baume divin qu’est l’espérance.

L’ouverture à l’autre a été le fil rouge de la première journée où, différant au lendemain ses retrouvailles avec la communauté copte catholique, le Pape a rencontré successivement les autorités civiles du pays, le grand Imam d’al-Azhar et le pape de l’église copte orthodoxe.

« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21)

Dès son arrivée, le chef des Etats Pontificaux a été reçu par le président Abdel Fattah el-Sissi qui a écarté les Frères musulmans du pouvoir et rendu possible le retour à une certaine coexistence intercommunautaire. La minorité copte jouit désormais de plus de liberté mais la répression aveugle de toute contestation et la dérive autoritaire du régime ont également des effets pernicieux, dont celui d’attiser le fanatisme.

Devant les autorités civiles, le Pape a évoqué le prestigieux passé historique du pays, berceau de cultures et de civilisations. Dans cette terre où vécurent beaucoup de Patriarches, la Sainte Famille a trouvé refuge. L’hospitalité, offerte il y a plus de 2000 ans, est source de bénédictions et fait de l’Egypte, la mère de l’humanité, l’autre terre sainte.

La grandeur passée oblige le présent. Le pape a rappelé que les responsables politiques sont en charge du développement, de la prospérité et de la paix de leurs pays. Ils sont les garants des droits inaliénables de l’homme, tels que l’égalité entre tous les citoyens, la liberté religieuse et d’expression, sans aucune distinction ni de race, ni de sexe. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité d’enseigner aux nouvelles générations que la violence est incompatible avec la vraie foi, que le vrai Dieu appelle à l’amour inconditionnel, au pardon et à la miséricorde.

Le pape François a refermé son discours sur la devise de la révolution de 1919 : « la religion est pour Dieu, la patrie est pour tous ». Ce plaidoyer pour une saine laïcité rejoint la grande préoccupation des chrétiens d’Egypte. Ils sont une partie intégrante de ce pays et refusent d’être traités en citoyens de seconde zone en raison de leur religion qui s’affiche sur leurs cartes d’identité.

« Tu ne tueras pas » (Ex 20, 13 ; Mt 5, 21)

Le Saint-Père est ensuite intervenu devant la conférence mondiale de la paix organisée par Ahmad el-Tayyeb, le grand imam d’al-Azhar. Au sein de cette université, la plus prestigieuse du monde sunnite, le Pape a tout naturellement parlé éducation. Il s’est prononcé en faveur d’une éducation à l’ouverture respectueuse, au dialogue avec l’autre. Au choc des cultures, à la barbarie de la confrontation, il n’y a d’autre alternative que la rencontre. Cette rencontre en vérité est à inventer pour le bien de tous.

Le Pape a alors abordé le problème du terrorisme, qu’il s’est toujours refusé d’associer à l’islam en tant que tel. Il attend cependant des autorités religieuses qu’elles parlent haut et clair pour condamner ceux qui sèment la terreur et tuent au nom de Dieu.

Le Saint-Père a-t-il été entendu ? Le grand imam est une personnalité ambiguë qui invite à purifier l’image de la religion mais diffère la réforme, mille fois promise, du discours religieux et s’oppose à la révision des textes qui, dans la jurisprudence classique, incitent à la violence.

Quoiqu’il en soit, le Pape a montré durant son intervention que « le devoir de l’identité », « le courage de l’altérité » et « la sincérité des intentions » sont les trois conditions du dialogue interreligieux. Il faut avoir un soi pour rencontrer l’autre, savoir se décentrer pour le rejoindre dans sa différence et revenir aux origines communes, symbolisées ici par le Sinaï. Sur cette montagne sainte, Dieu a fait entendre sa voix, a révélé son nom à Moïse et donné ses dix commandements, dont celui qui interdit de faire couler le sang.

« Tu ne tueras pas » : l’ordre est formel. C’est en repartant de l’alliance, scellée entre Dieu et l’homme et fondée sur le décalogue, que peut se construire la paix. Ainsi, loin d’être un problème, la religion fait partie de la solution.

Que tous soient un (Jn 17,21)

S’en est suivie pour François la rencontre avec le pape des orthodoxes, Tawadros II. Les deux hommes sont très proches. Tawadros II, qui s’était rendu au Vatican le 10 mai 2013, juste après son intronisation, attendait que le Saint Père lui rende sa visite. C’est désormais chose faite. Plusieurs patriarches d’Orient, dont Bartolomé Ier, patriarche de Constantinople, ont participé à cette rencontre œcuménique. Ils ont prié ensemble avant de se recueillir silencieusement devant le mur des martyrs de l’église de Botrossiah, où, le 11 décembre 2016, 29 fidèles avaient été massacrées par les islamistes. Les chefs des Eglises chrétiennes ont témoigné, en ces temps de grande violence, de la proximité et de l’union de tous les chrétiens dans le sang des martyrs ; un sang qui réclame que soient levés les quelques obstacles entravant encore l’unité entre les frères séparés pour que, selon la volonté du Christ « tous soient un ».

Un grand pas vers l’unité a été fait grâce à ce voyage, l’église copte orthodoxe s’étant engagée à ne plus rebaptiser les catholiques, comme elle le faisait systématiquement lors des mariages mixtes.

C’est la victoire de cet œcuménisme du sang, évoqué si souvent par le pape François. Jamais il ne tarde à exprimer sa douleur lorsque sont blessées les autres églises car, « si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (1 Co 12, 26).

La seconde journée du voyage a été empreinte de joie et de simplicité. François est venu soutenir ses enfants, la petite communauté chrétienne catholique qui ne compte que 250.000 fidèles. Repartis entre coptes, syriens, arméniens, grecs et latins, les catholiques, minorité dans la minorité, sont très présents sur le territoire à travers leurs œuvres éducatives et sociales. Dans leurs écoles, leurs dispensaires, leurs orphelinats et leurs centres d’accueil, ils témoignent de l’amour du Christ et cultivent le vivre ensemble.

« N’ayez pas peur » (Mt 14,27)

Une messe en plein air a rassemblé les catholiques dans le stade de l’aviation qui n’est pas très éloigné de l’antique citadelle et de la mosquée d’al-Azhar. A son arrivée, le pape a été accueilli par une nuée d’enfants arborant fièrement une coiffe dorée évoquant l’ancienne Egypte. La joie de ces petits pharaons faisait plaisir à voir. Le lâcher de ballons blancs et jaunes dans le ciel du Caire contribuait à l’ambiance festive quand un chapelet, fait de ballons assemblés, est venu se placer devant la flèche d’un minaret. La Croix et le Croissant, par la grâce d’un coup de vent, semblaient s’enlacer.
Dans son homélie, le pape est revenu sur l’évangile du troisième dimanche de pâques, celui des disciples d’Emmaüs. Il y est question de mort, de résurrection et de vie, trois thèmes qui sont en étroite consonance avec ce que vivent les chrétiens d’Egypte. La Croix est plantée au cœur de leur Eglises, tout comme son corollaire, la résurrection. Voilà pourquoi, malgré les attentats, les églises sont pleines, comme en témoignait l’affluence à cette messe pontificale placée sous haute surveillance.

Les coptes n’ont pas de milice et ils opposent, à l’extrémisme islamique, le seul extrémisme qui vaille, celui de la charité.

A l’issue de la messe célébrée en latin et en arabe, le Pape s’est rendu au séminaire patriarcal de Méadi, là même où j’ai vécu mes années de petit et de grand séminaire. Notre Eglise est une église maternelle et féconde qui compte de nombreux prêtres, séminaristes, religieux et religieuses.

« N’aie pas peur, petit troupeau », a lancé le Pape à son auditoire. La peur est multiforme. Il y a la peur de l’autre, qu’il faut savoir dépasser pour devenir des bâtisseurs de ponts, des artisans de paix ; il y a la peur de soi, la peur de succomber aux tentations, décrites avec tant de réalisme par les premiers moines du désert qu’elles semblent inséparables de notre terre. Après en avoir recensé sept, le pape, non sans humour, est revenu sur celle qu’il qualifie de « pharaonique », la tentation de l’orgueil.

Le voyage du Pape fut bref mais ô combien fécond. Il eut des paroles, des regards, des attitudes, qui ont fait qu’il fut ressenti d’emblée comme un ami de la paix.

Les musulmans ont été touchés lorsqu’il a longuement embrassé le grand imam al-Tayyeb et l’a appelé frère ; les coptes orthodoxes ont été heureux de l’amitié qu’il a manifestée au patriarche Tawadros II ; les coptes catholiques se sont réjouis de son rayonnement qui les a confortés dans leur espérance.

A l’Islam, aux autorités politiques et entre les chrétiens appelés à être un levain de fraternité, le pape François a montré le chemin, il a ouvert des portes. Les portes, si promptes à claquer, de la paix.