Le test liturgique du tapis orange brûlée - France Catholique

Le test liturgique du tapis orange brûlée

Le test liturgique du tapis orange brûlée

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Quand je mets les enfants au lit, chaque soir, nous chantons un ou deux cantiques après les prières et le chapelet. Je peux chanter n’importe quel hymne dont je peux analyser la musique, même si c’en est un que je ne voudrais pas entendre à la messe. Bien sûr, j’en chante plus parmi ceux que je ne voudrais pas entendre à la messe que parmi les autres, en partie parce qu’ils sont plus nombreux que ceux acceptables dans le livre de cantiques, et en partie parce que j’aime beaucoup d’hymnes impropres au culte sacré – mais suffisamment bons pour un peu de dévotion pendant que les plus jeunes s’endorment.

Parfois, bien sûr, cela a des effets néfastes. Une fois, j’étais en train de chanter Blest Be the Lord (« Béni soit le Seigneur »), plus ou moins de mémoire, et cela a déclenché des images du tapis orange brûlée qui ornait le sanctuaire de l’église Saint-Thomas d’Aquin dans ma jeunesse. Plus tard, il a été recouvert – avec une moquette bleu turquoise – dans les années 90, cette période lugubre des arômes de fruits artificiels et de l’administration Clinton. Maintenant, il est rouge cardinal, majestueux et chaste dans nos horizons réduits de confort et de production de masse. Dans cette paroisse, ils ont docilement lu les signes des temps.

Je recherche le droit d’auteur de Blest Be the Lord et je vois qu’on ne me remet à jour que d’un an. Cela semble exact. C’est l’un des nombreux hymnes composés par les jésuites de Saint-Louis, que je vais également voir, juste à temps pour lire leur concert d’adieu. Je vois pourquoi certaines personnes persistent à penser que la culture, l’enseignement et la liturgie post-Vatican II sont prophétiques, car seul un prophète peut prononcer des mots qu’il n’est – totalement, absolument, béatement – pas préparé à expliquer.

Seul un prophète pourrait avoir l’audace de dire : « Adorons de cette nouvelle manière », puis tapisser le sanctuaire en orange brûlée, placer une estrade pour ensemble de guitare à droite du tabernacle et, avec un toucher sur leurs lèvres de charbon brûlant dans les pinces angéliques, les faire tous gratter : « Béni soit le Seigneur ».

Il y a un autre terme que « prophétique » pour tout cela, bien sûr. Mais comme beaucoup de gens qui restent assis sur les bancs, malgré les récentes étalages de malversations, de perversions et d’irresponsabilité bureaucratique du clergé et des évêques, je suis de ces gens sans imagination et haussant les épaules qui disent avec Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».

Et, comme Pierre, je connais l’agonie qu’implique le fait de reculer devant ce qui m’a façonné et qui est à la fois une source d’angoisse et de joie.

À quoi auraient ressemblé les choses si l’insipidité n’était pas entrée dans le sanctuaire ? Qu’en est-il de ces efforts basiques et plats pour être « avec le peuple » qui repoussent et intriguent à la fois ?

Quelle que soit la réponse, c’est la seule Église que j’aie jamais connue, et c’est un plaisir extrêmement douloureux à contempler que d’être à la fois immergé dans quelque chose dont les défauts sont tellement évidents et de sentir, juste de l’autre côté de l’écran du temps, coupé de lui par la seule largeur d’un tissu, qu’il se trouve quelque chose de si radicalement autre par certains côtés, et pourtant familier par bien plus d’aspects encore.

Me voici, père d’âge moyen de cinq enfants, chantant un soir « Béni soit le Seigneur », regardant avec consternation les caractères de l’Église que j’ai connue, et je trouve tout cela chargé de ce que d’aucuns pourraient appeler « l’historicisme » et « l’immanentisme ».

Par historicisme, je veux dire cette conviction moderne qu’une chose n’est authentique et vraie que dans la mesure où elle exprime le moment historique actuel. Mais l’éternel nous apparaît toujours sous le couvert du temporel, ce qui n’est peut-être pas si mauvais. Pour me contrarier à fond, donc, l’Église contemporaine devait s’assurer que ses expressions historiques ne semblent jamais exprimer quoi que ce soit qui transcende le moment.

D’où l’immanentisme : la limitation de la réalité à l’âge actuel, nos relations actuelles, nos aspirations à nous sentir entiers, ici et maintenant, jamais plus tard, et à réaliser la justice sur terre.

De temps en temps, je vais entendre la messe en latin. Il n’y a pas si longtemps, j’en ai entendu une dans la chapelle du sous-sol de St.-Jean de Kenty à Chicago. Là, un océan de jeunes, serrant leurs bréviaires, des femmes la tête couverte d’un voile, s’agenouillèrent autour de moi sur le dur carrelage, contemplant le dos du prêtre tandis qu’il offrait le saint sacrifice de la messe dans un silence presque parfait. Ceux qui nous entouraient semblaient chez eux ici, ce par quoi je ne veux seulement dire que cela – ce qu’une génération plus âgée qualifierait de dédain intolérant et virulent comme une église antique, musée et oppressive – est en quelque sorte devenu la seule et unique vraie Église pour leur adoration.

Avec eux, je pourrais m’y habituer. À tout le moins, ce que nous appelons maintenant le Rite Extraordinaire m’aide à mieux parvenir à un état de prière contemplative qui semble le plus propice à la réception de l’Eucharistie. Mais leur complaisance dans une telle splendeur silencieuse me rappelle aussi mon propre sentiment d’être mal à l’aise, pris au piège entre deux mondes.

Je reconnais la supériorité d’anciennes manières qui n’ont jamais été les miennes et, à ma façon, je me sens tout à fait chez moi et même nostalgique de ces intérieurs pitoyablement modernes de l’Église, de la langue vernaculaire amicale et familière d’un prêtre souriant compulsivement, des poignées de main, de l’homme à queue de cheval proche du devant, qui a été évidemment tiré de sa Volkswagen pour venir diriger la musique, avec son amie spéciale Janice se trémoussant sur ses sandales de cuir pour l’accompagner au tambourin.

Il y a quelques semaines, ma fille a demandé si elle pouvait entendre une messe en latin. En l’occurrence, nous devions assister à une grand’messe sous la forme extraordinaire (un mariage de deux jeunes catholiques, pas moins), la semaine suivante, à la basilique-cathédrale des saints Pierre et Paul, à Philadelphie. Et nous l’avons fait. Et puis, dimanche dernier, de retour dans le Michigan, nous nous sommes assis près de l’avant de cette grande coque de bateau, dont l’extérieur est en tôle ondulée verte, qu’est l’église Saint-Thomas d’Aquin. Dans ces deux endroits, nous étions autant à la maison que nous ne le serons jamais dans cette vallée de larmes.

(11 septembre 2019)

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/09/11/the-burnt-orange-carpet-liturgical-test/

James Matthew Wilson a publié huit livres, dont les plus récents, The Hanging God (Angelico) et The Vision of the Soul: Truth, Goodness, and Beauty in the Western Tradition (CUA). Professeur agrégé de religion et de littérature au Département des sciences humaines et des traditions augustines de l’Université Villanova, il est également éditeur de poésie pour le magazine Modern Age et éditeur de séries pour Colosseum Books, de l’Université franciscaine de Steubenville Press. Sa page Amazon est ici.