Le propos de « Fratelli Tutti » - France Catholique
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Le propos de « Fratelli Tutti »

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© Antoine Mekary / Godong

Je comprends les griefs concernant la récente encyclique du pape François, Fratelli Tutti. Beaucoup de mes amis les ressentent. C’est trop long, disent-ils. Ce n’est pas clairement écrit. Il attaque une caricature du marché libre. Cela n’accorde pas suffisamment de poids à la convivialité qui se manifeste généralement dans les relations d’affaires. Il semble atténuer l’horreur de l’avortement, tout en traitant la peine de mort comme si elle était intrinsèquement mauvaise. Il semble aimer une plus grande réglementation et un gouvernement plus large, tout en ne reconnaissant pas les dangers moraux et les risques pour la liberté. Etc.

J’espère que ce premier paragraphe établit ma bonne foi et prouve que cette chronique n’est pas un exercice de cette pratique à présent abandonnée depuis longtemps connue sous le nom de « éclabousser le pape ».

Néanmoins, je pense que beaucoup de ces griefs (non pas que ce soit trop long !) sont fondés sur une mauvaise compréhension de l’objectif de l’encyclique. Alors, laissez-moi vous dire ce dont je pense qu’il s’agit.

Considérez à nouveau les phrases d’ouverture de Lumen Gentium, le document d’ancrage du Concile Vatican II : « Le Christ est la Lumière des nations. Parce qu’il en est ainsi, ce Sacré Synode réuni dans le Saint-Esprit désire ardemment, en proclamant l’Évangile à chaque créature, apporter la lumière du Christ à tous les hommes, une lumière brillamment visible sur le visage de l’Église. Puisque l’Église est dans le Christ comme un sacrement ou comme un signe, et un instrument à la fois d’une union très étroite avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle désire maintenant dévoiler plus pleinement aux fidèles de l’Église et au monde entier sa propre nature intérieure et sa mission universelle. » [C’est moi qui souligne].

Cette dernière phrase est très étrange, si vous y réfléchissez. L’Église doit remplir son rôle de signe et d’instrument d’union avec Dieu et d’union de toute la race humaine, en dévoilant au monde entier sa propre nature intérieure ? Pourtant, si vous revenez en arrière et lisez le livre du cardinal Wojtyla sur la mise en œuvre du Concile dans l’archidiocèse de Cracovie, Sources du renouveau, vous verrez qu’il a pris cette idée même comme étant la clé du Concile. Et on peut dire que cela sert également de clé à son pontificat.

« Son message a été celui-ci : », a déclaré le Pape Benoît XVI dans son homélie de béatification, « l’homme est le chemin de l’Église, et Christ est le chemin de l’homme ».

Supposons donc que nous disions que François considère naturellement que cette tâche a été largement accomplie dans les exposés de Jean-Paul II sur le Concile pendant 27 ans. Alors il est logique de comprendre que François emprunte, pour ainsi dire, la voie la plus directe et la plus naturelle vers l’unité de la race humaine, qui serait en prêchant directement sur ce sujet ! Son autorité pour le faire vient du fait d’être le Vicaire du Christ, bien sûr. Sa charge de le faire vient du Concile. Tout est en bon ordre.

« Mais, pourriez-vous objecter, il ne s’occupe que de la première partie, « l’homme est la voie de l’Église », et il ignore la seconde, « Christ est la voie de l’homme ! » Il y a peu de chose, si ce n’est rien, sur le salut dans le Christ, dans Fratelli tutti. »

Je comprends le reproche. Mais en réponse, je dirais à une telle personne qu’elle n’a pas prêté l’attention voulue au différend sur les premiers mots de l’encyclique Fratelli Tutti, « Tous mes frères ». Le pape François a insisté pour que ces mots fussent conservés, malgré les objections de nombreux amis « progressistes » qui les trouvaient patriarcaux, oppressifs et pas suffisamment exclusifs. Pourquoi pas au moins « tous mes frères et sœurs » ?

La raison en est que François a voulu que toute l’encyclique fût liée aux admonitions de saint François d’Assise. Les mots d’ouverture devaient être conservés tels quels, car ils sont une citation de l’Admonition VI.

Permettez-moi de citer cette admonition : « Que nous tous, frères, considérions le Bon Pasteur qui a porté la souffrance de la croix pour sauver ses brebis. » Christ manque-t-il ? Comment ?

De plus, en citant les admonitions de cette manière, François « les incorpore par référence », comme dirait un avocat. Suivez le lien ci-dessus (NDT : en anglais) et parcourez la riche vie sacramentelle et le mysticisme véhiculé dans les Admonitions prises dans leur ensemble. Le pape François, je suppose, aurait pu à la place sauter sur place et crier : « Je peux parler comme je le fais ici parce que je m’appuie sur ces richesses spirituelles de saint François. »

Ou alors, il aurait pu dire aux catholiques que nous avons des obligations beaucoup plus profondes que d’autres pour vivre l’enseignement de l’encyclique : témoigner de la spiritualité de saint François. Mais ce n’est pas très difficile à comprendre pour nous, n’est-ce pas ?

En tant que professeur d’éthique et de philosophie sociale dans une université catholique, je trouve fascinant l’utilisation par l’encyclique des termes de « l’amitié sociale » (amistad social, en espagnol), plutôt que de la familière « justice sociale ». Je n’ai pas pu trouver une seule mention d’« amitié sociale » dans le Catéchisme, ni dans le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église. C’est là, ou ce n’est nulle part dans l’encyclique, que se trouve le développement significatif de la tradition de la pensée sociale.

La justice est insuffisante pour l’unité sociale, en raison de l’accent qu’elle met sur l’impartialité, qui devient « autonomie » et « individualité » dans notre culture, et aussi en raison de l’attention qu’elle accorde aux torts du passé et de l’encouragement qu’elle donne à la colère.

Parler de « justice sociale » ne nous demande pas non plus de considérer correctement les cultures et les institutions subsidiaires de la société politique, comme le fait le discours d’amitié sociale. Le Pape François pointe déjà dans cette direction dans l’encyclique, avec son souci du « local » et sa critique incisive des abus des médias sociaux.

De plus, la simple « justice sociale » laisse sans réponse la question de la motivation : comment, en dehors de la colère, des sentiments de crise et de la pression des pairs (le politiquement correct), les gens sont-ils motivés à réaliser la « justice sociale » ? Donc, à tous ces égards, la justice sociale est insuffisante.

Mais si l’homme recherche l’amour et l’amitié, ne doit-il pas trouver le Christ ?