Le pessimisme radical d’Alain Finkielkraut - France Catholique

Le pessimisme radical d’Alain Finkielkraut

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Cette fois, il m’agace : pourtant, j’avais acheté son nouveau livre, pas tant à cause de son sujet que de la persécution médiatique qu’il a valu à son auteur, le désormais académicien Alain Finkielkraut. Il s’agissait donc d’abord de faire acte de soutien à un philosophe à la liberté de penser et d’écrire précieuses dans ce temps de censure envers tout ce qui n’entre pas dans l’idéologie dominante. Je ne vois pas en effet pourquoi la question de l’identité nationale et européenne devrait être restée l’exclusivité du Front national ; n’est ce pas un homme politique de gauche qui remarquait, il y a déjà 30 ans que le Front national posait les bonnes questions, mais qu’il y apportait, selon lui, les mauvaises réponses…De quel droit interdirait-on à un des penseurs français les plus intéressants d’apporter sa pierre au débat ? Ayant ainsi rempli mon devoir, j’avais laissé dormir l’ouvrage sur une étagère jusqu’à ce que ces derniers jours. Dès les premières pages, éclate l’esprit si acéré du philosophe : il y a des traits d’une drôlerie irrésistible qui ne pouvaient évidement plaire à ceux qu’ils visaient, des remises en cause salutaires d’idées reçues qu’il est bon d’interroger à leur tour. Le constat sur l’état de notre société est juste, cette crise du vivre ensemble que plus personne aujourd’hui ne peut occulter et les explications qu’il en donne, à prendre en compte et accepter d’en débattre, même si on ne les partage pas. Or force est de reconnaitre qu’il n’y a pas eu de débat sur le fond du problème : le livre a donné lieu à une guerre de tranchées, où partisans et adversaires se sont enterrées dans des positions irréductibles, où les premiers ont traité son propos comme parole d’évangile et les seconds, soi , se sont drapés dans un silence réprobateur, soi l’ont accusé de racisme et de xénophobie.

Or le livre méritait mieux que cela, et il est dommage que ses réponses n’aient pas été pas été discutées. Oui, l’école est dans une situation grave, mais le cours magistral, tant regretté par le professeur Finkielkraut, est-il le meilleur moyen de transmettre un savoir ? Oui, nous souffrons du culte accordé à la jeunesse, mais n’est-ce pas surtout parce que nous n’envisageons la vieillesse que comme l’antichambre de la mort, cette mort qui nous fait si peur, que nous faisons comme si elle n’existait pas : et ce jeunisme ne nuit pas seulement pas à l’école, mais aussi à l’entreprise et à toutes les organisations, y compris l’Eglise catholique qui triche avec le calendrier biologique en allongeant la jeunesse jusqu’à 35 ans, et où l’on passe directement de la case JMJ au service évangélique des malades. Oui les lecteurs sont de moins en moins nombreux, mais alors pourquoi les bibliothèques sont-elles si fréquentées ainsi que le moindre salon du livre dans quelque province que ce soit ? Oui le cours d’histoire est certainement celui qui provoque le plus de tension, notamment lorsqu’il porte sur l’enseignement du fait religieux, l’extermination des juifs d’Europe, et le Proche Orient ; mais l’histoire n’a-t-elle pas depuis toujours été prise en otage par les idéologues au pouvoir : n’a-t-elle et n’est-elle pas encore l’objet d’une réécriture marxiste qui trahit non seulement son sens mais dénigre injustement tous ceux qui n’entrent pas dans sa grille de lecture ?

Il reste de remarquables pages sur le besoin de féminité, si politiquement incorrect, sur la difficulté de la pluralité, sur les limites de la démocratie ; dommage qu’elles soient toujours marquées par un pessimisme radical sur l’avenir. « Tout est-il joué », s’interroge Finkielkraut en conclusion : oui et non répond-il et tout laisse à penser qu’il penche plutôt malheureusement pour le non. Finkielkraut n’est pas croyant, c’est-à-dire qu’il ne croit pas à la toute puissance de Dieu, et jamais dans aucun de ses ouvrages, cela ne s’est autant ressenti. C’est de cette position qu’il analyse le combat de la laïcité de la fin du 19ème, victime à son tour d’une vision de l’histoire qui a oublié la violence et la réalité de la persécution religieuse. Et qu’il dénie l’existence de celle-ci aujourd’hui, même si elle est plus feutrée que naguère, probablement à cause de l’état d’indifférence religieuse généralisé dans la vieille Europe. Mais sous les cendres de la religion, le feu couve bien et c’est parce qu’il n’y croit pas que Finkielkraut omet que Dieu est entré dans l’histoire des hommes, et qu’il s’est levé de tous temps, des hommes et des femmes pour en manifester la présence et l’action. Seuls les yeux de la foi permettent de le voir, des yeux qui nous manquent si souvent.