Le péché mortel le plus mortel de nos jours - France Catholique

Le péché mortel le plus mortel de nos jours

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Si vous interrogez des chrétiens encore pratiquants sur les défauts courants en Amérique post-chrétienne, beaucoup citeront l’avortement, le divorce, le concubinage, la pornographie, le « mariage gay », et autres formes florissantes de dépravation culturelle. Voilà certes de graves péchés, avec des problèmes de société qui prennent de l’ampleur partout où les vertus chrétiennes se recroquevillent. Mais une personne familière avec la nomenclature traditionnelle des vices et péchés pourrait donner une liste bien différente.

C’est dire que ce n’est pas bien net pour nombre de chrétiens. La luxure, en embuscade derrière les vices cités ci-dessus, est l’un des sept péchés capitaux, faute fort répandue et fort subtile. Selon Dante, dans la Divine Comédie, c’est le premier péché qui mène en enfer, le dernier qui peut être remis au Purgatoire. Il est d’autant plus difficile de s’en préserver qu’il imite en partie — en fait, c’est une contrefaçon — l’une des plus divines réalités, l’amour que se portent deux personnes.

Mais il y a de plus graves péchés, et le pire de tous, celui qui gèle au fond du cœur — froid perpétuel qui fuit devant le feu et la chaleur de l’Esprit et de tout l’ordre divin — le voici, l’orgueil : expression du « non serviam » (je ne servirai pas) de Satan, le plus grave et le plus insensé des péchés, car il n’est nul endroit sans Dieu, nulle autre vérité pour une meilleure vie à notre gré, quoi qu’on en pense.

La lecture superficielle de certains livres chrétiens traitant de l’orgueil peut vous laisser penser que ce n’est qu’une forme d’égocentrisme, sans souci pour la famille ou les voisins, ni pour la justice sociale. On entend même cela dans certaines homélies. Mais l’orgueil est plus grave et mortel que cela. C’est lui qui nous empêche d’évaluer notre place dans le monde, ce que nous dominons et, plus spécialement, ce qui nous domine.

Rappelons-nous l’avertissement de saint Vincent de Paul: « l’humilité n’est que vérité, l’orgueil n’est que mensonge. » Il n’est pas étrange que les « post-chrétiens » ne saisissent pas cet argument, car dans l’effondrement culturel général, bien des chrétiens ne l’ont pas saisi non plus. C’est une des plus graves façons de perdre nos liens avec les traditions vivantes. Ce n’est pas une simple opposition progressisme / conservatisme. Tout serait trop simple s’il en était ainsi.

Il est vrai que les progressistes ont depuis longtemps tenté de redéfinir la foi et la morale chrétiennes. Au milieu du XIXe siècle le cardinal Newman s’était attelé à la tâche de freiner le progressisme dans la religion. Mais même au sein du catholicisme on a vu apparaître plus grave que le gauchisme. [Nous citions la semaine dernière en exemple un chant pleurnichard « Love cannot be silenced » (on ne peut faire taire l’amour) qui circule dans certaines communautés féminines touchées par les critiques récentes du Vatican sur leurs prises de position. « Nous sommes fidèles pleines d’amour et de sagesse, dansant côte à côte, une vision évangélique nous guide, un feu divin brille en nos yeux.» ] 1

Pourtant, les gens pratiquent un peu de la plupart des vertus chrétiennes, avec humilité, dans la vie courante. Quiconque se connaît un peu et s’est heurté aux réalités de l’existence sait combien on peut se sentir faible, amoindri, idiot, aveugle, en certaines circonstances. C’est une simple vérité. Les païens vertueux eux-mêmes n’auraient pas — à l’instar de ces nonnes présomptueuses — osé se dire sages (sophoi), mais aimant la sagesse (philo-sophoi), sagesse que, humbles païens, ils ne prétendaient pas avoir atteinte. On a l’impression que ces nonnes se sont droguées des années durant avec le poison de la divine féminine Sophia, et, quasi-inconsciemment, ont lancé de hardies déclarations. Qui d’entre nous, même des nonnes, réfléchissant un peu sérieusement, se prétendrait fidèle, plein d’amour et de sagesse ?

Je pense souvent que nous, chrétiens conservateurs, avons bu une autre sorte de potion magique, semblant croire que par notre attachement au Credo (excellent, par ailleurs) nous vivons selon lui — et nous sentons supérieurs à ceux qui ne le suivent pas. Si ce n’était que ça. Je connais un bon nombre de chrétiens conservateurs, chez qui, et, j’avoue, à commencer par moi, les sept péchés capitaux sont bien présents et vivaces. En tête, l’orgueil, comme d’habitude. J’ai même croisé certains théologiens accomplis et des ecclésiastiques de haut rang dont on pourrait dire qu’il leur manque un peu d’une sorte d’oubli de soi.

Beaucoup d’entre-nous ont adopté l’attitude arrogante de la culture post-chrétienne. L’an dernier j’ai participé au recrutement d’un directeur pour un organisme catholique. Un candidat, à peine la trentaine, nous a régalés de ses réussites personnelles en des termes mieux appropriés à une description de la venue du Christ. J’ai insisté sur ce point devant le comité. Un professeur expérimenté d’une université prestigieuse soupira: « que voulez-vous, c’est comme ça qu’on leur apprend maintenant à se présenter.» Mais ça, de la part d’un catholique candidat à la direction d’un organisme catholique ?

L’orgueil ne peut se ranger sur un axe gauche/droite, ou selon les différences de classe sociale, comme beaucoup le pensent. J’ai vécu à Washington quelques dizaines d’années et j’ai souvent entendu des hommes politiques dénoncer les « élites » et louer la sagesse du peuple américain. Je me demande parfois s’ils le connaissent seulement un peu, ce peuple. J’ai grandi dans un milieu catholique attaché au travail et j’en suis heureux car c’est parmi les gens simples que se trouvent la véritable vertu et la sainteté. Mais je connais — même dans ma famille — des gens simples, habitant dans des petites villes, qui sont aussi inconséquents et arrogants que ceux qui logent à l’intérieur du périphérique 2. Et je connais aussi beaucoup d’hommes et de femmes d’honneur, d’humilité et de piété chrétienne qui occupent des situations élevées en politique, dans l’Armée ou dans la presse. Et même — divine surprise! — des juristes.

Péché et vertu n’agissent pas comme on les considère habituellement dans notre comportement public de nos jours. Nous devons nous consacrer aux conflits publics sur de nombreux fronts — et spécialement ces jours-ci pour la défense des libertés religieuses. Mais il est infiniment plus important de ne jamais perdre de vue une perspective chrétienne fondamentale : même ces tâches nobles et essentielles peuvent être accomplies ou non selon les voies divines.

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Tableau : La chute de Lucifer, David Collins, 1933


http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-deadliest-of-the-deadlies-today.html

  1. NDT: allusion à des prises de position de certaines sœurs Américaines en contradiction avec la doctrine de l’Église sur le « mariage gay », etc. et fermement critiquées par la Hiérarchie.
  2. NDT: l’autoroute A 495, périphérique de Washington