Le monde et ses confinements - France Catholique

Le monde et ses confinements

Le monde et ses confinements

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« Le métro » par Lily Furedi, 1934.

« Le métro » par Lily Furedi, 1934.

[Smithsonian American Art Museum, Washington]

Le monde était monde avant le coronavirus, et nous n’avons aucune raison de croire que ce n’est plus le cas. Si nous considérons les préoccupations du monde, disons, en décembre dernier, aurons-nous des raisons de nous demander si la décision du monde (nous pouvons l’appeler ainsi) d’enfermer chacun chez soi, de stopper l’activité économique et de fermer les églises – sans date butoir – est vraiment prudentielle ? J’entends pas là : est une décision pratique basée sur une appréciation vraie des biens fondamentaux et de la condition humaine.

Des alternatives raisonnables à un confinement complet ont été proposés depuis des semaines. Toutes combinent des approches différentes selon la gravité des risques encourus. Toutes donnent un cadre suffisamment large pour que les personnes à risque puissent être à l’isolement sans pénalité ni difficulté.

Réfléchissons plus loin. En décembre dernier, le monde croyait que l’humanité était un fléau sur la terre, une peste menaçant l’environnement. Le monde disait qu’il n’était pas bon de vouloir faire croître le produit intérieur brut, année après année. Le monde disait que les gens étaient trop affairés, prenaient trop l’avion, avaient une trop forte empreinte carbone. Avec de telles pensées, accueille-t-on l’arrêt de l’activité humaine dans la liesse ou dans les lamentations ? Une chute massive du produit intérieur brut est-elle un sujet d’inquiétude ou de soulagement ?

En décembre dernier, le monde disait que l’activité économique (c’est-à-dire travailler pour gagner son pain quotidien) était motivée par l’avidité. On disait que les marchés étaient pur « capitalisme débridé ». Il est excellent, naturellement, que l’avidité soit jugulée. La question ne se pose même pas. Si l’activité économique revient, puisse-t-elle être transformée et ses motivations épurées.

En décembre dernier, le monde virait vers le socialisme. En voici quelques principes : les personnes appartiennent à l’état et en sont dépendantes, les activités économiques doivent s’agencer selon les consignes des autorités centrales en vue du bien commun tel qu’il a été établi par les dites autorités. Et les crises dans les sociétés libres sont bonnes parce qu’elles obligent à une nécessaire redistribution. Un personne partageant ces idées devrait-elle être profondément préoccupée ou au contraire satisfaite du confinement actuel et de ses effets ?

En décembre dernier, le monde encourageait la contraception et faisait la promotion de la chute du taux de naissance, ce qui mène à l’extinction d’une société. Quoi qu’elle fasse par ailleurs, la contraception change le point de vue d’une génération : au lieu de regarder vers l’avant, vers la jeunesse, ses espoirs et ses attentes, de se projeter vers le futur, elle se tourne vers les plus âgés. Il n’y a plus la saga d’une civilisation dans laquelle on s’insère. On entretient l’égoïsme du présent. On rejette le risque, on veut la sécurité pour maintenant, le statu quo. Dans cette optique, quelqu’un pourrait-il dire que c’est un bon pari que certains prennent des risques, surtout les plus âgés, pour soutenir une activité vitale de base plutôt que de déclarer que cette activité doit cesser pour prolonger la vie de quelques-uns ?

On objectera que l’argent ne compte pas face à la vie humaine, l’un et l’autre sont sans commune mesure. La vie doit toujours primer sur les affaires. C’est une fausse dichotomie. « Davantage d’argent » est généralement le fruit de notre travail, donc de l’usage de notre vie et de notre liberté. Sous une forme différente, cela représente de nombreuses heures de notre vie. Causer la banqueroute d’une entreprise, c’est ôter quelque chose de la vie de ceux qui se sont démenés pour créer et développer cette entreprise. Bien plus, le travail, et peut-être plus encore une petite entreprise, incarne la personnalité et la carrière, l’histoire de vie d’une personne. Pour la plupart d’entre nous, le travail est notre façon principale de servir les autres et par là de pratiquer la charité durant la majeure partie de nos journées. Pour l’homme, vivre, c’est être au travail.

Mais qu’a donc encore pensé le monde ? En décembre dernier, il niait la réalité du péché. (Encore une chose liée au socialisme et à sa doctrine de la « perfectibilité de homme ».) Une façon habituelle de nier le péché est de dire que le mal vient d’un manque de contrôle et que les acteurs économiques privés, agissant en toute liberté, agirons inévitablement pour des motifs blâmables. Mais que des acteurs publics, autrement dits des politiciens, devant en théorie encadrer rationnellement les actions des autres en visant l’équité, agiront toujours selon de bonnes motivations.

Dans cette optique, il est inimaginable que l’action prudente soit d’alléger le contrôle si cet allègement doit conduire à une aggravation du risque d’un mal. Naturellement, la négation du péché étant établie, il est également inimaginable que nous puissions avoir le droit d’accepter le risque potentiel d’un mal, éventuellement mortel, comme prix à payer pour mener une vie normale.

En décembre dernier, le monde était principalement utilitariste. Il ne croyait pas qu’il était bon d’agir en suivant la loi de Dieu et croyait que, si l’on passait outre, les conséquences néfastes, prévisibles mais nullement souhaitées, ne nous étaient pas imputables. Quelqu’un dans cet état d’esprit est-il en disposition de croire que quiconque bafoue le confinement, lui y compris, devient responsable des morts qui, selon les prévisions, en découleront ? Va-t-il faire barrage aux autres et être prêt à les blâmer s’ils sont les plus forts ?

En décembre dernier, le monde proclamait que l’espace public était profane. C’est un espace neutre, disait-il dans lequel des « concepts généraux » tels que les religions ne pouvaient entrer que dans la mesure où ces religions n’appuyaient pas des politiques que d’autres pouvaient raisonnablement rejeter.

Le monde nie qu’il y ait une transcendance, qu’il y ait des biens surnaturels, qu’il y ait des biens valant plus que la vie, méritant que l’on prenne pour eux des risques, et même des risques importants. Il dit que la raison commande de rejeter ces choses. Quelqu’un dans cet état d’esprit dira que les croyants doivent se conformer à ces restrictions et agir dans l’espace public comme si la vie terrestre était le plus grand bien. Si quelqu’un soutient ce point de vue à la place d’une conception appropriée du bien commun d’une société libre, sera-t-il enclin à rejeter la fermeture des églises ou en sera-t-il satisfait ?

La prudence consiste à rechercher un arrangement convenable tout en évitant les écueils. Quels que soient les motivations actuelles des acteurs publics, les principes du monde de décembre dernier conduisent tous à la mise à l’arrêt de la vie économique sans solution en vue – ce qui n’est vraiment pas régler les choses. Quelle serait une alternative meilleure et authentiquement prudente ? Je laisse cela à votre réflexion et à votre liberté.