Le monde angélique - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Le monde angélique

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Le monde angélique

Introduction

Toujours le premier article du credo : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible .» Après le monde visible, intéressons-nous à cet univers invisible, celui des créatures spirituelles, celui des anges et des anges déchus, les démons.

– I – Ancien Testament

L’univers du Proche Orient ancien dans lequel est plongée la Bible est peuplé de créatures célestes variées, sortes d’intermédiaires entre la divinité et les hommes, mais surtout dépositaires de forces que l’homme cherche à se concilier ou à capter. De plus elles sont souvent en conflit les unes avec les autres et l’homme en subit, impuissant, les fâcheuses conséquences.
Un hymne babylonien parle des mille dieux de Hatti, précisant qu’ils sont capricieux, qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent.
Sans en percevoir la nature exacte, l’homme sait que ces forces, bienveillantes ou indifférentes, sont là et qu’il doit s’en accommoder.
Parmi les plus imposantes de ces forces indicibles, apparaissent les dieux nationaux et dynastiques, capables de faire germer du sol ces groupement d’hommes civilisés, qui vont pratiquer le commerce, réglementer le pays par des administrations sourcilleuses et surtout forger des armées puissantes. Ce sera Amon le dieu dynastique des dynasties thébaines. Dans ce contexte, on nous parle de réalités traditionnelles plus puissantes que sont les forces déchaînées de la nature : Sobek le redoutable crocodile, ou Skhmet la lionne sanguinaire déchaînée contre les hommes rebelles par le dieu soleil qui rythme les saisons et la végétation par les crues du Nil. Mardouk à Babylone ; mais il a au-dessus de lui une triade suprême : Anu ( ou El ) qui est au ciel, l’empyrée, et devant lequel sont déposés les insignes de la monarchie, le redoutable Enlil, maître de l’atmosphère et du déluge, le bienfaisant Ea dispensateur des eaux souterraines et fertilisantes. Chez les Sémites de l’Ouest, le grand dieu, mais pas toujours dieu suprême, est Hadad, le dieu de l’orage, brandissant éclair et tonnerre, mais dispensateur de la pluie. Il y a aussi l’ensemble indistinct des Baals pour la végétation, et les divinités plus proches des rivières te des sources. Lointains ou proches ils utilisent des envoyés, en hébreu maleak, en grec anggelon, et aussi des jeunes garçons, serviteurs nommés na’ar, qui chevauchent les nuées pour accomplir leur service.
Comment la révélation du Dieu d’Israël va-t-elle se situer dans ce foisonnement mythologique, souvent beau et fascinant ? On a pu écrire que celle-ci, dès Abraham, s’inscrivit en faux contre toutes ces puissances au profit du vrai Dieu d’Abraham puis de l’Alliance. Les études actuelles montrent que ce fut beaucoup plus progressif.

On doit distinguer deux périodes dans ce processus.
Dans premier temps, sans affirmer le néant de ces réalités variées, souvent désignées par le mot hébreu élohim, on va souligner la supériorité du Dieu d’Abraham. En particulier, celui-ci ne sera ni un dieu politique, celui d’un peuple, ni un dieu cosmique, orage ou bienfaits de la terre, mais un dieu lié à sa personne. Dans le livre de la Genèse, on le voit « identifier », pour ne pas dire « récupérer », son Dieu avec les divinités locales : à Sichem et à Béthel (Genèse 12,5-8), avec El Roï, lors de l’apparition à Agar (Genèse 16.17), avec El-Shaddaï (le dieu puissant) en Genèse 17,1. On remarque le soin avec lequel le livre de la Genèse souligne qu’Abraham érige un autel à chacun de ses endroits ; il ne détrône pas les divinités honorées en ces lieux mais il va les mettre au service de son Dieu.. Les divinités locales deviennent alors les messagers du vrai Dieu.
Il semble que la distinction entre le messager, maleah, et celui qui envoie, devienne de plus en plus précise. Exemple, lors de l’apparition à Mambré, Genèse 18, trois personnages se présentent mais un seul parle. Saint Augustin dira : « Il en vit trois mais n’en adora qu’un seul .» Et au début du chapitre suivant, ce ne sont que deux anges qui vont aller à sodome. Dans Genèse 24, à l’occasion de la mission d’un serviteur pour aller chercher un femme pour Isaac, il est parlé deux fois d’envoyer son ange devant lui pour accomplir sa mission. On retrouve cette manière de parler en Exode 33,2 : « J’enverrai devant toi un ange pour chasser le Cananéen… »
Une autre manière de parler, sans doute héritée d’Ugarit, où on a trouvé de semblables mentions, est de mettre en scène les beneï Elohim (fils de dieu). Mais les deux mentions de cette expression ont été amendées : en Deutéronome 33.8, on dit Fils d’Adam, pour ne pas employer le mot qui désigne Dieu, de même, le psaume 82 (81), nous parle de l’assemblée des dieux. Il y a aussi l’épisode curieux de Genèse 6,4 qui évoque les héros d’autrefois comme des fils des dieux. Tout nous fait découvrir le soin et la difficulté de montrer que le Dieu d’Abraham va dominer ce fatras un peu anarchique qui règne en Canaan.
Une autre source de ces personnages célestes provient des cours orientales. Elles soulignent la grandeur du monarque par des personnages qui l’entourent. On en trouve la trace dans l’intervention du prophète Michée, en 1 Rois 22, 19, qui dit : « J’ai vu le Seigneur qui siégeait sur son trône ; toute l’armée des cieux se tenait près de lui. » Il y avait aussi les personnages, parfois terrifiants qui gardaient l’entrée des temples orientaux, lions, taureaux ailés…. La Bible les accueille avec largesse, Kéroubim, Séraphim, etc…Mais ils vont toujours être mis au service du Dieu de l’Alliance. Le dernier écho en est dans la vocation d’Isaïe, Isaïe 6, où les séraphins acclament la sainteté de Dieu et viennent purifier les lèvres du prophète.

Une seconde période va s’ouvrir sur ce sujet quand, à l’époque du 2° Isaïe, 6° siècle, on passe du « monolâtrisme », Israël n’a qu’un seul Dieu, alors que les peuples environnant en ont plusieurs, au « monothéisme », il n’ y a qu’un seul Dieu, et ceci pour tous les peuples. On pourrait penser que cette affirmation allait faire mettre de côté les anges. Au contraire, ils vont proliférer. Le livre de Tobie montre un ange qui accompagne Tobie et qui en 12,15 affirme être « l’un des sept anges qui se tiennent ou se présentent devant la gloire du Seigneur. » Certes il y a un écho des textes perses, mais avec un certain renversement, au lieu d’être une sorte de fonctionnaire dans la cour du roi, il deviennent les messagers du seul Dieu. De même en Zacharie 2, 5, ce sont deux anges qui vont guider le prophète et en 3.1, on voit apparaître l’adversaire, Satan. Le monde angélique apparaît alors comporter des bons et des méchants.
Enfin, en Daniel et ce qu’on va nommer la littérature apocalyptique, les anges sont très présents, Michel combat le dragon au chapitre 12.
La religion du Dieu révélé n’a donc pas supprimé de front ces puissances cosmiques, mais elles les a remises au service du seul Dieu, comme témoins de sa puissance et comme messagers pour indiquer aux hommes son dessein.

– II – Nouveau Testament.

On aurait pu penser que tous ces intermédiaires devaient disparaître devant l’unique médiateur. Au contraire, on va les retrouver en abondance.
La lettre aux Hébreux, par deux fois, va parler des anges : en 1, 3-14 , pour montrer la supériorité du Christ sur les anges, car ceux-ci, dit le verset 14, : « sont des esprits chargés d’une fonction, envoyés pour le service de ceux qui doivent avoir en héritage le salut » ; et 12, 22 parle des myriades d’anges en fête dans la Jérusalem céleste.
Les évangiles multiplient la présence des anges au moment où il faut souligner la qualité exceptionnelle de Jésus. Ils annoncent sa naissance, l’ange du mal participe à la tentation de Jésus, mais lorsque celui-ci en triomphe, il nous est dit que les anges le servaient (Matthieu 4,11) ; ils réconfortent Jésus au moment de l’agonie ; ils proclament la résurrection et indiquent ce que doivent faire les Apôtres après l’Ascension.
Saint Paul, en Colossiens 1, 16, redit qu’ils ont été créés et en 2,15 qu’ils son soumis à lui. En Romains 8, 38, il semble bien récupérer l’aspect cosmique en énumérant anges, principautés, puissances et même hauteur, profondeur dont il parle comme des réalités vivantes, peut-être même aussi en 1 Corinthiens 2, 6, à propos de ceux qui ont crucifié le Seigneur de gloire. Lorsque Étienne commence son discours, les Actes nous disent qu’il avait l’air d’un ange, sans doute à cause de sa vision du Fils de l’homme à la droite de la Puissance, ce qui va lui coûter le vie.
Quant à l’Apocalypse, s’inscrivant dans cette manière d’écrire qui est apparue à l’époque du livre de Daniel, elle va faire un usage abondant des anges, mais avec des significations variées : dans les lettres au Sept Églises, il semble que l’ange personnalise l’Église en question, peut-être son évêque ; ailleurs, ils proclament les fléaux ; enfin Michel est vainqueur du dragon.
Il faut aussi savoir que la littérature autour du NT (littérature inter-testamentaire et apocryphes) fera un usage immodéré des anges. Le P. Daniélou répertorie dans cette littérature un grand nombre d’actions attribuées aux anges, dans le don de la Loi, dans l’action cosmique, dans les sacrements, sans oublier les anges gardiens et les anges « psychopompes » qui guident les défunts vers le ciel. En comparaison, les Évangiles canoniques sont d’une grande sobriété.
Il faut mettre à part la littérature judéo-chrétienne. En effet on y trouve des affirmations sur le Christ et l’Esprit saint considérés comme des anges. Ces chrétiens d’origine juive manquaient d’outils métaphysiques pour en parler. On comprend que les chrétiens d’origine grecque, les helleno-chrétiens, mieux équipés philosophiquement pour dire la différence entre Dieu et les anges, aient pu les considérer, eux qui n’avaient que les catégories de l’AT pour s’exprimer, comme des hérétiques, des minim. Par ses études approfondies, le P. Daniélou leur a fait justice.

– III – Tradition et magistère

* Irénée, dans son combat contre les gnostiques, qui faisaient un usage immodéré des anges, leur attribuant presque une nature incréée, présente une vision modérée et équilibrée des anges : ce sont des créatures et non des démiurges, ils glorifient Dieu, ils portent ses messages.
* Basile de Césarée dut encore lutter, au concile de Constantinople, contre ceux qui voulaient conserver la tradition juive pour désigner l’Esprit comme un ange. Le mot est donc absent du credo que nous récitons.
* Denys le Mystique va suivre une autre voie en utilisant abondamment les anges mais dans le sens suivant : ils sont établis dans une hiérarchie, mais les plus haut placés n’ont pas d’autre but que de communiquer la grâce à l’échelon inférieur.
* On se préoccupera alors de leur donner un nom, puisé dans l’abondant répertoire biblique : anges, archanges, puissances, trônes, dominations, cieux et vertus des cieux, etc… Ce sont les neuf chœurs des anges que la tradition médiévale recueillera. On les trouve dans les anciennes préfaces. Il y aura aussi les religieuses de Saint-Vincent-de-Paul, qui, les mains occupées par leur travaux, ne pouvaient égrener leur chapelet et qui comptaient les JVSM par chacun des neuf chœurs des anges !
* On voit aussi apparaître, vers le 4° siècle, le rôle des anges dans la liturgie (Cyrille de Jérusalem et Jean Chrysostome). Ceci survit dans les liturgies orientales dans l’hymne dite « Chérubikon : Nous qui dans ce mystère sommes l’image des chérubins… ». Mais notre liturgie romaine n’est pas en reste avec les fêtes des Archanges (29 septembre) des saints anges gardiens (2 octobre), et la préface utilisée ces jours-là, sans oublier la finale des préfaces actuelles, même si elles ont un peu abrégé la liste des ces esprits célestes.
* La tradition monastique, surtout en Égypte, n’hésitera pas à dire que la vie ascétique est aidée par les anges, et combattue par les démons. On parlera alors de vie angélique pour qualifier les états qui cherchent la perfection.
* Augustin va introduire une nouvelle perspective en essayant de savoir le moment de la création des anges. Il se préoccupe aussi de la connaissance des anges et distingue la connaissance du matin, celle des choses primordiales, connues dans le Verbe, cet celle du soir celle des êtres créés, connus dans leur nature propre.
* Ce point sera repris pas les études médiévales. Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, consacre tout un traité aux anges et aux démons, (Ia pars q. 50 à 64, entre les questions sur le Dieu créateur et celles sur l’œuvre des six jours). Il va mettre en avant le problème de leur choix, les anges choisissant de servir Dieu, les démons le refusant. Il est obligé d’introduire une certaine temporalité dans le monde des anges, nommée aevum. Il va reprendre les deux connaissances. Dans un texte un peu obscur, il semble donner aux anges un rôle cosmique, celui de faire tourner les sphère célestes, mais cela est lié à une cosmologie qui n’est plus d’actualité.
* Le magistère s’est prononcé plusieurs fois sur les anges et les démons. Ils sont des créatures (Jean lV en 574, repris par Latran lV, 1215), ils ne sont pas une émanation de la substance de Dieu (Jean lV). Contre les modernistes, en 1914, Pie X demande que l’on continue à enseigner la nature simple et spirituelle des anges et des démons et aussi leur caractère personnel. À propos de la Vierge Marie et de sa plénitude de grâce, il est dit plusieurs fois qu’elle est supérieure aux anges, bien que ceux-ci aient cette grâce.
* le Catéchisme de l’Église catholique consacre deux pages aux anges, comme monde invisible (§ 338 à 336) : leur existence, vérité de foi, leur nature spirituelle, leur rapport au Christ, leur rôle dans l’Église et la vie du croyant. Les § 391 à 395 parlent de la chute des anges et de leur rôle néfaste dans la tentation, tout en, soulignant que la puissance de Satan n’est pas infinie.

– IV – Réflexion théologique

¤ Le monde angélique nous redit l’immense capacité créatrice de Dieu. Celle-ci ne se limite pas au monde visible qui nous entoure mais est riche de bien d’autres possibilités.

¤ Leur fonction essentielle est de voir sans cesse la face du Père des cieux (Matthieu 18. 10). Ils nous rappellent donc la nécessité de la contemplation. Cet aspect peut être concrétisé pour nous par la remise en honneur de leur place dans la liturgie. Celle-ci n’est-elle pas l’écho, ou l’actualisation sur terre de leur action dans le ciel ? Ne nous contentons pas d’y penser au moment de la préface ou du sanctus.

¤ Leur péché nous fait entrer dans le mystère de la créature qui peut se détourner de son créateur. Platon ne pouvait pas comprendre le péché, à la rigueur l’erreur, mais pas le péché car il disait que nul n’est méchant volontairement. Que les anges, dans le face à face avec Dieu, aient pu le refuser affirme terriblement le pouvoir de négation auquel Dieu a consenti pour ses créatures. Grosse différence : les esprits ont joué leur va-tout, il n’ y a pas pour eux de rédemption, les êtres humains, enveloppés d’ombre et de faiblesse, vont pouvoir bénéficier d’une deuxième chance.

¤ Leur rôle de messager, c’est leur nom, est peu présent dans notre pensée actuelle. Car ce qui vient de Dieu nous est donné plus clairement par le Christ, les Apôtres, les Écritures et l’Église.

¤ Médiateurs ou intermédiaires ? L’un et l’autre vocable est inadapté. Depuis l’incarnation, le seul médiateur est le Christ qui a assumé une nature humaine sans perdre sa nature divine, il est médiateur car il a un pied dans chaque nature.
Plus délicate est la notion d’intermédiaire. Nous ferions volontiers une sorte d’échelle des êtres, inanimés, corporels et spirituels, purement spirituels et au sommet Dieu. Mais cela mettrait Dieu au terme d’une série de qualités croissantes, alors que nous devons affirmer qu’il est en dehors de la série. Ce qui brouille un peu le problème est le mot esprit. Il n’a pas le même sens quand nous parlons de notre capacité de comprendre, de retenir, de vouloir et d’aimer, que nous attribuons à notre qualité spirituelle, à notre esprit et quand nous disons que Dieu est esprit. La chose se complique quand nous parlons de l’Esprit saint qui n’est pas plus esprit que les deux autres personnes de la sainte Trinité. Les anges sont esprit parce qu’ils ne sont pas corporels, mais cela ne veut pas dire qu’il participent plus à la nature de Dieu. Le seul sens acceptable d’intermédiaire est celui de messager.

¤ Un problème identique se pose lorsque nous voulons leur appliquer la catégorie de cause. Dieu est la cause première, ils ne le sont donc pas. Peut-on dire pour autant qu’ils sont causes secondes, mais c’est les réduire au niveau du fonctionnement matériel du monde, la pesanteur, la gravitation, les éléments, les ondes, etc …..Cela nous oblige à élargir notre notion de cause, par exemple en disant qu’ils reçoivent de Dieu une mission spécifique, qu’on peut nommer d’archétypale, ou de causalité relais, ou de « faire faire .» On rejoint là l’intuition de l’AT qui met le mot ange pour ne pas mettre Dieu au rang des réalités humaines.

¤ Ils nous enseignent aussi que l’immortalité dont ils jouissent n’est pas l’éternité divine. D’où les réflexions médiévales sur leur temporalité, dont nous avons fait état, mais qui mettent simplement un nom sur ce qui nous échappe. Il faudrait pouvoir approfondir, grâce à cela, ce que sera notre propre situation dans la vie au delà, notre vie en Dieu ; immortels, sans être éternels.

¤ Se débarrasser des anges sous prétexte que nous avons le Christ appauvrirait notre connaissance et de Dieu et du Christ. Saint Paul s’en garde bien, témoin la place qu’il leur accorde dans les hymnes au début des Éphésiens ou des Colossiens. Certains vont même jusqu’à dire que c’est grâce à l’Église qu’ils ont eu connaissance de la vie intime de Dieu, de la Trinité.

Conclusion

Redisons avec Shakespeare : «Il y a plus de choses entre le ciel et la terre que ton esprit n’en peut concevoir.»

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