Le dieu aux trois poisons de notre monde - France Catholique

Le dieu aux trois poisons de notre monde

Le dieu aux trois poisons de notre monde

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Danse macabre à la Chaise-Dieu

Danse macabre à la Chaise-Dieu

© Tilly antoine / CC by-sa

J’ai déjà écrit sur le dieu aux trois poisons de notre monde : le Soi-même, le Sexe et l’État. Ces poisons dansent dans une belle périchorèse de corroboration mutuelle. Il est difficile de dire lequel des trois est père ou fils ou esprit issu des deux. Si l’on regarde simplement la taille gigantesque, on peut penser que le premier engendreur est l’État. Si l’on regarde le trou pourri du mal où devrait être un bon cœur, on peut penser que c’est le Soi-même. Si l’on regarde l’engendrement réel et une mauvaise approche de l’ordre créé, on peut penser que c’est le Sexe.

Soyons ici aussi sages que des serpents, considérons chaque possibilité. Supposons que le principal diable soit l’État. Imaginez-le en la personne du Belzébuth de Milton, dans le conseil de Pandémonium. Il est sur le point de recommander de ne pas faire de guerre ouverte, comme le conseille Moloch, ni de se cacher, comme le conseille Bélial, mais un mouvement secondaire sournois contre le nouveau monde créé et l’homme qui y est placé :

« L’air grave,
Il s’est levé, et dans son mouvement, il semblait
Un pilier d’État ; sur son front étaient profondément gravés
Délibération et soins publics ;
Et le conseil princier sur son visage brillait encore,
Majestueux mais en ruine. »

Vous désirez augmenter votre pouvoir, faire croître l’État aux dépens de ceux que vous dirigez. Comment faire ? Le plan de Satan, mis dans la bouche de Belzébuth, est de séparer les nouvelles créatures de Dieu, source de leur liberté et de leur force. Cela doit inévitablement les séparer de la vertu, à la fois naturelle et surnaturelle.

Pour l’accomplir, Satan fait appel au sens de Soi-même d’Ève, mais dans un étrange isolement, comme si elle était une sorte de déesse insulaire devant laquelle chaque créature doit s’incliner en hommage.

« Souveraine maîtresse », la flatte-t-il, lui demandant pardon d’oser s’adresser à elle, tout en suggérant que sa beauté ne peut être appréciée à juste titre par aucune des créatures parmi lesquelles elle vit, pas même son époux aimant Adam, porteur de l’image de Dieu :

« À part un homme,
Qui te voit ? (et qu’est-ce qu’une ?) qui devrait être vue
Comme une déesse parmi les dieux, adorée et servie
Par des anges innombrables, ton sort quotidien. »

Divisez pour vaincre : Satan étend son royaume aussi, par chaque petit paon que sont un roi et d’une reine auto-gouvernés, et donc auto-asservis.

Un tel asservissement chez l’homme se manifeste le plus clairement, suggère le livre de la Genèse, dans le Sexe : dans ce qui aurait dû lier l’homme et la femme l’un à l’autre, et chaque génération à ceux qui l’ont précédé et à ceux qui la suivront.

« Soyez féconds et multipliez-vous, dit Dieu lorsqu’il bénit le premier couple humain. »

Mais la chute transforme ce qui aurait dû être une pure bénédiction en une source de trouble, de division, de trahison et de violence.

Le roi le plus sage qui ait jamais vécu n’a pas résisté à la tentation, car Salomon, dit Milton, « séduit par de belles idolâtresses, est tombé / Pour les idoles impures. »

Il avait mille femmes, mais ses fils se sont disputés et ont divisé son royaume. Son royaume – pas celui de Satan.

Mais nous pourrions commencer par l’idole. Nous le retirons de son ordre naturel et nous faisons supporter à nos enfants et à nos voisins le coût du chaos qui s’ensuit. L’amour n’est pas l’amour, malgré ce que dit le panneau suffisant et idiot sur la cour de votre voisin. « Les esprits quand ils veulent, dit Milton, décrivant les dieux de la fertilité des Phéniciens, peuvent assumer chaque sexe, ou les deux, » pour « exécuter leurs vastes desseins, / Et accomplir leurs œuvres d’amour ou d’inimitié. »

« Un tel amour est de la haine, dit le poète Spenser ». Le péché sexuel fait de son mieux pour empêcher les enfants de grandir avec une mère et un père qui se sont engagés à s’aimer pour la vie. Puisque l’homme est par nature une créature sociale, quand il pèche contre ce qui le lie dans le mariage et ce qui lie les générations, il pèche contre la société.

Il appelle cela la liberté quand il ne s’agit d’une insouciance et d’un culte du Soi-même. Cela restreint ou tend à détruire complètement la liberté de ses voisins, car ce que les familles fortes et autonomes ne font plus, l’État doit le tenter. Tout péché antisocial doit donner à l’État l’autorisation de s’immiscer dans ce qui ne lui appartient pas, de fournir un semblant de cet ordre que les familles et les paroisses, les écoles et les villes qu’elles construisent, fournissaient autrefois. Celui qui vend des fauteuils roulants est heureux de trouver des infirmes.

En fin de compte, dit C. S. Lewis, il n’y a que deux types de personnes : ceux qui disent à Dieu : « Que Ta volonté soit faite », et ceux à qui Dieu dit : « Que ta volonté soit faite ». Dans le creux mort de tout péché, il y a un faux Soi-même, un fantôme, un fantasme, une idole. « Je suis celui qui est », dit Dieu, révélant à Moïse son nom au-delà de tous les noms circonscrits (Exode 3:14).

Mais je suis une créature : je suis circonscrit. Je tire mon être de Dieu, et à chaque instant mon existence n’est soutenue que par sa volonté. Quand je m’oppose à Dieu, je retombe vers le non-être, vers le creux que suggère bien le mot Enfer. Mais en tombant, j’affirme ma fausse indépendance avec d’autant plus de désespoir. Je dois être à moi, exister par moi-même. Les pôles magnétiques qui m’attirent sont deux. Si je suis doux et tendre, je me tourne vers le sexe comme l’expression la plus audacieuse du Soi-même : le sexe, comme je veux, quand et comment et avec qui je veux.

Ces jours-ci, englouti dans l’idiotie, je peux même façonner ma propre « identité », transformant le sexe en lui-même en abus de soi de mille sortes. Si je suis dur et impitoyable, je me tourne vers l’État et ses attributs. J’adore le pouvoir, la richesse et le prestige qui sont les miens, ou je m’incline devant l’État comme le prolongement ou la réalisation d’une volonté pure. L’État nous sauvera, l’État doit être notre remède. Peu importe alors sous quelle forme l’État apparaît.

Pas de trinité, certes, mais bien une triade. Trouvez-en un, et les deux autres ne seront pas loin.

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À propos de l’auteur

Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Parmi ses livres figurent Out of the Ashes: Rebuilding American Culture (“Hors des cendres : reconstruire la culture américaine”), Nostalgia: Going Home in a Homeless World (« Nostalgie : aller à la maison dans un monde sans abri »), et plus récemment The Hundredfold: Songs for the Lord (« Le centuple : chants pour le Seigneur »). Il est professeur et écrivain en résidence au Magdalen College of the Liberal Arts, à Warner, New Hampshire.