Le débat sur l'identité nationale - France Catholique
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Le débat sur l’identité nationale

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18 novembre

Depuis qu’Eric Besson a lancé le débat sur l’identité nationale, je retourne le sujet dans ma tête, avec l’impression qu’il est sans fond et peut obéir à toutes les pulsions dès lors qu’il n’est pas encadré dans une perspective cohérente. Mais choisir une perspective, c’est en exclure d’autres. Autrement dit, la volonté de se mettre en accord sur une identité commune que définirait l’appartenance à la France, se heurte d’emblée à la démarche personnelle que constitue la recherche de sa propre identité. Ne désigne-t-on pas la part la plus intime de soi, celle qui est la moins compatible avec l’objectivité d’une définition ou d’une déclaration ? En ce sens, Pierre Boutang disait que la France est un « secret ». Le secret n’est pas nécessairement ce que l’on tait, ce que l’on ne peut pas livrer à autrui, c’est ce qu’on ne peut pas avouer n’importe comment, ce qui ne s’objective jamais complètement, parce que l’appartenance suppose des liens d’intimité indicible. L’identité renvoie à la multiplicité des histoires personnelles, aux relations les plus subtiles, celles qui ne sauraient souffrir l’embrigadement et la brutalité. Alors le projet serait impossible. Ou, plus simplement, il correspondrait à une manœuvre, à une manipulation abondamment dénoncées par les adversaires d’Éric Besson, qui sont légion.

Associer, dit-on, la thématique de l’identité nationale à celle de l’immigration correspondrait à l’intention perverse d’exterritorialiser les derniers venus, de faire savoir aux gens venus d’ailleurs qu’ils ne sont pas les bienvenus. D’ores et déjà, dit-on, le prétendu débat permettrait aux déclarations les plus xénophobes de se déverser sur les préfectures où elles ont accès. Évidemment, le risque était couru. Mais même les protestataires et les vociférateurs nous disent quelque chose qu’on aurait tort de ne pas entendre. Ils disent qu’ils sont excédés par la présence d’étrangers qui s’imposent et imposent leurs propres conceptions, leurs mœurs, et qu’ils se sentent ainsi submergés et niés dans leurs propres appartenances. La brutalité verbale de leurs réactions interdirait-elle de s’interroger plus avant sur leurs significations. Je ne le pense pas. Il serait même irresponsable de ne pas en tenir compte. Les « anti-racistes » sont-ils conscients de l’inconséquence qu’il y a, d’une part, à vouloir respecter l’identité des nouveaux venus et à mépriser celle des indigènes renvoyés à leur « beaufitude » et à leur médiocrité ? On prend d’énormes risques à dédaigner les plaintes et les requêtes des plus humbles.
Reste que le sujet du débat n’est pas libéré de son énigme, et c’est inévitable. Je lis un recueil qui comporte une vingtaine de contributions répondant à la question « qu’est-ce qu’être français ? » et constate leur extrême diversité d’aspiration qui peut aller jusqu’au contradictoire 1. Qui s’en alarme ferait bien de réfléchir à ce que disait dans un tout autre ordre d’idées le cardinal Ratzinger. C’était à propos de la foi. Au journaliste Peter Seewald qui lui demandait combien de chemins mènent à Dieu le cardinal répondait : « Autant qu’il y a d’êtres humains. Car à l’intérieur de la même foi, le chemin de chaque homme est entièrement personnel. »2. Analogiquement, il en va de même pour la France. Il y a autant de chemins vers son secret qu’il y a de Français. Voire d’amis de la France. Bien sûr, pour Dieu dans l’Église, il y a l’unité de la foi, telle qu’elle est formulée dans le credo. Il n’est pas facile de trouver pour l’adhésion commune à la nation un document de cette nature. Et pourtant, il y a bien nécessité d’une sorte d’étalon symbolique proposé à notre adhésion pour qu’il y ait un minimum de cohérence et de possibilité de reconnaissance d’une communauté par elle-même.

De ce point de vue, c’est la contribution de Max Gallo dans l’ouvrage en cause qui m’apporte la réponse la plus satisfaisante, même si elle peut faire l’objet de critiques. Ce que j’y apprécie, c’est la synthèse entre l’universalisme spécifiquement français et notre singularité nationale, c’est aussi la volonté d’épouser le cours entier de notre histoire, avec une cohérence qui ne rend pas fatale la rupture de la Révolution. Mais Max Gallo risque d’être sévèrement contré là dessus. Il est patent qu’il y a beaucoup de gens qui ne suivent pas du tout Marc Bloch écrivant qu’ « il y a deux catégories de personnes qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».

Déjà, si j’en crois certains textes furieux, des héritiers directs de l’historien auraient préféré que le grand père ne prononçât jamais pareille déclaration qui contredit formellement leur conception rigido-laïque de l’histoire. Toute allusion à une France « chrétienne » leur est insupportable. Et c’est d’ailleurs la notion d’héritage qui devient problématique dans une conception historico-politique où tout semble ramené à une linéarité « droit de l’hommiste ». A priori, je ne conteste en rien les droits de l’homme et les déclarations où ils sont énoncés. Mais je m’interroge sur leur formation généalogique, leur enracinement philosophique, leur incarnation dans la singularité spatio-temporelle d’un peuple.

Bien sûr, la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (et celles qui ont suivi) marque une étape importante de notre histoire, qui a acquis valeur identificatrice. Mais suffit-elle à caractériser ce que c’est que d’être français ? Je ne le pense pas, pas plus que Max Gallo, qui insiste sur l’universalisme mais ne méconnait nullement l’histoire, lui qui rappelle Renan : « Tous les siècles d’une nation sont les feuillets d’un même livre. Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. » Pour moi, une nation se définit d’abord comme « communauté historique », et lorsque le passé vécu en commun dure depuis si longtemps (au moins quinze siècles), les richesses de l’héritage moral et spirituel sont considérables et ne sauraient être délaissées au profit d’un seul moment ou d’une seule définition, si importante soit-elle.

  1. (Qu’est-ce qu’être français ? Institut Montaigne, Hermann)
  2. (Le sel de la terre. Flammarion, Cerf. 1997)