Le Tour de France et les fins dernières - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

Le Tour de France et les fins dernières

Traduit par Bernadette Cosyn

Copier le lien

Demain matin, à Liège, en Belgique, 198 hommes vont débuter l’épreuve sportive la plus éreintante qui soit1. Au cours de 21 étapes, ces hommes vont parcourir en vélo 2172 miles tout autour de la France, soit 3495,5km.

A côté de longues étapes de plat de 160km et plus, ils vont gravir les pentes de plus de 25 montagnes, des sommets et des cols dans les Vosges, le Jura, le Jura Suisse, les Alpes et les Pyrénées. Les montagnes sont classées par niveaux, selon la pente et la distance. Les plus pénibles ascensions sont appelées « hors catégorie ».

Les coureurs cyclistes vont gravir ces pentes « hors catégorie » à environ 22km/h, ce qui vous paraît peu jusqu’à ce que vous réalisiez qu’ils roulent presque à la verticale. De l’autre côté, ils dévaleront la pente à plus de 100km/h sur des pneus à peine larges d’un pouce.

Ils feront cela chaque jour, trois semaine durant, avec seulement deux jours de repos. Cinq heures ou plus en selle, le repas du soir et au lit, et rebelote le lendemain, le surlendemain et les jours d’après.

Mettez de côté l’effort physique. La contrainte psychologique est énorme. Prenez votre vélo et roulez donc 80 minables kilomètres demain, puis recommencez le lendemain. Voyez un peu comment votre esprit réagit le matin du second jour. Vous êtes endolori. Vous savez comme le premier jour a été pénible. Vous ne pouvez pas envisager de recommencer.

Le combat ou la fuite ? Se lever et s’y remettre ou se tourner de l’autre côté pour un autre somme ? Maintenant, multipliez la distance par deux ou trois et faites ça pendant 21 jours, en y introduisant des escalades de montagnes de plus de 2000 m. C’est ça le Tour de France.

Beaucoup de gens découvrent les courses cyclistes à la télé et n’en croient pas leurs yeux. Ca n’a pas de sens. Ça ressemble à un chaos sans rime ni raison. Et il est fastidieux d’attendre le démarrage de l’action.

Voilà les prémices. Il y a plusieurs façons de mener la course et plusieurs manières de gagner, mais le but primordial, pour un participant est de franchir la ligne d’arrivée avec le temps cumulé le plus court pour ces 21 étapes et ces 3495 km. Chaque étape est en elle même une course, mais le temps de chaque étape se rajoute au temps cumulé pour déterminer le vainqueur du Tour à l’issue des 21 étapes. Il est tout à fait possible pour un coureur de gagner le Tour sans avoir jamais gagné une seule étape s’il obtient le temps cumulé le plus court.

Parce qu’il n’y a qu’un seul vainqueur, on pourrait croire à un sport individuel. Rien n’est plus éloigné de la vérité. Il y a 9 coureurs par équipe, chacun avec son rôle propre. Certains sont des sprinters qui ont pour tâche de gagner des étapes pour apporter la gloire à leur équipe et par la même occasion aux sponsors. D’autres sont des grimpeurs chargés de conquérir le maillot du meilleur grimpeur. Mais un seul coureur est choisi — en raison de ses compétences — pour disputer la victoire finale. Tous les autres travaillent à son service. On les appelle « équipiers ».

Un homme seul ne peut pas gagner le Tour de France. C’est tout bonnement impossible. Il a besoin d’équipiers pour rouler avec lui, régler son allure, le protéger du vent, le conseiller lors des escalades, prendre du retard pour lui fournir eau et nourriture. Parfois, ils vont prendre la tête du peloton et lui imposer un rythme endiablé afin d’user les concurrents de leur champion.

Dans les étapes de plat, quand la vitesse avoisine les 60km/h, ils se rassemblent autour de lui pour le protéger des accidents fréquents qui brisent des os et des carrières, et tuent même parfois. Dans une étape de plat, le peloton est l’un des lieux sportifs les plus dangereux qui soient : plus d’une centaine d’hommes à quelques centimètres les uns des autres, pédalant à tombeau ouvert, avec pour seule protection un casque et une tenue synthétique moulante.

J’ai participé à une version amateur de cette épreuve. Absolument terrifiant. Une chute peut survenir rien que pour avoir effleuré les freins par inadvertance ou légèrement changé de direction.

Dans les étapes de haute montagne, les « équipiers » roulent devant, entraînant leur champion dans leur sillage, afin qu’il puisse ménager ses forces. Vous voyez les « équipiers » pédaler furieusement, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces physiques et psychologiques, puis, fourbus, ils lâchent prise tandis que l’élu pédale derrière un autre « équipier » qui donnera lui aussi le meilleur de lui-même. À la fin, le champion potentiel sera seul en lice avec ses rivaux des autres équipes, mais il perdrait sans l’aide de son équipe.

Nous voyageons seul vers le Royaume des Cieux, chacun par soi-même, mais nous y allons avec les autres. Comme le vainqueur du Tour de France, nous avons des « équipiers » tout au long de notre vie et nous ne pourrions pas gagner sans eux. Le jour du Jugement Dernier, nous ferons leur connaissance. Nous rencontrerons le professeur qui a prié pour nous, le prêtre qui a jeûné pour nous. Nous connaîtrons les sacrifices d’une multitude d’inconnus qui ont roulé pour nous, nous ont protégé du vent, nous ont approvisionnés en eau et nourriture.

Mais peut-être plus important encore, nous rencontrerons ceux pour qui nous avons roulé, ceux qui n’auraient pas gagné la course sans notre aide, sans nos prières, nos jeûnes et nos sacrifices. Nous rencontrerons ceux que nous avons guidés dans les montagnes et protégés du vent. Dans la vie, nous sommes à la fois prétendant à la victoire et domestique. C’est ainsi qu’Il a établi les choses.

Regardez donc le Tour de France cette année, et profitez-en pour méditer les fins dernières.

— –

Austin Ruse est le président de l’institut Catholic Family & Human Rights, basé à New-York et Washington, un institut de recherche qui se consacre à la politique sociale internationale. Les opinions exprimées ici sont celles de M. Ruse et ne reflètent pas obligatoirement les politiques et positions du C-FAM.

  1. NDT : Les Américains sont peu familiers du Tour de France et c’est pourquoi il expose dans le détail le déroulement de l’épreuve, ce qui est un peu pénible pour nous Français, mais le parallèle établi avec les fins dernières mérite un effort de lecture.

    Les fins dernières (sous entendu de l’humanité) est un terme théologique. Ce sont la mort, le jugement, le Ciel et l’Enfer. Ce qui explique l’appellation anglo-saxonne des « quatre fins dernières ».