La vie vient de l’archevêque - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

La vie vient de l’archevêque

traduit par Yves Avril

Copier le lien

Un étudiant m’a dit un jour, au cours d’une leçon sur l’Ethique d’Aristote, que tous ceux qu’il connaissait souhaitaient vivre ailleurs. Il avait vécu à Boulder dans le Colorado, qu’on doit ranger parmi les endroits les plus beaux de la terre et où il fait meilleur vivre. Nous discutions sur la façon dont Aristote formule les principes éthiques à partir de pratiques réelles, en les purifiant, tirant ce qui est le meilleur pour l’épanouissement des hommes de la façon dont les gens vivent effectivement en relation concrète les uns avec les autres Toute la classe fut d’accord pour dire que la tentation de fuir l’endroit où vous vivez – si commune en Amérique et fréquente aujourd’hui dans le monde développé – est l’expression d’un profond malaise culturel.

C’est ce que l’archevêque Charles J. Chaput aborde dans son livre, récemment publié Strangers in a Strange Land : Living the Catholic Faith in a Post-Christian World (« Etrangers dans un pays étrange : Vivre la foi catholique dans un monde postchrétien »). Comme le titre le montre, il s’agit bien sûr d’une réponse catholique à notre aliénation sociale, qui est générale aujourd’hui. En même temps, il joue un peu sur la notion de « postchrétien ». D’un côté, la perte en Occident des fondements bibliques est au cœur de notre inquiétude et de notre vide. Nous vivons, semble-t-il, dans la société la plus libre, la plus riche que le monde ait jamais connue. Pourtant, comme saint Augustin et beaucoup d’autres grandes figures l’ont noté, les choses matérielles ne peuvent satisfaire des êtres comme nous, qui sommes faits pour Dieu.

Mais, d’un autre côté, suggère Chaput, il ne peut y avoir de « postchrétien » parce que le monde ne peut jamais réellement oublier le Christ. De fait, la fureur avec laquelle beaucoup aujourd’hui essaient de le faire – déclarant crimes virtuels certaines croyances chrétiennes sur le sexe et le mariage, détruisant la mémoire historique dans les programmes scolaires, définissant ce qui est et n’est pas humain, et faisant pression sur les institutions chrétiennes – est un témoignage de la présence du Christ : « quand les hommes et les cultures se détournent de leurs anciennes convictions, ceux qui rappellent le passé deviennent plus gênants et plus irritants. »

Paradoxalement la rage contre le christianisme témoigne du pouvoir continu de celui-ci, même dans son état de précarité.

Beaucoup de gens ont récemment travaillé ce même domaine mais personne de façon plus astucieuse et avec une telle largeur de vues et de références culturelles. Chaput rassemble quelques-unes des meilleures réflexions tant profanes assi bien que religieuses sur notre situation : celles des pères fondateurs de l’Amérique, de Tocqueville, Charles Péguy, Romano Guardini, Pierre Manent, Léon Kass, Charles Murray, Alasdair MacIntyre, et même du grand poète allemand Rilke, et de bien d’autres. On ne peut rendre justice à ce livre par un bref compte rendu. Il faut le lire, lentement, pour apprécier sa richesse.

Mais l’analyse sociale si large soit-elle n’est qu’un préliminaire. La question centrale pour nous, aujourd’hui précisément, est ce qui peut être fait. La réponse, répond le chrétien, est que sur une grande échelle il ne peut pas faire grand chose. Mais ce que nous pouvons faire, si modeste que cela soit, nous devons le faire. Visiter les malades et les mourants, maintenir la cohésion des familles et la solidité des mariages, avoir le courage de parler quand on viole quelque valeur humaine, être prêt à parler de Dieu, de façon juste, dans une culture qui veut, par dessus tout, ne pas en entendre le nom. L’action politique, aussi, est nécessaire. Les possibilités sont infinies. Mais nous ne pouvons pas nous plaindre que « les temps » soient mauvais, parce que nous sommes « les temps ».

Mais Chaput donne en outre à toutes ces considérations une clef différente en nous rappelant que la vraie réponse chrétienne est de vivre dans l’Espérance. L’espérance n’est pas l’optimisme – une folie dans un monde si évidemment blessé par le péché et la folie. Ce n’est pas non plus la confiance dans le progrès, cette fausse monnaie du XIXe siècle. Nous avons l’Espérance, la vraie Espérance, dit-il, parce que il y a 2000 ans, en une obscure capitale régionale un homme – Jésu s- se releva d’entre les morts, et vainquit le monde, la chair, et – disons-le ouvertement – le Démon.

Le monde se moque de cela, bien sûr, et il l’a toujours fait. Nombre de batailles intellectuelles doivent être livrées pour dissiper les hypothèses mal raisonnées, qu’elles soient scientifiques, sociales ou culturelles. Peut-être le problème qui pose le plus grand défi, cependant, est-il que les gens qui doivent avoir le plus besoin d’entendre de tels arguments sont aujourd’hui virtuellement imperméables au raisonnement parce qu’il s’écarte de la façon dont dans leur vie ils ont été conditionnés. Chaput remarque : « Plus le comportement est problématique, plus la liturgie des alibis renforce son caractère sacré ».

D’une certaine façon, notre situation est inédite mais pas aussi inédite que nous pourrions l’imaginer. « Le christianisme est né dans un monde d’avortements, d’infanticides, de confusion sexuelle et de promiscuité, d’abus de pouvoir et d’exploitation des pauvres. » Nous devons répondre à ces maux, non seulement avec des arguments, mais de façon beaucoup plus urgente, par la manière dont nous vivons, en chrétiens adultes, dans le monde mais pas du monde – politiques, docteurs, présidents d’université et professeurs, savants, hommes d’affaire -, voulant maintenir, et, si nécessaire, payer de notre vie le prix de la vérité.

Nous ne pouvons reculer. Ce n’est pas la voie que prend une foi qui croit que Dieu Lui-même s’est incarné dans notre monde. Et l’état moderne nous suivra de toute façon. Il est délicat de maintenir l’équilibre entre être dans le monde et ne pas y être. Un chrétien est pour partie un alien dans tout pays, comme le dit la fameuse Epitre à Diognète, parce qu’aucun royaume de la terre ne sera jamais pleinement chrétien.

Les catholiques l’ont perdu de vue parce qu’ils ont grandi dans une Amérique qui offre beaucoup de séductions. Chaput consacre un chapitre à examiner les Béatitudes comme une sorte de projet pour les sortes d’aliens que nous devons être. Et un autre chapitre sur le type d’institution que doit être l’Eglise. Le « pouvoir » de l’Eglise réside non pas dans ses déclarations publiques ou ses ressources matérielles, ses structures et son service social, mais dans sa capacité à former et à conduire son peuple – et à être leur première fidélité.
Pour conduire les fidèles et être un levain dans le monde, il est crucial que l’Eglise ait sa propre dimension intérieure enracinée dans la charité, la fidélité et l’amitié à l’intérieur et à l’extérieur. Nous parlons beaucoup de dialogue et d’être ouverts au monde. Mais pour être un partenaire de dialogue, il faut, soi-même, avoir quelque chose à dire.

23 février 2017

L’archevêque de Philadelphie a beaucoup à dire. Lisez-le.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/23/life-comes-from-the-archbishop/