La valeur des erreurs - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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La valeur des erreurs

Traduit par Bernadette Cosyn

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Il se trouve que j’ai fait une erreur. Dans deux articles précédents, j’ai parlé de la vertu de prudence, trop souvent oubliée. Dans le plus récent, j’insistais sur le fait que les professeurs ne peuvent pas réellement enseigner la prudence aux élèves d’une classe parce que nous manquons d’expérience dans les domaines où nos élèves ont besoin d’apprendre à être prudents. Puisque la plupart de nos élèves se préparent à être médecins, avocats ou hommes d’affaires mais non pas professeurs, nous ne pouvons pas partager avec eux l’expérience nécessaire pour être prudent dans ces domaines autres.

Après la parution de l’article, un éminent philosophe que j’admire énormément est venu me trouver pour me dire que bien qu’ayant apprécié mon article, j’avais omis quelque chose d’important. Il a souligné qu’un moyen significatif d’apprendre la prudence était de tirer la leçon de ses erreurs.

Nul d’entre nous n’est parfait, et donc nous ferons des erreurs. Et si nous nous aventurons dans de nouveaux domaines hors du champ de nos compétences, nous sommes plus susceptibles de faire des erreurs. Donc apprendre de nos erreurs est une façon non négligeable de développer la prudence. Trop souvent, les gens cherchent à cacher leurs erreurs ou cherchent à se défiler lors de missions difficiles où ils pourraient faire une erreur. Ils suivent les règles générales, pensant qu’ils peuvent les appliquer à tout un chacun dans n’importe quelle situation et par là échouent à acquérir la prudence.

Quand j’étais étudiant à l’université, j’ai pris un travail à temps partiel dans une compagnie aérienne, enregistrant les passagers pour leur vol. Nous assurions généralement un bon service à nos clients. Mais j’avais remarqué que d’autres compagnies aériennes près de notre comptoir offraient un service déplorable, occasionnant frustration et colère chez les clients presque à chaque vol. Pourquoi ? Chez ces autres compagnies, les employés étaient insuffisamment formés et avaient constamment sur le dos des chefs sévères, alors ils vivaient dans la terreur d’une erreur.

Si vous les abordiez avec un cas spécial, et qu’ils n’étaient pas sûrs de la manière de s’y prendre, ils disaient simplement : « Nous ne pouvons pas faire cela » ou « Désolé, ce n’est pas la politique de la compagnie » ; C’était un code pour : « Je ne sais pas comment faire cela et je ne veux pas faire une erreur. »

Puisque faire une erreur pouvait occasionner leur renvoi, ce qu’ils ne risquaient pas en refusant de s’occuper de vous, qu’imaginez-vous qu’ils faisaient ? Ils refoulaient les clients. Les chefs étaient « efficaces » dans leur rôle d’éviter les erreurs et au résultat, la compagnie perdait du trafic.

En outre, quand les employés atteignaient un certain degré d’aptitude, ils postulaient dans d’autres compagnies où les conditions de travail étaient moins pénibles. Au final, la compagnie devait débourser plus d’argent pour former de nouveaux employés à peine compétents.

Dans notre compagnie, l’attitude générale était : « Nous ne gagnons pas d’argent tant que les gens n’ont pas décollé, alors amenez-les à bord ». Quand nous nous trompions, on nous montrait comment faire, si bien que nous apprenions de nos erreurs et que beaucoup d’entre nous étaient capables de se charger d’une multitude de problèmes.

Dans les débuts, une employée expérimentée m’avait dit que je ne devrais pas envoyer les bagages égarés via une autre compagnie parce que nous n’avions aucun moyen de suivi. J’ai pensé que j’aidais les clients en leur faisant parvenir leurs bagages plus rapidement alors je l’ai fait quand même. Elle avait raison, j’avais tort. J’aurais dû l’écouter. Mais j’ai appris de cette erreur, a) ne plus recommencer, b) toujours écouter les employés d’expérience, surtout les femmes, faisant partie de la compagnie depuis longtemps.

Je dis à mes étudiants que s’ils veulent réellement connaître ce qui se passe dans une entreprise, ils doivent nouer des liens avec le personnel d’entretien et les secrétaires ayant la plus grandes ancienneté. Ces personnes connaissent ce qui se passe dans l’entreprise souvent mieux que les dirigeants.

Ces derniers ne reçoivent les informations que de gens cherchant à camoufler leurs erreurs ou ne les reconnaissant pas. C’est pourquoi tant d’entreprises et la plupart des universités sont dirigées en tirant des plans sur la comète fort éloignés de la réalité comme si les indéniables problèmes au sol n’existaient pas. Personne ne veut admettre les problèmes, alors ils n’arrêtent pas de changer de sujet.

Les administrateurs et les chefs incapables de faire face à leurs propres problèmes choisissent souvent de micro-gérer les affaires des autres, imaginant que s’ils peuvent au moins dévoiler les erreurs de leurs subordonnés, ils vont conserver leur réputation de gestionnaire efficace. En réalité, ils sèment les graines d’incompétences futures.

Les structures sociales qui ne permettent pas aux gens de faire leurs propres erreurs et d’en tirer les leçons deviennent moins efficaces, sans parler du fait qu’elles deviennent moins humaines. Elles échouent à comprendre le besoin humain d’apprendre de ses erreurs, échouent à aider les gens à acquérir la prudence nécessaire et produisent une culture du camouflage des erreurs.

C’est une des raisons pour lesquelles les parents « secouristes h 24 » peuvent être néfastes. Les jeunes adultes ont besoin d’être autorisés à faire des erreurs. Personne ne veut qu’ils fassent des erreurs risquant de les blesser sérieusement, mais les préserver de commettre la moindre erreur les gardera immatures. Le « perfectionnisme » chez les étudiants est rarement une vertu et est souvent paralysant.

Nous devons aussi nous rappeler l’importance d’autoriser les erreurs quand nous considérons les institutions avec lesquelles nous sommes impliqués. A son honneur, le Congrès pour un Nouvel Urbanisme, un groupe traitant des projets du plan d’urbanisme a maintenant une session dans leur conférence annuelle sur « les erreurs que j’ai faites » et les conséquences dommageables que je n’avais pas prévues quand j’ai effectué mon plan. D’autres groupes devraient encourager une telle franchise.

Les employés, les chefs d’entreprises, les enseignants, les politiques, tout le monde fait des erreurs. Si la conséquence d’une erreur, même minime, est grave, vous pouvez vous attendre à ce que les gens : a) fassent le maximum pour dissimuler toute erreur ; b) nient avoir jamais fait une erreur et/ou c) s’expriment avec précaution et rarement franchement pour éviter de commettre une erreur.

Ces gens se montrent prudents dans le sens moderne et dévoyé du terme. Ils n’apprennent pas de leurs erreurs à être plus avisés et plus prudents ; la compétence qu’ils développent, c’est assurer leurs arrières. Le résultat n’est pas une gestion prudente mais l’intransigeance bureaucratique et l’incompétence.

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Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint-Thomas de Houston.

Illustration : mieux vaut éviter de scier la branche sur laquelle on est assis

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/07/21/the-value-of-mistakes/