La trêve de l'Aïd - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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La trêve de l’Aïd

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L’accord arraché à Genève dans la nuit du 9 au 10 septembre ne mérite sans doute pas les acclamations réjouies qui l’ont accueilli dans un premier temps. C’était de la vodka qui circulait plutôt que du champagne ou du scotch. À Alep, la trêve permettra de faire quelques provisions essentielles en vue de la fête du Sacrifice (Aïd el Adha) qui tombe cette semaine. Mais dans la situation de la Syrie tout est bon à prendre.

Ce sixième Aïd de guerre sera-t-il le dernier ? Obama, qui n’a plus que quatre mois à la MaisonBlanche, a lâché une carte maîtresse. Il a fait un pas vers Bachar el Assad. Après de longs atermoiements, il a enfin accédé à la demande des Russes de faire pression sur l’opposition syrienne « modérée » pour qu’elle coupe tout lien avec le groupe Al-Nosra, rejeté du côté de l’État islamique. Or, jusqu’à présent, ce groupe était le plus efficace sur le terrain du côté de l’opposition à Bachar. C’est en grande partie grâce à ses partisans qu’Alep tient. Le risque est grand que la défense s’effondre ou que les islamistes recueillent les combattants déçus.

Qu’est-ce qui a fait changer d’avis la présidence américaine ? La nécessité à tout prix de partir sur un succès en Syrie où Obama a été le plus critiqué, notamment pour son inaction de 2013 ? Le secrétaire d’État Kerry avait le dos au mur, les mains liées, en contact permanent avec Washington. Depuis le G 20 en Chine où le contact entre Obama et Poutine avait été particulièrement glacial, qu’est-ce qui a fait bouger les lignes ? La mort le 8 septembre du commandant militaire d’Al-Nosra rebaptisé Fatah al-Cham qui présage d’un affaiblissement au moins momentané de cette organisation, opportunité qu’il fallait donc saisir sans attendre ? Cette mort par un tir aérien ciblé avait été revendiquée à la fois par les Américains et les Russes. Ceci en disait long sur la coordination ou la concurrence des frappes par les deux camps de la Coalition internationale. L’un des articles les plus audacieux de l’accord de Genève est celui qui prévoit un échelon de commandement commun des actions contre les groupes « terroristes ».

L’élément déterminant pour le changement d’attitude semble toutefois avoir résidé dans l’intervention turque. Ankara avait obtenu le feu vert tant de Moscou que de Washington pour son entrée sur le territoire syrien. D’une part elle empêchait les Kurdes du PYD (Parti de l’union démocratique, branche syrienne du PKK) de rafler la mise avec ses Unités de protection populaire (YPG) composées pour un tiers de femmes combattantes ; d’autre part elle dédouanait la Turquie de son soutien aux islamistes. Si la Turquie acceptait de faire le travail – ce qu’Erdogan avait confirmé au G 20 chinois en évoquant la possibilité de se joindre à une offensive sur Raqqa –, on pouvait se passer d’Al-Nosra.

Washington ne se serait pas laissé aller à un jeu de dupes si Moscou ne faisait pas aussi un pas en direction de l’opposition syrienne. Un pas en avant vers Bachar d’un côté, un pas en arrière de Bachar de l’autre. L’accord se fait fort de bloquer tout raid aérien des forces officielles syriennes sur les positions de l’opposition non islamiste, dites « zones rebelles ». C’était une des demandes régulièrement réitérées par Ankara d’une zone d’exclusion aérienne. On en trouve un écho ici, assourdi mais prometteur. Les Russes ont-ils la capacité de bloquer au sol les avions syriens ou de modifier leur plan de vol grâce à leur influence au sein de la hiérarchie de l’armée de l’air, leur création à l’origine ? On verra bien.

Si son premier volet – la trêve de l’Aïd à partir du 12 septembre – est respecté, l’accord de Genève peut conduire à l’ouverture de couloirs humanitaires puis à une relance des négociations autour d’un plan de paix avec Bachar au moins au début de la transition. De ce point de vue, l’accord apparaît comme une tentative pour les puissances de reprendre l’initiative et de renvoyer les acteurs régionaux dos à dos. Les frères ennemis, l’Arabie saoudite et l’Iran sont exclus du jeu. Ils disposent d’une capacité certaine de nuisance par leurs relais respectifs mais pas si Russie, États-Unis et Turquie sont cohérents entre eux et ne laissent pas d’interstices pour des manœuvres ou des intrigues subalternes.