La « science » politique – en toute bonne foi - France Catholique

La « science » politique – en toute bonne foi

La « science » politique – en toute bonne foi

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Peu d’étudiants actuels en science politique connaissent l’histoire en dents de scie de leur discipline, qui est principalement devenue un champ empirique dépourvu de questions métaphysiques. Cependant, Aristote, le « père de la science politique » soutenait que, dans une cité convenablement et prudemment gouvernée, le bon citoyen coïnciderait avec l’homme de bien.

La nature de la vertu était de ce fait une matière essentielle de l’investigation politique. Cette simple notion est profondément significative car elle saisit un élément clef d’une science politique authentique, qui vise à développer et inculquer la vertu.

« La principale préoccupation de la politique » écrit Aristote dans ‘L’éthique à Nicomaque’ « est d’engendrer une certaine personnalité chez les citoyens et de les rendre vertueux et disposés à accomplir de nobles actions. »

Saint Thomas d’Aquin pensait que l’administration politique était bonne à condition d’être ordonnée vers la sainteté. Des gens de bien conduiraient de bons gouvernements ; sans une administration vertueuse, les citoyens failliraient largement à cultiver et pratiquer la vertu. De fait, Thomas d’Aquin cite les Proverbes (28:12,15, 28 et 29:2) dont le thème est que les chefs tyranniques sont des bêtes voraces qui dégradent la vertu et le bien commun.

Par « vertu », Aristote veut dire l’excellence de l’âme (tout comme Thomas d’Aquin), si bien que « les étudiants en politique doivent évidemment avoir un certain savoir sur le fonctionnement de l’âme. » Evidemment ? Les universitaires actuels ?

Quand, presque deux millénaires après Aristote, Machiavel a enseigné que gouverner nécessitait de la force d’âme (et non de la vertu), il plaidait en faveur de la puissance par rapport au droit et pour l’acquisition du pouvoir sans égard pour les conséquences. Si Salomon, dans les Proverbes, mettait en garde contre les princes tyranniques, Machiavel en faisait l’éloge comme efficaces, prétendant que l’amour du pouvoir était plus grand, et de loin – et bien plus pratique – que le pouvoir de l’amour.

Depuis lors, la science politique est devenue plus soucieuse de ce qui est que de ce qui devrait être. Les cyniques prétendent que nous n’avons pas d’outils de mesure fiables de ce qu’est la vertu mais que nous avons une pléthore d’outils pour mesurer des affaires plus « utiles » (comme des tableaux d’électeurs et des enquêtes d’opinion publique).

Lénine définissait la politique comme ‘kto/ kovo’ (ou ‘qui/ à qui’ – qui fait quoi à qui?). Harold Lasswell (1902-1978) décrivait la politique comme « qui obtient quoi, quand et comment ». Et le politologue David Easton (1917-2014) disait que la politique était « une répartition autoritaire des valeurs ». Rien là dedans à propos de la vertu, de la rectitude ou de la noblesse. Rien non plus, d’ailleurs, en rapport avec l’observation du ‘Catéchisme de l’Eglise Catholique’ que « l’ignorance du fait que l’homme a une nature blessée ayant tendance au mal donne essor à des erreurs sérieuses dans le domaine de l’éducation, de la politique, de l’action sociale et de la morale. (# 407)

Cependant,l’homme de lettres américain Russell Kirk s’est battu pour restaurer la conception aristotélicienne et thomiste que la politique est « l’application de l’éthique aux affaires de la communauté ». Il y a une connexion nécessaire, auraient dit Kirk et ses étudiants, entre Athènes et Jérusalem, entre les vertus d’amour et de prudence, entre ‘ce qui devrait être’ et ‘ce qui est’. En cherchant consciencieusement et continûment cette connexion entre le Parfait et le Possible, on trouve à la fois l’objectif et la misère de la politique.

Le philosophe Eric Voegelin (1901-1985) a vu clairement le danger de l’époque actuelle, mettant en garde contre le mal qui résulterait à coup sûr d’ « une dégradation de la science politique qui la réduirait à être une servante des pouvoirs en place. » Une sagesse politique authentique procède du savoir que « la vérité de l’homme et la vérité de Dieu sont indissolublement une. » Après tout, il y a réellement une mesure pour déterminer ce qui est juste et injuste dans la vie politique. Si Protagoras, tous les positivistes ultérieurs et les anticléricaux proclament que « l’homme est la mesure de toute chose », ils se trompent gravement car, comme l’a dit Platon, « Dieu est la mesure de toute chose ».

En l’absence d’un diagnostic approprié – que « l’entièreté de l’histoire de l’homme a été l’histoire d’un sombre combat contre les forces du mal  (‘Gaudium et Spes’ 37) – les remèdes de la politique aigrissent et corrompent. La politique est vue soit comme messianique (avec des sauveurs politiques en puissance dans l’arène politique) soit comme abjecte (avec des despotes débauchés rivalisant pour le pouvoir et l’attention).

Voici la politique moderne : une convention politique à Charlotte où on conspue Dieu et une pléiade de politiciens qui, comme l’a exprimé un jour Walter Lippmann, « avancent politiquement uniquement dans la mesure où ils anesthésient, apaisent, appâtent, séduisent, embobinent ou cherchent à manipuler par d’autres moyens » le public, auprès duquel ils se présentent eux-mêmes comme étant les serviteurs du peuple.

Quand nous nous moquons de ce qui est vrai, bon, beau ; quand nous adorons ce qui est faux et éphémère et appelons le profane sacré ; quand nous associons ce qui est noble et ce qui est nuisible ; quand une éducation frauduleuse crée, comme le dit C.S. Lewis, « des hommes sans cœur au ventre » – alors nous continuerons de chercher des solutions aux problèmes dans tous les mauvais endroits et de toutes les mauvaises manières. Nous créerons l’enfer et l’appellerons ciel ; nous tuerons les bébés et les vieillards en appelant cela miséricorde (voir Isaïe 5:20). Nous priserons hautement ce qui est immonde en le disant sublime. Nous n’aurons pas conscience de notre ignorance. Et nous n’en aurons pas souci car une société droguée et décadente nous divertira.

Et qu’en est-il de ceux qui cherchent à restaurer la vertu dans la politique publique et à nous rappeler que nous sommes les créatures d’un Dieu aimant ? De ceux qui parlent fidèlement de la loi morale et de la science politique qui nous enseigne – contrairement à ceux qui conspuent Dieu – que nous ne sommes ni des anges ni des bêtes, mais des êtres créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, essayant d’œuvrer à notre salut avec crainte et tremblement (Philippiens 2:12) ?

La science politique, sagement enseignée et judicieusement mise en application, nous dit toujours ce que nous devrions savoir, et d’abord qui nous sommes (1 Corinthiens 7:19-23). Nous souvenant que nous pourrions tenir compte du conseil de Churchill : « le jour pourra poindre quand le respect des règles, la camaraderie, le respect de la justice et de la liberté permettront à des générations tourmentées d’aller de l’avant, sereines et triomphantes, quittant l’ère hideuse dans laquelle nous devons demeurer. En attendant, ne jamais reculer, ne jamais se lasser, ne jamais désespérer.

Le diacre James H. Toner est professeur émérite de direction et d’éthique à l’université de l’armée de l’air US.

Illustration : « L’impôt pour le Temple », fresque de Masaccio, 1425 [chapelle Brancacci, Florence]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/12/14/political-science-in-good-faith/