La messe, sinon rien. - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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La messe, sinon rien.

Traduit par Bernadette Cosyn

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L’histoire de ma conversion au catholicisme est longue et complexe. C’est ce que j’ai eu la chance de comprendre au travers des quinze années qui ont suivi mon entrée dans l’Eglise catholique, alors que j’étais déjà quinquagénaire. On se souvient, on ne devrait pas s’y attarder, pourtant dans la recherche de la compréhension de soi, on n’est pas une bille à l’époque actuelle. Bien plus, selon moi, par la rétrospection, on apprend ce que l’on ne pourrait saisir autrement.

J’ai commencé quand j’avais tout au plus six ans. Mon père, post-protestant, Canadien mais enseignant au Lahore’s College of Art, m’avait inscrit à St-Anthony. Pourquoi, étant donnée sa vision du monde, m’avait-il placé sous la coupe de Maristes et de Jésuites irlandais ? Facile à comprendre : il pensait qu’ils avaient les critères scolaires les plus élevés, rien de plus.

Ils prenaient sans conteste le savoir très au sérieux. « Scientia cum Virtute », au cas où je l’oublierais.

Ils m’ont aussi offert une parodie, parfois loin d’être réjouissante, de tout ce qui a été condamné plus tard au Canada, par exemple la controverse des internats. J’ai eu ma part de coups dans la cour de récréation, et plus que ma part venant des frères eux-mêmes. Ils n’acceptaient aucune excuse, et restaient sourds aux protestations d’innocence. A défaut d’autre chose, j’ai beaucoup appris sur l’injustice, de la part d’un principal qui m’avait semblé psychotique (et qui a ultérieurement quitté l’Eglise pour une communauté bouddhiste en Californie).

Mais j’ai appris d’autres choses également, de différents enseignants sérieux, au nombre desquels la Cathédrale du Sacré-Cœur, juste à côté. Comme garçon blanc, j’étais convié à y aller. (Jusqu’à ce que je sois décelé « parpaillot » et dûment rossé pour y être allé.)

Qu’ai-je appris là-bas, se demande, je l’espère, mon honorable lecteur ? Quelque chose d’inachevé, qui allait me poursuivre des années.

A l’époque, je croyais ce que me disait ma maman athée, à savoir que la messe était une sorte de rite magique primitif, par nature incongru dans notre monde moderne scientifique et rationnel. Les catholiques, dans une certaine mesure, ne faisaient qu’un avec des sauvages primitifs. Ses ancêtres presbytériens le lui avaient dit : ils sont superstitieux. Il font d’étranges choses inexplicables, comme parler aux morts ou manger de minuscules morceaux de pain en croyant manger de la chair humaine. Mais, tout de même, il fallait être gentil avec eux.

Ce que j’ai appris au Sacré-Cœur, c’est que tout cela était vrai, avec de l’encens et des cloches en sus. (C’était l’époque de la messe en latin ; quand j’y suis retourné quelques décennies plus tard, c’était ourdou et tambours maliens.)

Et quelque chose de plus, que j’ai mis de nombreuses années à déchiffrer. J’ai découvert que j’avais une sensibilité catholique. Bien plus, que je n’avais pas une sensibilité protestante. Que dans tout conflit entre les deux sensibilités, j’étais spontanément du côté catholique. Comment expliquer cela ?

De façon intuitive, il me semblait que le catholicisme était fertile, que l’alternative était stérile. Saint Jean-Paul II l’a exprimé avec une précision cinglante quand il a distingué la culture de vie de la culture de mort, bien qu’il n’y ait mis aucune intention sectaire. Il faisait référence à la différence fondamentale de point de vue qui finit par mettre les vrais catholiques à l’écart de presque tout leur environnement moderne.

Bon, laissez-moi me concentrer sur la messe. Je suis devenu chrétien au début de l’âge adulte, plus précisément un anglican « Haute Eglise » (pour l’encens et les cloches) jusqu’à ce que je fasse défection. En effet, j’ai passé un quart de siècle sur la frontière du papisme, chaque fois que les anglicans faisaient quelque chose de non-catholique. Mais dans le même temps j’ai assisté à de nombreux mariages, funérailles et même baptêmes dans d’autres dénominations protestantes, par pure politesse ; et j’ai observé leurs coutumes avec des yeux d’extraterrestre.

C’est la première et peut-être la dernière chose à savoir à propos de nos différences : c’est qu’avant tout ils ont des « services d’église ». La messe, pour eux, n’est pas « concrète ». C’est un simple mémorial parce que le Christ a dit « faites cela ». Ils le font, de leur mieux, comme on leur a enseigné, mais prosaïquement.

Alors que nous catholiques faisons ce qui nous a été enseigné, mais pour nous les sacrements ont un effet. Ils ne sont pas un mémorial, mais un agir ; ils accomplissent quelque chose. C’est « le sacrifice de la messe » et nos croix ont tendance à avoir « le petit bonhomme dessus » (comme disait un jour la caissière sans cervelle d’un magasin de babioles). Et Il donne l’impression de pouvoir saigner sur vos pieds.

J’ai dessiné un contraste entre ce que j’appelle le « concret » et le symbolique. Dans cette acception, les symboles sont des choses intellectuelles. Elles sont non sanglantes. Un universitaire peut écrire en long et en large sur les symboles sans même en comprendre un seul. Il peut composer des dictionnaires complets de symboles, et même des manuels d’ethnographie, avec des références croisées et des index. Il sera toujours à côté de la plaque.

De même une encyclopédie des anges et démons, saints, martyrs, fées et farfadets, sans la moindre parcelle de croyance qu’il y ait du réel.

C’est à dessein que j’ai employé le mot « réel ». Je voulais faire allusion aux conflits médiévaux entre Réalistes et Nominalistes – qui sous-tendent probablement chacune de nos modernes réformes (celles des 16e, 18e et maintenant 21e siècles).

Au cœur de chacune, il y a le rejet du Réalisme – l’opinion selon laquelle il existe des choses réelles extérieures à nous et qui resteront réelles que nous les acceptions ou pas. Par exemple : la vérité, la beauté, la bonté. A l’inverse, on observe une progression de ce Nominalisme qui soutient que l’Homme crée la réalité quand il lui donne un nom. Tout est en définitive une « construction sociale », même les notions de mâle et femelle, de haut et de bas.

Dans cette optique, je dois avoir eu dès l’origine un faible pour le catholicisme. J’ai toujours cru à la réalité, et qu’il y avait plus de choses dans le ciel et sur la terre qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Et je n’ai jamais passé l’âge d’y croire, et espère bien ne jamais le faire.

Je suis un Réaliste. Je pense que le sauvage le plus primitif est pleinement un homme, et que je lui suis donc tout à fait semblable. Car les hommes sont réels, et continueront de l’être, peu importe comment vous les nommiez.


David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une grande connaissance du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.


Illustration : « L’adoration de l’eucharistie » par Jeronimo Jacinto de Espinosa, vers 1650 [musée des Beaux-Arts de Valence, Espagne]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/16/the-mass-nothing-but/