La bonne nouvelle qui reste nouvelle - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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La bonne nouvelle qui reste nouvelle

Voici la traduction d'un texte qui était vraiment fait pour moi! Etant catholique (évidemment) et de famille orthodoxe, j'ai moi aussi eu deux Pâques cette année, mais je ne suis pas d'accord avec Robert Royal : dans les églises de rite oriental, la participation des fidèles n'est pas très importante. Il est vrai que je connais mal les catholiques de rite oriental qui utilisent leur propre langue (vernaculaire) dans la célébration. Nous, les Russes, utilisons le slavon d'église très difficile à comprendre pour un locuteur moyen! Bonne lecture. Amitiés. Antonina

Traduction : Antonina

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Je profite – de façon totalement imméritée et indirecte à cause de mon mariage avec une catholique de rite oriental – d’une deuxième fête de Pâques cette semaine. Certaines églises catholiques de rite oriental suivent le calendrier orthodoxe et ont célébré Pâques hier et le lundi de Pâques aujourd’hui. Les raisons expliquant cette différence de dates sont complexes, mais fascinantes d’un point de vue historique : les premières (au début du IVe siècle) relevant de réactions différentes à la manière dont les autorités juives (dans la diaspora après la destruction du Temple de Jérusalem) fixèrent à nouveau la date de la Pâque juive et les secondes d’oppositions entre l’Est et l’Occident.

Il est peu probable que les deux branches du christianisme parviennent à convenir d’une date commune. Mais on peut y voir un fait providentiel. Les belles liturgies orientales qui atteignent leur apogée pendant cette saison, juste après notre propre célébration pascale, font clairement apparaître à quel point nos messes en Occident sont devenues fades, en dépit des réformes du pape Benoît XVI. Et c’est peut-être ce contraste qui est l’une des principales raisons pour lesquelles le christianisme occidental a fini par sembler terne et dénué de substance.

Sacrosanctum Concilium. La Constitution de Vatican II sur la liturgie (qu’il faudrait relire) avait pour objectif une participation plus active des fidèles à la messe – un objectif louable si les mesures avaient été bien prises. Mais le travail a été bâclé. La spiritualité des fidèles ne s’est pas élevée (comme le visait nettement le document en plusieurs endroits et ce qui semblait possible étant donné les plus grandes possibilités en matière d’éducation dans les années 60). Au contraire, les réformes ont abaissé le niveau de la célébration au point de la transformer en causerie religieuse prosaïque.

Les nombreux textes chantés, psalmodiés ou récités alternent dans les liturgies orientales, mais il faudrait ne pas avoir d’oreille pour les ramener à une causerie prosaïque à propos de Dieu. Dans ces liturgies la participation des fidèles est importante, mais on sent aussi nettement les esprits s’élever au-dessus du quotidien vers un espace atemporel et proche. Il y a peut-être une leçon à tirer.

Ezra Pound a un jour déclaré que la poésie était « une nouvelle qui reste nouvelle ». Seulement la grande poésie bien sûr. Charles Péguy s’est exprimé de manière plus concrète : « Homère est nouveau, ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui ». Une vérité importante qui ne concerne pas uniquement la poésie.

Je me hérisse parfois quand j’entends des prêtres et des évêques parler de l’Evangile. Leurs commentaires donnent l’impression que la Bonne Nouvelle est juste une nouvelle parmi d’autres. Et plus ils s’efforcent de la rendre spéciale – pis encore, pertinente – plus la Bonne Nouvelle prend l’aspect d’une très ancienne nouvelle. La foi doit se transmettre par l’écoute. Mais il y a d’autres moyens plus habiles de la propager.

La plupart des catholiques pratiquants sont sensibles à la disparition du mystère dans la liturgie, mais cette perte traduit la disparition antérieure de la poésie dans les paroles et la perte du genre de musique que toute bonne cérémonie religieuse – chrétienne ou non – utilise pour nous emmener dans un royaume différent, un endroit où nous rencontrons la véritable Bonne Nouvelle, celle qui reste nouvelle.

J’ai compris tout cela ce week-end dans une église ukrainienne en entendant les fidèles chanter le tropaire pascal, l’un des plus beaux hymnes de la saison :

Le Christ est ressuscité des morts, par la mort il a vaincu la mort.
Et à ceux qui sont dans les tombeaux il a donné la vie !

Comme les fidèles ont tendance à le faire dans les églises orientales, ce tropaire est répété des milliers et des milliers de fois pendant la messe, dans une espèce d’incantation collective qui ne reprend pas seulement une idée, mais ramène sans cesse les fidèles vers le mystère lui-même. La mélodie évoque un événement très éloigné dans le temps et l’espace, et qui tout au long de son parcours s’est enrichi de tout un ensemble de parties allant des sopranos aux basses profondes.

Ainsi que d’abruptes volte-face, de reprises, de crescendos, de decrescendos, toutes les modulations que connaissent les bons musiciens et qui suscitent une réaction émotionnelle. Les fidèles parmi nous se plaignent fréquemment que la religion soit devenue actuellement une simple source d’émotion pour beaucoup de gens. La solution n’est pas d’évacuer l’émotion, comme si les dogmes théologiques dépouillés de tout étaient la seule réalité chrétienne, mais d’inspirer et d’orienter l’émotion dans des voies plus authentiques. Des méthodes éprouvées existent déjà.

Le chœur ukrainien, des paroissiens ordinaires sans solistes, interprète une belle musique – connue de tous – qui élève l’âme sans effort. La congrégation chante aussi dans une langue compréhensible pour tout locuteur ukrainien moyen. Et dans l’une ou l’autre des quatre parties vocales. C’est comme si quelqu’un avait étudié Sancrosanctum Concilium et pris à cœur son aspect le plus ambitieux – avant sa mise en oeuvre. Imaginez un peu : un peuple chrétien qui peut assumer bien plus que des tâches liturgiques primitives. Et sans l’aide de liturgistes.

Dans son essai « Le message dans la bouteille », le romancier américain Walker Percy nous a dépeints avec verve comme des naufragés sur une île déserte. Nous pouvons nous livrer à de nombreuses activités : étudier les sciences, nous marier, fonder un foyer, nous présenter aux élections, créer une entreprise, contribuer au bien de la communauté. Mais il existe un ensemble de questions auquel ne peuvent répondre les nouvelles de l’île, mais seulement une nouvelle venue d’au-delà des mers.

La nouvelle dans ce sens doit nous parler d’un autre royaume pour répondre exactement à cet autre ensemble de questions : d’où venons-nous réellement, pourquoi sommes-nous ici, que pouvons-nous espérer à l’avenir (une vie future) ? Un enseignement explicite nous donne une partie de ce que nous demandons, mais se heurte vite de nos jours à une résistance intellectuelle. Les belles et riches liturgies parlent aux diverses couches insoupçonnées et plus profondes de notre être.

Si nous ne voulons pas simplement être emportés par le flux des nouvelles concernant les événements actuels, presque toutes désastreuses  (accidents d’avion, massacres de chrétiens et d’autres populations en Syrie, Iraq, Libye, Nigeria ; millions de personnes réfugiées, et à l’échelle mondiale, nombre incalculable de victimes de kidnapping, de trafic, d’esclavage ou de prostitution), et si nous aspirons à dépasser nos soucis quotidiens, nous devons nous ancrer dans un espace où existe une meilleure nouvelle, la Bonne Nouvelle qui reste nouvelle. En dépit de tout.

Je ne m’attends pas à ce que cela arrive sur une grande échelle pendant ma vie, mais une autre tentative de réforme liturgique pourrait beaucoup contribuer à fournir cette ancre et une boussole à notre monde désorienté.
Photographie : Des paroissiens orthodoxes ukrainiens rassemblés devant une église avant la Vigile pascale.

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith & Reason Institute de Washington (D.C.). Son dernier ouvrage The God that did not Fail : How Religion Built and Sustains the West est à présent disponible en livre de poche (Ed. Encounter Books).

Le 13 avril 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/04/13/good-news-that-stays-news/

Photo : Fidèles gréco-catholiques ukrainien attendant l’ouverture de l’église du village de Pustomity (Ukraine) pour la messe de Pâques.