La Comté et la Cité - France Catholique

La Comté et la Cité

La Comté et la Cité

Copier le lien

De nos jours beaucoup de gens aspirent à ce que Tolkien appelait la Comté, le genre de communauté où l’on se rencontre en personne, proche de la nature, simple et transparente dans son fonctionnement, qui a tenu jusque tout récemment une place centrale dans l’Histoire occidentale et qui continue d’exister à ce jour en divers endroits du globe — et même, malgré de lourdes pertes, dans quelques coins perdus d’Occident.

Dans le même temps, nous évaluons ce que devrait être appelé la Cité, le plus grand réseau humain — maintenant global — qui a, entre autres effets, rendu nos vies plus sûres et plus riches en bien des points. Même chez Tolkien, la Comté n’est pas autosuffisante et une bonne part du Seigneur des Anneaux consiste en la lutte globale entre le bien et le mal, combat mené justement pour établir le gouvernement améliorant et sauvegardant les endroits comme la Comté.

A maints égards, cette situation sociale reflète une situation intellectuelle qui est restée en suspens depuis le dix-huitième siècle. Durant les Lumières, l’idée d’une civilisation universelle a émergé, d’abord en France, sous une forme inconnue jusqu’alors, non plus l’équilibre entre la Comté et la Cité, comme dans la pensée antique et médiévale, mais comme une sorte d’empire de la raison.

La réaction à cette démesure orgueilleuse d’une certaine forme de raison, de fait une rationalité bornée comme nous le voyons clairement maintenant, s’est rapidement mise en place. Venues d’Allemagne, les notions romantiques de Kultur, de petits groupes, de valeurs traditionnelles ont cherché à redonner un humanisme à un monde d’où il avait été évacué par un prétendu rationalisme humain universel.

Depuis, nous avons oscillé de l’un à l’autre, selon les époques. Il est exigé de mettre en œuvre les deux ensemble, tout de suite, bien comme il faut, par conséquent, la tentation est grande de laisser tomber soit l’universel, soit le particulier, pour ne pas se compliquer la vie. Toute l’histoire moderne

Tout comme Tolkien, T.S. Eliot savait qu’il n’y a pas seulement ces deux dimensions, mais une lutte entre le bien et le mal à l’œuvre dans les deux domaines, chose que nous aimerions bien oublier :

« O Seigneur, délivre-moi de l’homme aux bonnes intentions mais au cœur impur, car le cœur par dessus tout est trompeur et est désespérément mauvais ».

Il continuait :

« Si l’humilité et la pureté sont absentes du cœur, elles sont absentes du foyer, et si elles sont absentes du foyer, elles sont absentes de la Cité.
L’homme qui a bâti durant le jour rentre chez lui le soir venu, pour être comblé de silence et de repos avant de dormir.

Mais nous sommes environnés de serpents et de chiens : aussi certains doivent œuvrer et les autres brandir le glaive. »

Ce qui nous amène à un point pratique. Avec le départ de Rick Santorum de l’arène républicaine, la lutte entre le Président Obama et Mitt Romney va s’intensifier. J’ai vécu à Washington depuis trente ans. (Qu’ai-je fait pour mériter un châtiment aussi insolite et cruel, je n’en sais rien, je ne suis plus une menace pour la société et je pourrais être réintégré dans la collectivité.) Quiconque vit depuis longtemps dans la capitale, et ne tombe pas dans une attitude purement partisane, apprend à ne pas tenir compte de la com (la pub/la propagande) qui présente les campagnes électorales comme des questions de vie ou de mort.

Mais je crois que cette année est différente. Deux visions de l’avenir sont en jeu. Il n’y a pas vraiment de compromis possible. Soit l’Amérique continue sur sa lancée actuelle — une voie qui a déjà mené à un résultat fort déplaisant en Europe — soit elle tente quelque chose de neuf, basé sur notre vieille tradition américaine de liberté.

Il ne s’agit pas de revenir aux pratiques d’un âge révolu. Comme Peter Brown l’a démontré samedi dernier sur ce site, même ceux qui prisent la subsidiarité et les marchés et qui voient l’expansion universelle des gouvernements centraux comme une menace pour les libertés civiles et religieuses et même pour l’humanité doivent créer de nouvelles institutions pour assurer la survie d’une humanité pleinement humaine. Pour le moment, de telles institutions n’existent pas encore. Récemment, certains catholiques ont suggéré que l’Eglise était en train d’évoluer vers quelque chose comme un comité d’action politique et qu’elle ferait mieux de retrouver une activité purement « religieuse ». C’est envisageable pour certains organismes religieux, et même pour certains catholiques pris individuellement, mais ce ne peut être la position de l’Eglise catholique dans son ensemble.

L’Eglise catholique croit avoir été appelée par Dieu pour évangéliser le monde entier, et une partie de cette mission doit être impliquée dans toutes les dimension de la société — ainsi qu’il convient pour une Eglise universelle. La politique bien comprise négocie les aspects de la vie en société, et cela englobe l’éthique, et pour cette raison, la religion ne peut être tenue en dehors d’un état bien géré.

Certains observateurs séculiers affirment que l’Eglise doit s’en tenir à ses propres affaires tant qu’elle n’a pas mis de l’ordre dans sa propre maison. C’est tout simplement faux. Pour transposer cela sur le plan individuel, imaginez qu’on interdise aux gens de s’exprimer tant qu’ils ne sont pas devenus parfaits. Cela signifierait tout simplement que les gens consciencieux mais imparfaits — ce qui est le cas de toutes les personnes de bonne volonté — ne pourraient jamais ni parler ni agir. Les « serpents et les chiens », les aigrefins et les fripouilles, et pis encore, auraient tôt fait de remplir le vide ainsi créé.

Un vrai catholique n’a d’autre choix que de cheminer au milieu de cette complexité, c’est ce que The Catholic Thing fera pendant le reste de l’année électorale.. Nous allons garder la vision purement religieuse au premier plan de notre pensée, car c’est le moyen le plus efficient pour offrir une alternative à une culture se précipitant tête la première dans elle ne sait quoi.

Le défunt romancier catholique Walker Percy écrivait que toute notre culture est semblable à Vil le Coyote dans les vieux dessins animés Bip-Bip et Vil le Coyote (en anglais Road Runner) : il se jette de la falaise dans une poursuite écervelée et ses jambes continuent de s’agiter frénétiquement en ignorant qu’il n’y a plus rien de solide sous ses pieds.

Comme les évêques américains ont eu à le signaler dernièrement, les catholiques doivent s’engager dans les affaires publiques, pour assurer la liberté et le bien de l’Eglise, alors que des menaces toutes proches planent sur la liberté religieuse. Mais nous devons aussi agir pour le bien commun, qui tombe d’une panacée inefficace à une autre, sans la stabilité et la sagesse qui apporteraient ordre et paix.

http://www.thecatholicthing.org/in_the_news/donate/donate.html

https://www.paypal.com/us/cgi-bin/webscr?cmd=_flow&SESSION=K3Gj2K_MGTrtmv4mBkYkVj33sEmbMNgEW0XcQUZnyz27goAcrcW6Q_1JeVe&dispatch=5885d80a13c0db1f8e263663d3faee8dcbcd55a50598f04d34b4bf5056870803

Nous ne demandons pas souvent votre aide pour le travail de The Catholic Thing. Mais nous vous demandons de faire votre part en cette année cruciale. Notre éditeur Brad Miner me dit que le lectorat de TCT a doublé par rapport à l’an passé. Nous voulons qu’il double encore — ou même qu’il triple — cette année. Pouvez-vous nous transmettre les coordonnées (à info@frinstitute.org) de personnes susceptibles de lire TCT chaque jour ?

Nous mettrons prochainement en route un nouveau service de livraison par courriel.

Bien sûr nous avons aussi besoin de soutien financier. Le budget est serré, surtout pour des structures à but non lucratif comme la notre. Pouvez-vous nous aider ?

— –

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing, et président de l’institut Foi et Raison de Washington. Son dernier livre est The God That Did Not Fail . How Religion Built and Sustains the West, maintenant disponible en livre broché chez Encounter Books.

— –

Illustration : la Comté selon Tolkien…


Note des traducteurs bénévoles français : Si nombre des lecteurs a doublé, nous y sommes peut-être pour quelque chose en assurant le service de la traduction en français ? On aurait bien besoin d’être aidés aussi ici. Y aurait-il quelque bon angliciste pour rejoindre notre petite équipe bénévole qui ne suffit pas à traduire un texte chaque jour ? Si oui, prenez-vite contact avec france-catholique@wanadoo.fr