L'insoupçonné pouvoir des mots - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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L’insoupçonné pouvoir des mots

Avocat d'affaires, Erwan Le Morhedec est à l'origine du blog « Koz Toujours, tu m'intéresses » qui l'a imposé comme publiciste catholique. Il est aussi l'auteur d'un essai qui reprend et développe, souvent à nouveaux frais, les thèmes de prédilection de son blog.
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On s’est rejoint dans un café du centre de la capitale. Pas trop loin du lieu de son prochain rendez-vous. Depuis quelques mois, le blogueur enchaîne les studios radios, les entretiens téléphoniques, les interviews devant un café. Peut-être le connaissez-vous déjà ? Il est l’initiateur, un temps mystérieux, aujourd’hui à visage découvert, du site Internet : Koz Toujours, tu m’intéresses1. Sur son petit espace de Toile qu’il s’est aménagé, les mots s’enchaînent. Sorties de leur contexte, ses phrases ne veulent pas dire beaucoup. Isolés, ses billets n’ont pas la même valeur. Mais voilà, cela fait dix ans qu’Erwan insiste, s’insurge, espère. Dix ans qu’il s’exprime sur des centaines d’actualités. Il a publié des milliers d’articles et suscité quelque 80 000 commentaires (dont 4 000 de sa part). Alors pour découvrir ce père de quatre enfants, il ne s’agit pas d’analyser quelques-unes de ses phrases ou même d’apprécier un billet dans son intégralité. Pour comprendre celui qui veut « être là », il faut tenter de s’imprégner de son esprit et de saisir sa pensée. Fouiller dans son blog comme dans un rayonnage de supermarché. Car tout est là, à disposition, sur la Toile. À commencer par son premier article. Rédigé le 1er juin 2005, il marque l’étonnement de l’homme face au rejet par les électeurs français du Traité établissant une Constitution européenne. Lui qui était enthousiaste, hésite entre la colère et l’incompréhension. Il constate que son opinion, bien présente dans la presse papier et les grands médias, a été sous-représentée sur Internet. Faut-il se laisser faire ou agir ? En créant son blog, il choisit la seconde option et décide de rétablir ses vérités. De répondre à ceux qui profitent d’Internet pour s’autoproclamer profs de droit ou sociologues de l’Union européenne. Lui n’est ni l’un ni l’autre. Il est avocat. Mais grâce à ses années d’études de droit à Assas et à sa spécialisation en droit européen, il pense pouvoir donner un jugement plutôt renseigné. Alors, il se lance. Les lettres tapées les unes après les autres sur son clavier forment des phrases qui à leur tour laissent émerger une conviction. Près de 2000 billets plus tard, nous voici devant cette tasse de café. Chemise bleu ciel et barbe fournie, il a le sourire courtois et le verbe facile. De façon claire et concise, il s’exprime pour analyser des situations auxquelles chaque jour il est confronté. Pas une journée ne passe sans qu’il ne s’interroge : sur le sort des réfugiés syriens, sur l’évolution de l’Église en France ou les déboires des hommes politiques de droite ou de gauche. Il est aujourd’hui l’un des blogueurs les plus lus et les plus discutés de France. Catholique, il s’inspire chaque jour de la phrase de sainte Bernadette : « Je ne suis pas chargée de vous convaincre, je suis chargée de vous le dire. » Alors, il dit. Il explique, par exemple, pourquoi il trouve « injuste et déplacée » la suggestion de Dalil Boubakeur de réattribuer les églises vides au culte musulman. Animé par le discours du Pape, il dénonce une France qui perdrait son âme en refusant l’accueil des réfugiés. Son blog est la vitrine de ses états d’âme, l’antichambre de ses actions. [|koz.jpg|] Quand il a commencé son blog en 2005, ce Parisien aux origines bretonnes espérait. Pas naïf mais confiant. Il voyait en l’arrivée au pouvoir de Sarkozy la fin d’un immobilisme politique. En vain. Le pays plonge dans une angoisse économique, sociale et identitaire. Alors pour Erwan, « ça ira mieux demain, ça veut dire qu’aujourd’hui ça ne va pas. Mais c’est aussi ne pas se complaire à dire que c’était mieux avant ». Défaitiste ? Non plus. Au contraire, le titre de son essai se veut une invitation à l’engagement. Car l’auteur porte en lui les stigmates du présent et les espoirs du futur. Par ses mots qu’il manie dans un style piquant, il demande à chaque personne de prendre sa responsabilité. Tous ensemble, il souhaite que nous fassions de demain un meilleur aujourd’hui. « C’est un optimisme lucide ! Si tout le monde parle un peu, ça peut faire changer les choses. » Son espérance à lui passe par Jésus Christ. à la fin des années 1990, il fréquente un temps la communauté Fondacio puis prend, régulièrement pendant cinq ans, le chemin de Lourdes, pour accompagner des enfants valides et handicapés. Année après année, ses convictions religieuses s’affirment. Il assure aujourd’hui que « notre foi nous donne une capacité à regarder vers le haut ». Un sentiment vraiment compris en 2008, lors de la venue du Pape les 12 et 13 septembre. Alors que la Finance s’écroule dans l’agitation, il observe une Église qui demeure droite, vivante et sereine. « Ce contraste a été très manifeste pour moi. » Désormais, sa foi prend de l’ampleur grâce à son blog. Un temps voilée (comme lui à ses débuts), elle donne de l’assise à ses observations. Permet au lecteur de se familiariser avec son mode de réflexion. Dans ce livre, sa croyance en Dieu est tout à fait palpable. Erwan s’appuie par exemple sur un dialogue entre Michel Onfray et François-Xavier Bellamy. « Que dire à un jeune de 20 ans ? » (Le Figaro, 25 mars 2015). À l’alarmisme du premier : « Le bateau coule, restez élégant. Mourez debout », répond la foi du second. Sans ignorer l’obscurité, François-Xavier Bellamy s’attache à des points lumineux : « Nous sommes vivants. Quelles que soient les circonstances, l’histoire n’est jamais écrite d’avance : le propre de la liberté humaine, c’est de rendre possible ce qui, en apparence, ne l’était pas. » À travers douze débats et « 304 petites pages », Koz tente lui aussi de s’attacher à la beauté. D’éclaircir la noirceur incrustée dans nos vies. « Si je baisse les bras en tant que catholique, le catholicisme lui-même perd de son sens ! » Il n’ignore pourtant pas l’individualisme croissant. La perte des repères collectifs qui nous empêche de savoir qui l’on est ou ce que l’on doit faire. « Très peu de choses nous fédèrent ! Il y a eu la Coupe du monde de Foot en 1998 et les attentats contre Charlie en 2015. » À côté des islamistes qui agissent, il remarque ceux qui soutiennent et ceux qui ne condamnent pas. Une difficulté d’intégration liée selon lui à notre capacité d’autodénigrement. « Les Français ont une grande aptitude à se dévaloriser. » Comment faire aimer la France, si soi-même on ne l’aime pas ? Dans son livre, il évoque entre autres choses notre rôle pendant la Seconde Guerre mondiale. « C’est dans notre pays que, proportionnellement, il y a eu le moins de déportations de Juifs. » Et pourtant. Sans évidemment se réjouir de ce triste record, il remarque que les Français exagèrent au moins autant la collaboration qu’ils ont pu surestimer la résistance. Erwan n’est pas de ceux qui se taisent, mais de ceux qui résistent. À travers ses billets, il n’hésite pas à critiquer notre individualisme chéri qui nous empêche de nous soucier du bien commun. Il s’exprime sans vaines précautions sur des sujets tels que l’euthanasie. « Parfois on me dit : si tu es contre tu n’as qu’à pas le faire, mais n’empêche pas les autres d’être pour ! » Selon lui, on a travesti le proverbe : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » en bornant la liberté de l’autre pour voir la sienne aller le plus loin possible. Mais lui continue à exercer sa propre liberté. Depuis dix ans, il affronte ses détracteurs. Il apprécie chaque email d’encouragement. L’une de ses plus belles satisfactions a été de voir, au terme d’échanges électroniques publics, un ami retrouver le chemin de la foi. Il s’étonne de la magie insoupçonnée de certains mots qui lui échappent. Leur succède aujourd’hui la mise en forme développée des chapitres d’un livre dont la portée sera, espère-t-on, tout aussi… insoupçonnée.

 

  1. Koz Toujours, ça ira mieux demain, Éditions du Cerf, 304 pages, 19 €.