L'idée de Dieu - France Catholique
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L’idée de Dieu

Traduit par Bernadette Cosyn

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« On dit que l’homme a déifié les cieux. Admettons. Mais où exactement a-t-il été chercher l’idée du divin qu’il applique aux cieux ? Pourquoi découvrons-nous le même mouvement spontané où que nous nous tournions ? Pourquoi cet aspiration à déifier ? » (Henri de Lubac « La découverte de Dieu »)

Je n’ai pas connaissance d’un seul argument athée qui puisse répondre à l’une de ces questions. Et vous ? Alors comment se fait-il que, en dépit de toutes les voix revendiquant un monde sans Dieu, demeure une tendance irrépressible à déifier les cieux ? Comment se fait-il que les meilleurs et les plus brillants se décarcassant au service de l’incroyance n’aient pas réussi à tuer le désir de Dieu ? « Contre la tempétueuse prière de désir » comme nous le rappelle le poète W. H. Auden, « la législation demeure impuissante ». Combien tout cela doit il sembler exaspérant et irrationnel aux grands sages.

Et pourtant, jusqu’à ce que nous posions de telles questions, nous n’avons pas le droit de demander autre chose. Comment est-ce possible ?

Pour le chrétien, il ne peut y avoir qu’une seule réponse : Imago Dei. C’est parce que nous sommes créés à l’image même de Dieu que nous sommes conduits à nous poser des questions à Son sujet. Et, plus précisément, parce que nous sommes destiné un jour à endosser la parfaite ressemblance du Christ, qui, en devenant l’un de nous, nous a ainsi rendus capable de devenir comme Lui – rien de moins que trouver Dieu ne peut satisfaire définitivement le cœur humain. Peut-il y avoir des limites à un désir immortel ?

Quelle sorte de Dieu doit-il être alors, s’il n’y a pas de fin à la réflexion que nous menons à Son sujet ? Si Dieu est plus qu’un simple nom, un Autre mystérieux dont nous pouvons affirmer toute la perfection possible – de la paternité, puissance, sagesse et justice jusqu’à l’amour et la miséricorde – alors Dieu est sûrement plus que toute idée que nous pourrions nous faire de Lui. En outre, comme Grégoire de Nysse nous en avertit, « les idées créent des idoles, seul l’émerveillement conduit à la connaissance ». Quelle est donc cette merveille que nous nommons Dieu, sinon le fait, unique et sidérant, qu’Il existe ? Que son véritable Nom, prononcé dans cette théophanie tonnante à Moïse,l’Israélite errant (Exode 3), crie du sein du Buisson Ardent, afin que tous entendent : « Je suis qui Je suis ».

Saint Thomas d’Aquin affirme que lorsque nous parlons de Dieu en l’appelant « Celui qui est », nous parlons avec plus de vérité de Son être que lorsque nous l’appelons simplement Dieu. Et donc, une fois encore, quand la force de cette image saisit l’âme, nous sommes inéluctablement conduits à nous lancer à la recherche de Dieu.

Ni la poussière ni le péché, les deux principaux handicaps auxquels nous devons faire face, ne peuvent totalement occulter notre connaissance de ce Tout Autre, qui, comme des saints sans nombre n’ont cessé de nous le répéter, est plus présent à nous que nous ne le sommes nous-mêmes.

« Quand vous découvrez la porte de votre cœur » déclare Saint Jean Chrysostome dans un langage constamment repris au cours des siècles, « vous découvrez le portail du ciel. » Seules la faiblesse de nos esprits et l’entêtement de notre volonté peuvent nous détourner de ce que de Lubac, dans une image très expressive, a appelé « la route royale de l’esprit » sur laquelle le voyage vers notre maison du ciel prend place.

Voici comment l’exprime Lady Julienne de Norwich au 14e siècle, elle qui, en transcrivant les mots du Christ, exprime vraiment ce que Dieu Lui-même voudrait que nous croyions :  « Dieu est tout ce qui est bon, Dieu a créé tout ce qui a été créé, et Dieu aime tout ce qu’Il a créé… Car dans l’humanité qui sera sauvée, sont inclus tout ce qui est et le créateur de tout ; car Dieu est dans l’homme, et de ce fait tout est dans l’homme. »

C’est vraiment pousser loin le bouchon. Mais le Christ, qui n’a pas fini de chambouler nos prévisions en ce qui Le concerne, poursuit et ajoute : « Comme j’ai rendu bons les plus grands dommages, j’ai l’intention que vous compreniez par là que je vais rendre bon tout ce qui est déficient. »

Quel Dieu pourrait se permettre de telles déclarations ? A quoi le Dieu de Jésus-Christ doit-il ressembler pour inspirer une espérance aussi audacieuse ? « Et tout sera bien, absolument tout sera bien », pour citer T.S. Eliot, qui, ayant prélevé la phrase dans les « Visions » de Lady Julienne, pousse le bouchon au-delà de toutes les limites terrestres.

Laissez-moi l’entendre ainsi. Pourquoi Dieu aurait-il donné vie à des êtres dont la prise sur l’existence est si ténue qu’aucun d’entre nous ne saurait se donner l’existence à lui-même. Nous sommes, comme Platon a peut-être été le premier à le souligner, enfants de pauvreté, autrement dit ontologiquement pauvres.

Et si ce n’était pas une leçon d’humilité suffisante, il y a ce fait bouleversant à considérer : pourquoi Dieu, qui nous a appelés à l’existence s’est-il ensuite arrangé pour venir Lui-même à l’existence ? Qu’avions-nous dont Dieu puisse avoir besoin ? L’un d’entre nous peut-il ajouter ou soustraire une coudée à la grandeur inégalée de Dieu ?

Et pour finir, il y a l’événement le plus stupéfiant de tous, qui est que non seulement Dieu se donne Lui-même au monde des hommes, mais qu’Il permet à ces mêmes hommes de porter la main sur Lui et de Le torturer lentement à mort.

Quel est ce Dieu souhaitant non seulement créer les hommes mais également se soumettre à l’injustice infligée par eux ? Et alors – comble de l’ironie divine ! – ce Dieu-là prend l’instrument de sa mort longue et douloureuse, et en fait l’instrument de notre délivrance de la mort.

Tel est le Dieu auquel les athées ne peuvent pas croire. Mais ils doivent être fous.


Régis Martin est professeur de théologie et professeur associé au Centre Veritas pour l’Ethique dans la Vie Publique à l’université franciscaine de Steubenville. Auteur d’une demi-douzaine de livres, il vit à Wintersville avec sa femme et dix enfants.

Illustration : « Moïse et le Buisson Ardent » par Sébastien Bourdon, vers 1645 [musée de l’Ermitage – Saint-Pétersbourg]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/02/09/the-idea-of-god/