L’Annonciation du Fils qui est venu - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’Annonciation du Fils qui est venu

Traduit par Isabelle

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Le village de Chelm, près de la frontière de la Pologne avec l’Ukraine, est considéré dans le folklore juif comme le lieu où un ange, affecté par Dieu à transporter un sac plein d’âmes insensées, avec mission de les répartir à travers le globe, trébuche soudain, et les décharge toutes sur le village.
L’une d’elles, apparemment, trouve un travail qui consiste à rester assis à la grille et à attendre la venue du Messie promis. Quand il se plaint aux anciens du village qu’il n’est pas assez payé pour ce job, ils acquiescent : « Oui, la paye est trop basse. Mais remarque : le travail est stable. »

Là-dedans, il y a de l’humour, c’est certain, et le lecteur sourit en le lisant. Mais, en même temps, cela masque une tristesse amère qui survit à l’anecdote. Particulièrement pour les juifs, c’est un conte sombre et terrible. Et tandis qu’il peut paraître drôle de voir un fou plus ou moins forcé d’attendre à jamais, le fait que tous les autres juifs voient les choses de la même façon, qu’eux aussi soient assez fous pour attendre, ne fait que renforcer le sens du pathos.

Ici, le chrétien doit faire un effort de volonté, et tout en pratiquant la sympathie à laquelle nos frères aînés ont droit, imaginer la véritable tension imposée à ceux qui, siècle après siècle, attendent l’arrivée de Celui dont notre foi nous assure qu’Il est déjà venu. Parce que en vérité, ils ont été les premiers, les tout premiers, à recevoir le message ; et donc les premiers à recevoir la promesse de la délivrance par la venue certaine du Messie (« Voyez, une vierge concevra et enfantera un fils ; et son nom sera Emmanuel ». IsaÏe VII 14)

Et en effet, l’apôtre Paul nous presse de nous souvenir de la grande destinée des gens de sa race – qui sont devenus aussi nos parents dans la mesure où, pour parler spirituellement, nous sommes tous des sémites – à qui, parce qu’ils sont israélites, « appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses, et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair , lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. » « Rom IX 4-5)

Alors, que peuvent faire les Juifs quand, à leur avis, Dieu ne se montre jamais ? Tout cet espoir qu’ils avaient absurdement investi, que vont-ils en faire maintenant ? Je veux dire, le voilà, le Peuple privilégié du Livre, ceux qui ont reçu une assurance absolument singulière de la part de Dieu Lui-même, de sauver le peuple entier d’Israël de son asservissement au péché et à la mort.

Quelle drôle d’idée a eue Dieu de choisir les juifs, nous dit-on. Et pourtant, malgré leur étrangeté qui ne cesse d’être gênante, et qui les empêche de nouer des liens avec aucune autre tribu ou nation dans le monde, ils demeurent quand même la possession préférée de Dieu, le choix qu’Il a fait de manière irrévocable. De plus, en dehors du judaïsme, quelle tête de pont Dieu a-t-il établi, d’où mettre en œuvre sa reconquête du monde ?

Maintenant seulement, bien sûr, comme (semble-t-il ) Dieu n’a pas tenu ses promesses, ils y pensent en termes de trahison . Ils ont été partie d’un acte de trahison divine, conçu par ce même Dieu qui leur avait d’abord donné l’existence. Qu’est-ce qui pouvait se montrer plus destructeur de la confiance d’un peuple que la perspective, à leurs yeux, de Dieu qui refuse d’honorer l’alliance même qu’il avait conclue.

Il doit sûrement sembler impossible de résister à la tentation de maîtriser toute l’énergie et l’idéalisme, tous les désirs qui ont donné sa forme à l’âme d’Israël, de tout transformer en politique et idéologie – « rendant immanent l’Eschaton » en quelque sorte. De là vient le grand mouvement sioniste parmi les juifs modernes sécularisés qui, ayant décidé de remplacer Dieu par la géographie, tournent maintenant le dos à la loi et aux prophètes.

Ils n’attendent plus que Dieu vienne à eux. A la place, ils poursuivent les mêmes lieux de plaisir qu’ont plus ou moins assimilé toutes les autres tribus et nations. Ainsi, ils ont éviscéré leur propre identité, issue de l’intimité fusionnelle initiée par Dieu avec Abraham et les enfants qui lui avaient été promis.

Nous devons nous souvenir que la gloire d’Israël n’a jamais été une affaire ethnique ou raciale. Cela a toujours été religieux, une identité imprégnée de l’altérité sacrée d’un Dieu qui a épousé un peuple. Et que depuis deux millénaires, toutes les révélations du Dieu vivant leur ont été confiées. Peut-on dire la même chose d’aucune autre race, d’aucun autre peuple dans l’histoire du monde ?

Et ce ne sont pas que des paroles qui ont été dites à Israël. La silencieuse incarnation de la Parole même de Dieu s’est passée également en Israël, dans le sein de Marie, jeune fille israélite. Existe-t-il aucun autre peuple qui puisse dire que dans les reins mêmes de sa vie a jailli un jour la Parole éternelle , le Fils du Père, sous forme humaine ? Le grand théologien Jean Daniélou commente :

Dans ceci seulement, il y a une grandeur qui stupéfie notre imagination et notre raison. Toutes les autres grandeurs terrestres passeront. Les grands empires de l’antiquité sont tombés dans l’oubli, leurs monuments – tentatives de défier le temps – ne sont plus que les tombeaux des civilisations passées. Les puissances d’aujourd’hui déclineront à leur tour, mais Jésus Christ vivra éternellement et sera éternellement de race juive, conférant par là même à Israël un privilège unique et éternel.

Pour nous qui croyons que le Christ est venu racheter la race humaine – qui, en fait, en ce jour, s’inclinera en observance reconnaissante de ce fait – n’oublions pas que, bien qu’il soit vrai que par la chair prise par le Fils de Dieu, toute l’humanité est rachetée, Il est aussi et également exact que c’est la race humaine qui a d’abord fait le Christ.

Ce qui veut dire que la chair du Fils de Dieu a été librement prise chez une jeune juive prénommée Marie . Et elle demeure la figure véritable et immortelle de l’espérance d’Israël et de l’Eglise.

« Que cette vivante fontaine d’espérance », écrit Luigi Giussani, « soit chaque matin – chaque matin – le sens de la vie le plus captivant et le plus tenace. A part cel,rien dans le monde n’est certain. »

25 mars 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/03/25/the-annunciation-of-the-son-who-has-come/

Image : Le Christ dans l’horloge, de Marc Chagall.