Justin chez Emmanuel - France Catholique

Justin chez Emmanuel

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La vieille et la nouvelle France dirigés par des contemporains que leur âge ne suffira pas cependant à réduire le fossé des siècles, des cultures et des océans.

La visite en France du premier ministre canadien, Justin Trudeau, du 16 au 18 avril, est bienvenue. Le président français, nouvellement élu, avait naturellement sympathisé avec lui lors de leur première rencontre au sommet du G 7. Ils se sont reconnus non seulement comme de la même génération mais aussi d’une approche parallèle du monde. L’enjeu d’une nouvelle relation franco-canadienne aujourd’hui serait la promotion d’un esprit différent dans les réunions internationales. La francophonie est un vecteur important notamment en Afrique, mais insuffisant. Le Canada partage aussi avec la France la participation au G 7 et à l’OTAN. Mais la France est absente de bien d’autres aréopages dont le Canada est membre : le séjour parisien de Justin Trudeau s’insère entre Lima, le sommet des Amériques (13-15 avril), et Londres, le sommet du Commonwealth (18-20 avril) ! La France est bien entendu absente de ces deux rendez-vous mais aussi de l’Asie-Pacifique (APEC) et du Conseil de l’Arctique où le Canada possède la plus grande part territoriale avec la Russie. Une coopération politique plus étroite devrait être favorisée. On peut même rêver à une sorte de relation privilégiée, un traité à l’image du traité franco-allemand.

Le Canada est à bien des égards exceptionnel. Il est sans doute le dernier à accepter une immigration significative équivalente chaque année à près d’un pour cent de sa population (300 000 arrivées), ce qui lui assure d’ores et déjà (car cette politique dure depuis trois décennies) de rattraper au milieu du siècle la population de l’Italie (qui aura régressé entretemps). Le caractère exceptionnel de cette immigration est qu’elle n’est pas limitée à certains pays. Hispaniques et Africains ne constituent que 3% de la population (contre 30% aux Etats-Unis). Un immigrant sur deux est asiatique, avec un basculement du Canada d’Ouest en Est. La part du Québec ne cesse de diminuer dans l’ensemble fédéral. Mais ce n’est pas pour autant que la part européenne dans la culture et la politique du pays recule. Trudeau est le symbole de cette intégration réussie d’un foisonnement de populations les plus diverses à l’intérieur d’un cadre qui demeure spécifique, canadien. Une nouvelle identité est en train de naître ou plutôt de s’affirmer dans le contexte nord-américain.

Personne ne semble pouvoir suivre le Canada sur cette voie, ni Trump, ni Macron. Ce Canada n’est à l’évidence pas une alternative au Brexit, tout au contraire. Le choc des cultures entre les deux côtés de l’Atlantique n’avait pas été perçu jusqu’à ce qu’éclate la controverse sur le CETA, l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Il est alors apparu évident que le Canada est déjà à des années-lumière de nos réglementations et pour tout dire de notre mode de vie alors qu’on le croyait si proche – par la francophonie ou par la reine du Canada. Certes le Canada réalise les trois-quarts de son commerce avec les Etats-Unis et l’on a ainsi pu considérer cet accord comme un cheval de Troie en Europe. Mais c’est beaucoup plus que cela. Le Canada est depuis longtemps émancipé de Paris ou de Londres. Mais il est plus que nord-américain. Par exemple, il est déjà dans la négociation du traité transpacifique dont Trump s’était retiré pour y revenir maintenant. Le Canada est bien plus mondialisé que les Etats-Unis. La vieille Europe, elle, n’est pas prête.

Macron voudrait sans doute en son for intérieur être une sorte de Trudeau français ou européen. Il pourrait s’inspirer de son « libéralisme », de sa liberté, alors qu’il se sent si contraint par les pesanteurs d’une vieille société et les responsabilités historiques. Il est en marche quand l’autre court, saute et danse presque. Mais c’est sur la distance que l’on juge une politique par rapport à une autre.