Jetons nos filets - France Catholique

Jetons nos filets

Jetons nos filets

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Les instructions scéniques finales du drame existentiel célèbre de Samuel Beckett « En attendant Godot » saisit les peurs, doutes et désespoirs enracinés de la modernité. Un vagabond mécontent, Estragon, dit à un autre : « bon, on y va ? »
« Oui », affirme son comparse Vladimir, « allons-y ».

Directives scéniques : « ils ne bougent pas ».

Ils ne bougeront pas. Jamais. Les clochards de Beckett, aussi pathétiques qu’ils paraissent sur scène, ne sont guère éloignés, voire pas du tout, de notre dilemme quotidien.

Tant de choses paralysent notre espérance. La souffrance, l’échec, le ressentiment, l’épuisement. Nous avons essayé et nous n’avons pas réussi. Nous avons aimé et nous avons été rejetés. Nous avons espéré et nous avons été déçus. Et maintenant, la tentation se fait vive d’embrasser la sécurité du cynisme. Si nous n’essayons pas, nous éviterons l’échec. Si nous n’aimons pas, nous ne pouvons pas être rejetés. Si nous n’espérons pas, nous ne prenons pas le risque d’être déçus. C’est plus sûr.

Mais la coquille du cynisme est également une prison. C’est vrai, nous ne pouvons pas être blessés, mais nous ne pouvons pas en sortir. Plus nous nous drapons dans la coquille du détachement, plus elle devient hermétique. Jusqu’à ce que nous redéfinissions notre nature, parce que c’est si difficile de croire, d’espérer, de faire confiance, de se débarrasser du doute, quand nous avons été déçus. Pourtant la nature du Christ reflète toutes ces qualités – envers chacun d’entre nous.

Il a tant de raisons de douter de nous. Tant de preuves que nous allons de nouveau le décevoir. Malgré cela Il nous encourage toujours à essayer encore, et jamais autant que lorsque nous avons pêché toute la nuit sans rien prendre. Il nous conduit à affronter cette place en nous et à réessayer, mais avec Sa grâce.

« Quand Il eut fini de parler, Il dit à Simon « maintenant allez en eau profonde et jetez vos filets » Luc 5:4).

Jetez vos filets. Laissez tomber votre méfiance. Laissez tomber votre fierté. Essayez encore. Soyez vulnérable à l’échec et à l’humiliation. Espérez encore, sans aucune assurance de réussite. Avec seulement l’appel du Seigneur sur lequel compter.

« Maître », a répondu Simon, « nous avons peiné toute la nuit et n’avons rien pris ! » (Luc 5:5).

Nous avons essayé. Nous savions comment faire. Nous avons lancé une entreprise. L’entreprise a échoué. Nous nous sommes jeté dans la mission. Elle n’a pas eu de résultat. Nous avons fait des efforts dans cette relation et cela reste infructueux.

« Mais à Ton appel, nous allons jeter les filets » (Luc 5:5).

Je pardonnerai une fois encore. J’aimerai une fois encore. Je vais me rendre de nouveau où est mon devoir, et je vais essayer une fois encore.

C’est si dur. L’exemple de Pierre est tellement important. Il ne fait qu’obéir. La seule grâce qui lui soit accessible est l’obéissance. Non le zèle, non les résultats. Seulement écouter le Seigneur.

C’est comme s’il disait : « Seigneur, je vais aimer et jeter à nouveau le filet ». « Seigneur, je vais pardonner et jeter le filet une fois encore ».

Et comme résultat ? L’opposé de ce que le cynique aurait pu prédire à juste titre. Le cynique se dit en lui-même : ne fais pas ceci, tu auras l’air d’un imbécile, d’un crétin. Ces gens ne méritent pas que tu essaies encore. Personne n’apprécie tes efforts. Reste distant et supérieur. Préserve ta fierté. Reste dans la prison du doute, où tu es en sécurité.

Mais Pierre jette les filets. Et l’Eglise universelle naissante et chancelante retient sa respiration.

« Quand ils l’eurent fait » révèle l’Evangile « ils prirent un si grand nombre de poissons que leurs filets commençaient à se déchirer » (Luc 5:6).

Découverte capitale. Leurs filets commençaient à se déchirer. Le résultat d’aimer en obéissance au Christ, de modérer notre fierté, de pardonner encore une fois, le moment où c’est le moins mérité, c’est là que prend place la découverte capitale !

Baignés par la grâce, les disciples du Christ obtiennent un tel succès, un tel amour, une telle abondance que « rapidement toutes les barques furent pleines de poissons et sur le point de sombrer… Et Simon et tous ceux qui l’accompagnaient étaient stupéfaits de l’abondance des poissons qu’ils avaient pris » (Luc 5:7-9)

La profondeur de notre ébahissement vient de notre compréhension de ce qui pourrait être raisonnablement attendu. Nous connaissions notre budget et les limites de notre trésorerie. Nous avions vu l’indifférence de notre bien-aimé(e). Nous avons ressenti l’injustice de nos blessures. Nous avons expérimenté l’emprise inflexible de l’addiction. Mais la demande de Notre Seigneur à laquelle on répond avec obéissance produit le miracle.

« Ne soyez pas effrayés ! » adjure Notre Seigneur. « Désormais vous serez pêcheurs d’hommes » (Luc 5:10).

Simon Pierre est notre modèle. En ce moment critique, alors que nous le regardons avec tous les disciples, son obéissance vulnérable dicte l’avenir de l’Eglise.

Tout cela prend place dans les profondeurs, là où l’eau est au-dessus de nos têtes, où nous n’avons plus le contrôle. L’abandon est la finalité spirituelle profonde. C’est l’arrêt final du voyage. C’est également le véritable commencement.

Aucune garantie. L’assurance d’une humiliation, mais la certitude plus vraie de l’Unique qui appelle, demande, commande. Le risque est réel. La réponse est la récompense sacrée du Christ.

Et cette récompense c’est Lui, et uniquement Lui. Plus que vous ne pourriez demander ou imaginer. Une mesure bien tassée et débordante. La joie qui surgit de la reddition à Jésus par la foi.

Sainte Thérèse de Lisieux révèle : « cela m’a pris, je le confesse, beaucoup de temps pour atteindre l’abandon de soi ; je l’ai atteint, pourtant c’est Jésus Lui-même qui m’a amené là ».

Jésus nous amène au rivage, là où nous pouvons abandonner nos barques, laisser derrière nous nos efforts humains limités, nous jetant dans les profondeurs de Sa grâce.

« Il tirèrent donc leurs barques sur le rivage et quittant tout, ils le suivirent » (Luc 5:11).

C’est là ce que nous devrions faire.